Photos de groupe

Les artistes belges font-ils pour autant un  » art belge  » ? Deux expositions collectives posent la question, à Paris comme à Bruxelles. Visite et mise en perspective.

Les artistes belges auraient-ils particulièrement le vent en poupe ces derniers temps ? En dehors de Magritte au centre Pompidou et de Hergé au Grand Palais, on peut aussi voir, en ce moment dans la capitale française, le duo François Schuiten et Benoît Peeters exposé au Musée des arts et métiers. Et il n’y a pas que Paris… Dans le nord, le musée Matisse du Cateau-Cambrésis vient d’inaugurer une importante exposition consacrée à Alechinsky, alors que, non loin de là, Luc Tuymans est à l’affiche du LAM à Villeneuve d’Ascq ; il est, par ailleurs, doublement présent à Londres avec une exposition personnelle (National Portrait Gallery) et en tant que commissaire d’une autre, consacrée à James Ensor à la Royal Academy of Arts. Au Luxembourg cette fois, le Mudam dédie une première rétrospective à Wim Delvoye. Plus loin, et après Florence au printemps dernier, Jan Fabre est, jusqu’en avril 2017, l’invité du prestigieux Musée de l’ermitage à Saint-Pétersbourg, huit ans après avoir investi le musée du Louvre et en mêlant de la même façon ses oeuvres à celles des prestigieuses collections du musée hôte. Enfin, n’oublions pas la rétrospective de Marcel Broodthaers qui, après New York, vient de faire étape à Madrid, avant d’arriver à Düsseldorf l’année prochaine… Au coeur de cette actualité foisonnante, et à un Thalys de distance, Paris et Bruxelles proposent deux expositions, collectives cette fois, d’artistes noir jaune rouge.

Après Magritte

A Paris, en écho précisément à la rétrospective Magritte à Beaubourg, le Centre Wallonie-Bruxelles voisin présente, en ce moment, Images et mots depuis Magritte, soit une sélection d’artistes francophones dont le travail s’articule autour des liens entre l’art et le langage. Il y est question de croisements entre images et textes, entre pensée plastique et pensée littéraire, entre poésie visuelle et traces du geste. On ne parle pas ici d’un héritage en droite ligne de la pensée magritienne, mais plutôt d’une filiation indirecte qui s’élargit en même temps qu’elle s’étiole tandis que les années passent. Pour Michel Baudson, son commissaire, si c’est bien le peintre surréaliste qui a théorisé cette relation entre les images et les mots,  » ce rapport est presque devenu une évidence aujourd’hui dans la création. Nous ne présentons pas Magritte comme un « deus ex machina », mais plutôt comme un promoteur de cette pensée et de cette forme artistique « . L’exposition s’ouvre par un trio historique rassemblant Magritte (avec une copie originale de La Révolution surréaliste et le manifeste Les Mots et les images), le poète et musicien E.L.T. Mesens et l’écrivain Marcel Mariën, célèbre pour ses collages et autres textes irrévérencieux. La figure de Marcel Broodthaers est présente à proximité, alors qu’à l’autre extrémité, une petite salle est consacrée aux plus littéraires de ces plasticiens, Henri Michaux et Christian Dotremont. Entre ces deux axes fondateurs, on retrouve plusieurs générations. D’abord celle des Charlier, Lennep et Lizène – ces deux derniers s’étant retrouvés dans l’aventure de l’art relationnel du groupe CAP dans les années 1970 -, qui a notamment été marquée par l’influence de l’art conceptuel. Ensuite, une génération plus jeune qui a multiplié les supports en utilisant la photographie, la vidéo, la projection ou les installations. On y retrouve avec plaisir des artistes assez rares tels Patrick Corillon, Joëlle Tuerlinckx, Pierre Bismuth, Djos Janssens ou encore Bernard Queeckers. Les oeuvres de ce dernier se retrouvent dans une vitrine recelant quelques remarquables livres d’artistes, domaine où la créativité des créateurs belges n’a jamais cessé de s’affirmer et de se démarquer. Une singularité que l’on retrouve dans le choix judicieux des oeuvres qui toutes, à des degrés divers, confortent le propos de la manifestation.

