Frappes sur Gaza: « Pour Israël, le bilan est très positif »
Quelles raisons ont poussé Israël à frapper une fois de plus Gaza? Pourquoi les stratégies du Jihad islamique et du Hamas divergent? Et quel impact sur le conflit israélo-palestinien auront les rééquilibrages géopolitiques régionaux actuels? Réponses de Didier Leroy, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD).
Frappes aériennes, tirs de roquettes, familles endeuillées, logements totalement dévastés ou endommagés…: le scénario se répète à Gaza, microterritoire surpeuplé et sous blocus israélien. La trêve signée suite à une médiation de l’Egypte a mis fin à l’escalade militaire qui, du 5 au 7 août, a opposé l’armée israélienne et le groupe armé Jihad islamique, affrontements qui ont fait 46 morts du côté palestinien, dont seize enfants. Décryptage des événements avec Didier Leroy, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD).
Le Jihad islamique palestinien représente-t-il une menace directe pour l’Etat hébreu?
La nouvelle flambée de violence entre Israël et Gaza fait suite à la vague d’attentats du printemps dernier, dont ont été victimes des civils israéliens aux quatre coins du pays. Certains assaillants avaient des liens avec le Hamas ou Daech. Toutefois, dans la plupart des cas, les auteurs étaient de jeunes Palestiniens originaires de Jénine, fief historique du Jihad islamique, au nord de la Cisjordanie. Depuis ces événements meurtriers, des Jéninois relèvent, dans des médias spécialisés, qu’Israël a entrepris une guerre de basse intensité pour affaiblir le groupe armé. L’ opération «Aube naissante» s’inscrit dans cette campagne.
L’ armée israélienne multiplie les arrestations et assassinats ciblés de dirigeants du Jihad islamique. Une stratégie efficace?
L’ armée israélienne cherche à neutraliser le commandement du groupe armé. L’Etat hébreu a déjà eu recours à de telles méthodes pour affaiblir d’autres mouvements de la résistance palestinienne. Elles visent à gagner du temps, car l’organisation doit mettre en place un mécanisme de relève pour retrouver des chefs expérimentés et charismatiques. Mais la stratégie a ses limites: elle encourage les vagues d’attentats et s’avère contre-productive sur le long terme, car elle engendre de nouvelles générations d’opposants radicaux.
L’ attitude du Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, a surpris: il n’a pas participé aux affrontements. Pourquoi cette prudence?
Il est resté l’arme au pied parce qu’il ne s’est pas encore remis de la dure confrontation de mai 2021. En onze jours, les groupes armés palestiniens ont lancé plus de 4 300 roquettes depuis la bande de Gaza en direction de villes et villages du centre et du sud d’Israël, tandis que l’armée israélienne a effectué 1 500 bombardements aériens. Le Hamas n’a pas pu reconstituer tout son arsenal, massivement utilisé. Ses dirigeants ont jugé que participer à une nouvelle mêlée serait un mauvais calcul. Le Jihad islamique, lui, n’est pas un mouvement politique, mais un groupe religieux, social et militaire, d’où son activisme extrémiste plus prononcé.
La crise économique à Gaza explique-t-elle également la modération du Hamas?
De fait, le Hamas, qui gouverne l’enclave, doit rendre des comptes à la population, très éprouvée par le blocus économique, les bombardements et la dégradation continue des conditions de vie. Les Gazaouis subissent de plein fouet les répercussions de la guerre en Ukraine. La pénurie de céréales frappe tout le Proche-Orient, mais les régions les plus pauvres et troublées, comme la Syrie, le Liban et la bande de Gaza, sont les plus touchées. Le Hamas ne peut en demander trop aux citoyens, dont la loyauté à l’égard de la résistance anti-israélienne pourrait s’éroder. Parallèlement, l’Egypte accroît sa pression économique sur la bande de Gaza, moyen qui lui a permis d’obtenir l’ arrêt des hostilités. Les Egyptiens ont la main sur Rafah, le point de passage des approvisionnements dont les Gazaouis ont cruellement besoin. Le Qatar lui-même, pourtant proche de Téhéran, du Hamas et du Jihad islamique, en a remis une couche, appuyant les efforts de l’Egypte en vue de la signature de la trêve.
Le leader du Jihad islamique, Ziad al-Nakhala, était à Téhéran au moment où Israël bombardait Gaza. Un signe de la proximité entre le régime iranien et le groupe armé palestinien?
Cette présence fait apparaître le groupe armé comme un levier utile et de poids pour l’Iran dans la région. Téhéran apporte un appui militaire et financier à la fois au Hamas et au Jihad islamique.
On peut s’étonner qu’un pays chiite soutienne à ce point deux groupes armés sunnites.
