Philippe, docteur « pour l’honneur »
Comme son père, son grand-père et son arrière-grand-père, le prince Philippe recevra les insignes de docteur honoris causa, ce 4 février, à la KUL. Mais, en Flandre, l’affaire fait des vagues. Politiques et scientifiques
Il est décidément mal vu d’afficher des convictions monarchistes en Flandre. André Oosterlinck, recteur de la KUL (Katholieke Universiteit Leuven), l’a appris à ses dépens. Ce lundi 4 février, lors de la fête patronale, l’université flamande marquera la clôture du 575e anniversaire de sa fondation. A cette occasion, le conseil académique a décidé, en juin dernier, de conférer le titre de docteur honoris causa à quatre personnalités: Carla Del Ponte, procureur générale du tribunal pour la Yougoslavie et le Rwanda à La Haye, lord John Browne of Madingley, le patron aux préoccupations écologiques de la British Petroleum, Domenico Lenarduzzi, le haut fonctionnaire européen en charge de l’enseignement, et…le prince Philippe.
Les raisons qui ont motivé le choix du prince héritier? Selon le conseil académique de la KUL, Philippe a le mérite de se préparer intensivement à ses futures responsabilités et d’attirer l’attention sur l’importance de la famille dans la société. En outre, il se distinguerait en oeuvrant au renforcement des relations entre les communautés du pays ainsi qu’en soutenant la paix dans le monde et la solidarité nationale et internationale.
En décembre dernier, une cinquantaine de professeurs de la KUL ont toutefois critiqué ce choix dans une lettre ouverte. L’initiative émane du département des sciences politiques. Spécialisés dans les domaines où l’héritier du trône se serait signalé, les politologues flamands jugent non méritée l’aura de pacifiste dont on l’a entouré. Ils regrettent également que leur université ait pris position dans le débat sur le rôle politique de la monarchie en Belgique.
A l’origine purement interne, ce mécontentement s’est répandu comme une traînée de poudre. De jour en jour, la liste des signataires s’est allongée. L’un d’entre eux, Matthias Storme, professeur à la KUL et président de l’Association des professeurs flamands, a par exemple déploré, sur un plateau de télévision, que le titre de docteur honoris causa soit devenu un « cadeau d’entreprise ». Les étudiants ont rapidement embrayé et annoncé leur intention de boycotter la cérémonie d’hommage, se félicitant au passage que, dorénavant, « tout le monde peut espérer devenir docteur honoris causa ». Ancienne étudiante de la KUL, la députée flamande Patricia Ceysens (VLD) a renvoyé, quant à elle, son carton d’invitation en précisant: « La succession héréditaire ne cadre plus avec ce nouveau siècle de démocratisation radicale sur tous les fronts. »
Même l’ex-vice-Premier ministre, Herman Van Rompuy (CD&V), a estimé que cette distinction « intervenait trop tôt ». En honorant quelqu’un qui n’aurait pas encore fait ses preuves, l’université se serait discréditée. « Le titre de docteur honoris causa de Louvain n’aura désormais plus la même valeur », concluait l’éditorialiste Yves Desmet dans le quotidien De Morgen.
Profitant de l’occasion, la presse flamande a réitéré ses doutes à propos des diplômes décrochés par Philippe, tout en insinuant que le Palais aurait fait pression sur la KUL. Dans le même ordre d’idée, le Cercle républicain, qui rassemble des Flamands et des francophones, fustige « la poursuite d’une campagne de propagande » orchestrée depuis le mariage princier. Objectif: « Faire taire les critiques qui s’élevaient jusqu’alors à l’encontre du prince et le présenter comme un futur souverain idéal. » Enfin, l’affaire est, faut-il le souligner, du pain bénit pour les extrémistes du Vlaams Blok et du Taal Aktie Komitee (TAK).
Devant l’ampleur de la polémique, le recteur Oosterlinck s’est vu contraint de fournir des explications complémentaires. Il a admis que l’image d’un prince artisan de la paix mondiale relevait quelque peu de l’emphase. Il a toutefois rappelé qu’à ses yeux, l’institution royale apportait une contribution importante au règlement pacifique des conflits communautaires en Belgique, ce qui était d’ailleurs relevé à l’étranger.
Mais l’argument principal relève de la tradition. En 1927, le roi Albert Ier et la reine Elisabeth ont été les premiers à recevoir les fameux insignes à l’université (unitaire) de Louvain. Léopold III est devenu docteur honoris causa en 1935, le jeune roi Baudouin en 1951 et le prince Albert II en 1961. A l’époque, il ne s’était trouvé aucun Flamand pour dénoncer le jeune âge des deux frères.
Cette tradition est d’ailleurs respectée par d’autres universités du pays, qui ont salué de cette façon l’intérêt de la dynastie pour la science. L’an dernier, le roi Albert II a encore bénéficié de cet hommage à l’université de Liège (ULg). « Profitant du printemps des sciences, nous voulions rappeler qu’Albert Ier avait jeté, ici, à Seraing, les bases du Fonds national de la recherche scientifique (FNRS), lors du 100e anniversaire des usines Cockerill », rapelle-t-on à l’ULg.
A l’ULB, l’hommage à Albert II remonte à 1994. « Parmi les professeurs, cette décision n’avait fait l’objet que d’un microdébat, reconnaît le politologue Pascal Delwit. Dans le monde francophone, on n’aime pas ce type de controverse: pour des raisons d’opportunité politique, parce que la monarchie y apparaît comme une garantie d’unité du pays. Au nord, l’affaire de la KUL montre à quel point s’est accéléré le débat sur le rôle du roi, son pouvoir de nommer, au lendemain des élections, l’informateur, puis le formateur du gouvernement et, enfin, le Premier ministre et les ministres fédéraux. Tous les partis « flamandisent » désormais leur discours pour récupérer l’électorat de l’ancienne Volksunie. Une telle polémique était inimaginable voici dix ans à peine. Même s’il s’agit d’un autre dossier dans un autre contexte, le refus du roi Baudouin de signer la loi dépénalisant partiellement l’avortement n’avait pas suscité un tel tollé en Flandre. »
Dorothée Klein
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