L’arbre qui cache la forêt

Hasard ou non des calendriers : c’est à Bruxelles que l’on retrouve justement, au même moment, des oeuvres du trio précité – Magritte, Mesens et Mariën – certes en compagnie de celles de Paul Delvaux, Raoul Ubac, Armand Simon et Marcel Lefrancq. Tous figurent au centre du parcours de Moderniteit à la belge, l’aventure surréaliste restant le grand apport de la Belgique à l’histoire de l’art du XXe siècle. Concoctée par les Musées royaux des beaux-arts à partir de leurs collections, cette manifestation se divise en dix-sept sections d’importance variable, censées offrir un panorama de la création artistique en Belgique, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours. A la fois chronologique (les grands courants de l’histoire de l’art y sont représentés, du symbolisme aux monochromes, en passant par l’expressionnisme et l’art abstrait) et thématique (la ville, la nature morte, la mer, l’industrie, l’écriture y sont représentées), l’exposition interroge en filigrane, mais en filigrane seulement, la question de la modernité née avec Baudelaire. Tout au long du parcours qui se révèle, in fine, des plus classiques (à l’exception de quelques confrontations intéressantes entre les oeuvres de Wim Delvoye, Luc Tuymans, Thierry De Cordier et leurs aînés), le choix des artistes aurait tendance à montrer que la modernité ne constitue pas vraiment une spécificité de l’art en Belgique au sens large. C’est d’ailleurs ce que démontre, précisément dans les mêmes lieux, une autre exposition (14-18. Rupture ou continuité, voir Le Vif/L’Express du 21 octobre dernier) dont on se demande pourquoi elle n’est pas intégrée dans celle-ci puisque les recoupements sautent aux yeux… La modernité en Belgique n’est donc pas le fait de mouvements ou de courants (qui se sont plutôt caractérisés par un certain suivisme), mais bien celui de personnalités ou d’individualités inclassables. On pense bien entendu en premier lieu à l’oeuvre de Marcel Broodthaers (1924-1976), très bien représentée ici, au point d’en devenir d’une certaine manière le fil rouge. On retrouve le plasticien tant en introduction qu’en conclusion de l’exposition, tout en étant présent dans plusieurs sections, comme s’il faisait fi de celles-ci… Héritier direct de Magritte dans son rapport aux images et aux mots, celui qui était aussi poète a profondément élargi son champ de réflexion, passant de l’écriture au concept après un détour par des objets qui ont pu l’assimiler au pop art. Marcel Broodthaers serait-il l’arbre qui cache la forêt de la modernité en Belgique ? La sélection des artistes pourrait le laisser croire, à voir la disproportion de traitement entre certains chapitres… On aurait souhaité une présence plus importante de Cobra (même si le rapport peinture/écriture est souligné), une vraie section consacrée à l’art optique et cinétique (Pol Bury est inexplicablement absent) et une dernière salle moins ascétique. Composée d’oeuvres exclusivement en noir et blanc – qui n’en sont cependant pas moins intéressantes -, Moderniteit à la belge donne de l’art contemporain un point de vue plutôt réducteur. Alors que le musée et ses collections sont au centre de nombreux remous politico-culturels, cette exposition ressemble plutôt à une occasion manquée. Car elle risque de laisser le visiteur sur sa faim et sur ses interrogations, nonobstant la découverte de quelques oeuvres atypiques.

Images et mots depuis Magritte, au centre Wallonie-Bruxelles, à Paris, jusqu’au 29 janvier 2017 (www.cwb.be). Moderniteit à la belge, aux Musées royaux des beaux-arts, à Bruxelles, jusqu’au 22 janvier 2017 (www.fine-arts-museum.be).

PAR BERNARD MARCELIS

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