La realpolitik prime. Depuis 1979, il est vital pour l’Iran de préserver son ADN anti-Israël. Il est donc cohérent que l’Iran soutienne les groupes qui combattent l’Etat hébreu. Téhéran mise sur deux chevaux: au nord d’Israël, le Hezbollah, le puissant groupe chiite libanais ; au sud, le Hamas et le JIP. Ces mouvements palestiniens avaient autrefois l’appui de l’ Arabie saoudite, mais les relations avec Riyad se sont distendues et Téhéran a exploité cette brèche au sein du monde sunnite.
Israël sort renforcé de sa dernière offensive militaire à Gaza?
L’Etat hébreu affiche un bilan très positif après les derniers épisodes conflictuels avec les groupes armés palestiniens, d’autant que tous ont eu pour cadre la bande de Gaza, et non Israël ou la Cisjordanie occupée. Chaque affrontement est une occasion de tester et d’upgrader le système antimissile israélien. Largement amélioré ces dernières années, ce Dôme de fer a permis de stopper la plupart des roquettes et autres projectiles lancés début août depuis la bande de Gaza. Il est vrai que le Jihad islamique dispose d’un arsenal moins sophistiqué que celui du Hamas. Un cinquième de ses missiles et roquettes, de fabrication souvent artisanale, sont tombés non pas en territoire israélien mais dans la bande de Gaza, tuant des civils palestiniens. Le Dôme de fer frôle la perfection: il revendique aujourd’hui une efficacité de 95% pour protéger les zones habitées des engins à courte et moyenne portée. Cette prouesse technologique est une bénédiction pour le gouvernement israélien, car la mort de citoyens de l’Etat hébreu est toujours susceptible de conduire au suicide politique du Premier ministre.
Si le Hamas et le JIP tirent des roquettes par centaines, c’est surtout parce que ces groupes armés savent qu’Israël doit dépenser des dizaines de milliers de dollars pour chaque projectile intercepté. L’Etat hébreu n’est-il pas piégé par cette guerre d’usure?
Il est vrai que le coût du développement du Dôme de fer et des missiles intercepteurs Tamir est exorbitant. Mais un nouveau système d’interception par rayon laser aurait fait ses preuves lors de tests. La mise en service de ce système est prévue pour 2023, d’abord de manière expérimentale. Son utilisation opérationnelle donnera un net avantage à Israël et chaque tir aura un très faible coût. Un mur de lasers défendra le pays des missiles, des roquettes et des drones.
Autre atout pour Israël: la consolidation des accords d’Abraham, traités de paix avec les Emirats arabes unis et Bahreïn. Une nouvelle donne dans la confrontation israélo-palestinienne?
Dans le sillage de ces accords, l’espace aérien saoudien vient de s’ouvrir aux appareils israéliens. Des délégations d’hommes d’affaires marocains se rendent à Tel Aviv et les touristes israéliens sont reçus dans les Emirats. Des restaurants casher ont fait leur apparition dès la fin 2020 à Dubaï et cet été à Abou Dhabi. La normalisation israélo-arabe se poursuit, à coups d’investissements, de zones de libre-échange, de mégaprojets. Ce rapprochement n’a pas pour seul moteur le business. Il est aussi favorisé par l’hostilité commune à l’ égard de l’Iran.
A terme, cette normalisation des relations entre Israël et de nombreux pays du monde arabe peut-elle faire du Moyen-Orient une zone de prospérité et de coexistence pacifique?
Deux perspectives contradictoires se dessinent: celle de la coexistence pacifique et celle de l’affrontement régional. Faute de deal sur le nucléaire iranien, qui permettrait de remettre sur les rails l’accord de 2015, Téhéran poursuivra sa fuite en avant, alimentant le phénomène milicien pro-iranien en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen et dans les territoires palestiniens. Notez que le maillon faible de la projection iranienne vers la Méditerranée est le Hamas, qui a tourné le dos au régime de Bachar-al Assad au printemps 2011. Le Jihad islamique palestinien, lui, reste proche des services de renseignement syriens. Plusieurs de ses dirigeants sont toujours basés à Damas.
Le contexte
Les autorités israéliennes se sont félicitées d’avoir décapité le haut commandement du Jihad islamique palestinien (JIP), deuxième mouvement le plus puissant à Gaza après le Hamas. Le 5 août, une frappe aérienne a abattu Tayssir al-Jabari, l’un des commandants des Brigades Al-Qods, branche armée de l’organisation. Le lendemain, un autre chef du groupe armé a connu le même sort. Le JIP a répondu par des tirs de roquettes. L’ armée israélienne a présenté son offensive à Gaza, baptisée «Opération Aube naissante», comme une attaque préventive: Tsahal craignait des représailles après avoir arrêté, le 1er août à Jénine, en Cisjordanie occupée, le dirigeant du JIP, Bassem al-Saadi. L’ opération s’inscrit dans un contexte d’instabilité politique en Israël. L’Etat hébreu organisera cet automne une cinquième élection en quatre ans. Le Premier ministre, Yaïr Lapid, risque de perdre le pouvoir. Son meilleur atout pour s’y maintenir est de faire preuve de fermeté sur le plan sécuritaire.
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