Pour en finir avec la peur
La Liste de Schindler rendit à Roma Ligocka sa mémoire du ghetto de Cracovie. Elle raconte son histoire
La Petite Fille au manteau rouge, par Roma Ligocka, avec la collaboration d’Iris von Finckenstein. Trad. de l’allemand par Olivier Mannoni. Calmann-Lévy, 343 p.
Lorsqu’elle se reconnaît, le 2 mars 1994, dans le personnage du film de Spielberg La Liste de Schindler, Roma Ligocka a un choc : » C’est moi, cette petite fille anxieuse en manteau rouge ! » Ses dépressions prennent du sens, son sentiment permanent d’exclusion et de solitude s’éclaire. Et les souvenirs affluent. Pour la première fois, elle va tenter de raconter le ghetto, la folie humaine, la mort des êtres chers, puis sa vie, chaotique, de survivante.
Elle a 3 ans et il fait froid, glacial, dans sa masure, où sont entassés des dizaines de Polonais juifs. A l’intérieur du ghetto de Cracovie, mis en place en mars 1941, la mort tient lieu de compagne quotidienne. Bruits de bottes, rafles, exécutions sommaires, la vie de la petite Roma est rythmée par l’horreur. » Ne dis rien ! Ne te retourne pas ! N’aie pas peur ! « , tel est le bréviaire dicté par sa mère, la douce Tosia, avec qui elle se retrouvera seule, quand tous les membres de sa famille û Maria, la grand-mère, Sabine, la jeune tante, David, le père, les oncles, les cousins… û auront disparu.
Elle n’a pas encore 5 ans lorsque, teinte en blonde, affublée d’une identité d’emprunt û l’aryen Ligocka a remplacé le juif Liebling û elle se réfugie chez les Kiernik, des Polonais bienveillants. Le ghetto vient d’être évacué, mais la Gestapo continue sa sinistre mission. Tosia et Roma se terrent, d’une cachette à l’autre, au gré des rafles. Roma rêve d’aller jouer dans la rue, de connaître le goût du chocolat, de tenir une poupée dans ses bras. Le 18 janvier 1945, les troupes soviétiques sonnent le glas du nazisme. Pourtant, Roma n’ose toujours pas regarder les gens en face. Autour d’elle, c’est » le temps de la plainte, du deuil, de la colère et de l’amertume « . Puis les voix se taisent.
Roma traverse sans trop de problèmes la grisaille du communisme. Elève de l’Académie des beaux-arts, elle mène bientôt une » vie pittoresque » à Cracovie, Mecque artistique de la Pologne. Un mariage, deux mariages, l’exil en Autriche à l’occasion d’un voyage de noces sans retour. C’était il y a trente ans. La petite Roma devint une costumière de théâtre réputée. Mais aussi instable, droguée aux médicaments, pénétrée d’un profond sentiment de culpabilité. » N’aie plus peur « , ont envie de lui murmurer ses millions de lecteurs. l
Marianne Payot
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