Farfouiller dans les bacs à la recherche de la dernière pépite fera bientôt partie de l’histoire ancienne. © philippe cornet

Point de culture?

La fermeture du PointCulture – ex-Médiathèque – du Botanique, à Bruxelles, signe-t-elle la fin symbolique d’une exceptionnelle institution culturelle ou un possible et énième reformatage d’un futur largement dématérialisé?

Le 17 mai, le Point-Culture du Botanique, installé sur le coin de la rue Royale, a officiellement annoncé sa fermeture à partir du 4 juin. Personnel et collections seront relocalisés au centre administratif de PointCulture, à Auderghem, «pour participer à la création d’un nouveau centre de ressources sur la musique, le cinéma et le jeu vidéo, dont l’ouverture est prévue en octobre 2022». Hormis ce siège administratif et le PointCulture Liège (en cours de déménagement), toutes les autres entités fermeront d’ici à fin 2022. Un énième rebondissement dans une saga née de la dématérialisation de la musique et des images, et qui a vu l’institution culturelle quasiment abandonner le vinyle et jouer la carte de la diversification incluant le jeu vidéo, les expos, les projections, les animations et même un magazine papier. Au final, rien n’a pu empêcher l’érosion de la fréquentation des PointCulture en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB).

A une certaine époque, nous avions 600 000 utilisateurs, ils ne sont plus que 6 000.» Tony de Vuyst, directeur de PointCulture.

L’institution, née en 1956, à Bruxelles, sous le nom de Discothèque nationale de Belgique, était initialement dédiée au prêt d’œuvres classiques. La collection pop n’est arrivée qu’en 1970 (lire page 74), signe, déjà, d’un certain retard sur l’époque malgré des initiatives intéressantes comme les Discobus parcourant les provinces pour répandre la bonne parole du vinyle. En 1971, devenue asbl, l’institution culturelle est rebaptisée Médiathèque.

Un nouveau virage s’amorce en 2013. «La Médiathèque devient alors PointCulture et sa mission de prêt est remisée au rayon marginal, souligne Tony de Vuyst, son actuel directeur général. Il n’est même plus dans le nouveau contrat- programme qui sera proposé tout prochainement à la ministre. Depuis une quinzaine d’années, le prêt s’invite davantage dans le cadre d’animations ou de formations. Où, depuis 2013, on met en avant des missions d’information et de conseil, d’offre culturelle centrée sur la FWB, de partage d’expertise au départ des collections et puis de tout ce qui est lié à l’enseignement. Il faut reconnaître que l’arrivée des graveurs de CD a donné un sacré coup de frein à la notion de prêt. Même si on assez vite proposé notre propre plateforme de téléchargement numérique, avec 800 000 titres disponibles.»

Tony de Vuyst
Tony de Vuyst © dr

De quoi miner le moral et lasser bon nombre d’employés, censés conseiller les clients. Les initiatives récentes – expos, conférences, projections de documentaires et même… cours de tricot – n’ont pas compensé le manque d’enthousiasme endémique. Qui n’est donc pas seulement lié à la dématérialisation de la musique et des films…

Retrait en bibliothèque

«La Médiathèque/PointCulture a raté le virage du numérique. Il y a une vingtaine d’années, c’était une entreprise culturelle florissante. Et puis, malgré d’importants subsides perçus en continu, elle n’a pas réussi à trouver un nouveau souffle. Je pense aussi que les ministres de tutelle ont eu leur part de responsabilité dans ce que j’estime être un échec.» Le jugement, assez sec, de cet observateur culturel connu en FWB – qui souhaite garder l’anonymat – témoigne sans doute aussi du fait que le bateau PointCulture a peut-être manqué de réels capitaines pour affronter les eaux mouvantes. Le plaisir de «farfouiller» dans les bacs va être remplacé par des commandes en ligne…

«Théoriquement, par l’intermédiaire du réseau Samarcande des bibliothèques – quelques centaines en FWB –, il sera possible de commander des médias, confirme Tony de Vuyst. Il faut quand même comprendre qu’à une certaine époque, nous avions 600 000 utilisateurs, ils ne sont plus que 6 000. Mais ils auront toujours accès à notre collection patrimoniale qui comporte plus de 700 000 titres, dans tous les domaines. Cela arrivera dès le lendemain de la commande dans nos deux futurs centres de ressources à Bruxelles et à Liège, où le média pourra être retiré. Par contre, si cela passe par le réseau Samarcande, ça pourrait prendre plusieurs semaines […]. La position du cabinet ministériel est d’étendre l’accès à la culture des personnes de toute la FWB par les bibliothèques. Et puis, que PointCulture devienne un agent de médiation dans les secteurs qui nous occupent. Nous avons les compétences pour le faire.»

La collection patrimoniale de PointCulture, c'est plus de 700 000 titres, dans tous les domaines.
La collection patrimoniale de PointCulture, c’est plus de 700 000 titres, dans tous les domaines. © dr

Mais au fond, que reste-t-il comme collection, celle que PointCulture nomme «patrimoniale»? «Dans ce qui ressemble à de grandes armoires de pharmacie, dans notre centre d’Auderghem, sont rassemblés environ 300 000 CD et une dizaine de milliers de LP’s ; ceux-ci font désormais partie d’une superniche, précise Tony de Vuyst, pour le seul département musique. Une récente enquête anglaise a établi que la plupart des gens qui achètent des vinyles n’ont même pas de platine, ils achètent pour la beauté de l’objet. Même si on continuera à acquérir des choses pour étoffer la collection, le prêt n’est plus notre priorité. On veut vraiment capitaliser sur notre production en FWB.»

Changement de mission , de paradigme, hésitation politique, gap des générations face à la signification de l’objet culturel: les défis de PointCulture, qui commencera une nouvelle vie fonctionnelle à l’automne 2022, sont nombreux et complexes. Bilan dans six mois?

La Médiathèque des seventies

«Pendant très longtemps, à ses débuts sous le nom de Médiathèque, celle-ci refusait de proposer à la location les albums de Michel Sardou. Cela ne semblait pas entrer dans sa mission culturelle», s’amuse Jacques Duvall qui, avant d’écrire le Banana Split de Lio (1979) et de vivre une conséquente carrière de parolier, y fut employé.

En effet, lorsqu’il devient le premier «conseiller d’achat» de la Médiathèque, en 1971, Alberto Velho Nogueira (beau-père de Lio) souhaite imprimer au lieu une direction inspirée de la contre-culture, tout en proposant aussi les standards d’époque, de Led Zeppelin à Genesis. «Il y avait la volonté d’avoir un catalogue très large – pop, rock, jazz, classique, folklore, etc. – qui incluait les artistes à succès, mais aussi des découvertes, des choses alternatives, des curiosités», confirme-t-il. Même si les sorties de nouveaux 33 tours font alors l’objet de convoitise, la Médiathèque, incarnée par sa base du Passage 44, à Bruxelles, fait figure de caverne d’Ali Baba discographique. On s’y rend une à deux fois par semaine, pour des prix défiant toute concurrence et le sentiment suprême de vivre, entre les bacs de disques, une fabuleuse ouverture culturelle sur le monde. Une époque révolue.

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