Plaies d’Irlande
Quand Belfast et une femme se fissurent de concert. Une fiction intimiste sur fond de guerre signée Michèle Forbes.
Belfast, 1969 : Michèle Forbes, petite catholique de 9 ans, perd sa mère ; l’Irlande du Nord est secouée par les émeutes ; Mr Forbes, pompier de son état, est envoyé aux feux ; l’armée britannique est déployée. A 19 ans, après une jeunesse marquée par la violence et la peur, Michèle part étudier l’anglais et la psychologie au Trinity College de Dublin. A 53 ans, devenue comédienne de théâtre à succès et installée durablement en Irlande du Sud, ce petit bout de femme au visage allongé publie son premier roman – d’inspiration familiale – Phalène fantôme, aussi lumineux que son sourire.
Sourire, elle le peut, Michèle Forbes, car après des débuts difficiles – » J’ai essuyé 39 refus en Irlande, ici, il y a encombrement, alors j’ai essayé New York, et ça a marché « , nous confie- t-elle – la primoromancière a reçu l’adoubement de quelques stars des lettres irlandaises, dont John Banville, Roddy Doyle ou encore Sebastian Barry, qui y sont allés de leur blurb – brève phrase louangeuse figurant sur la couverture ou le bandeau du livre. Cerise sur le gâteau, la voilà (très bien) traduite en français. Une reconnaissance méritée tant Phalène fantôme allie le meilleur de la littérature : soit une histoire intimiste, traversée par les questionnements universels sur l’amour (filial et conjugal), la fidélité, la culpabilité… Le tout sur fond de drame collectif.
En 1949, au sortir de la guerre, tout semble encore possible à Belfast. Cafés, cinémas, dancings ne désemplissent pas, la vie est à portée de main, surtout lorsqu’on a 20 ans, comme Katherine, l’héroïne fiancée au gentil George. Chanteuse lyrique amateur, elle s’enflamme pour son rôle de Carmen et pour… son tailleur, Tom. Grain de sable, tourments, poids de la famille et de l’Eglise. George patiente. Il fait bien. Vingt ans plus tard, Katherine est toujours à son côté, et le couple, doté de quatre enfants, devrait couler des jours heureux. Pourtant, les troubles ne s’emparent pas que des rues de Belfast, mais aussi du coeur et du corps de Katherine. Alors que ses voisins protestants commencent à tiquer – » tout comme dans mon enfance « , se souvient Michèle Forbes – que George, pompier amateur, est réquisitionné toutes les nuits, les plaies du passé refont surface : la rupture avec Tom, l’hypothèse de son suicide… Et la fatigue la gagne.
Avec une belle dextérité, Michèle Forbes joue l’alternance des époques et des histoires – la grande et la petite – transcendant l’ordinaire de l’existence en un opéra dramatique.
Phalène fantôme, par Michèle Forbes, trad. de l’anglais par Anouk Neuhoff. Quai Voltaire, 288 p.
Marianne Payot
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