» Peeters rompt les usages diplomatiques « 

Le Premier flamand invite les Prix Nobel de la Paix et présidents Obama et Peres en snobant le fédéral. Entorse à la tradition diplomatique, pointent les Commissaires au centenaire 14-18.

Le Vif/L’Express : La commémoration du centenaire de 1914-1918 reste tiraillée entre la vision flamande et l’approche fédérale. A quand une paix des braves ?

Paul Breyne et Jean-Arthur Regibeau : Le pouvoir fédéral ne pilote pas le dossier, ses partenaires fédérés sont au même niveau que lui. Nous agissons selon les directives du Premier ministre : accorder une importance égale à la mémoire des victimes civiles et militaires du conflit. Eviter que le centenaire de 1914-1918 ne donne lieu à une récupération politique.

C’est mal parti. Kris Peeters, ministre-président, maintient les conditions flamandes pour atteindre le principal objectif de la Flandre : se projeter sur la carte du monde.

Sans être totalement d’accord avec cette position, nous prenons acte du programme du parlement et du gouvernement flamands. Pas d’objections, pour autant qu’ils restent dans leur sphère de compétences : culture, enseignement, patrimoine, tourisme. La difficulté surgit lorsque les souhaits d’une entité fédérée touchent à la dimension internationale.

C’est le cas de la Déclaration internationale sur la Première Guerre mondiale, à faire signer par quelque 50 Etats. La Flandre exige que cette initiative flamande soit stipulée noir sur blanc.

Le fait n’est pas contesté, il est reconnu au niveau belge. Mais cette dimension régionale pose problème au niveau international. Les pays anglo-saxons, surtout, ne souhaitent pas être instrumentalisés pour des raisons de politique intérieure belge. Mais aussi pour des considérations liées à leur propre politique intérieure.

L’Australie, le Canada, la Grande-Bretagne nous l’ont fait savoir par leurs canaux diplomatiques : ils jugeraient inacceptables que le gouvernement belge ait une relation directe avec l’Etat de Victoria, le Québec ou l’Ecosse.

La N-VA regrette qu’à ce stade, l’Ecosse ne figure pas parmi les signataires pressentis de la Déclaration. Kris Peeters n’exclut rien ni personne…

C’est la meilleure façon de se tirer une balle dans le pied. Croyez-vous que cette question et la manière dont il y a été répondu passent inaperçues à Londres ?

La Déclaration internationale mettra-t-elle à l’honneur  » Flanders Fields « , comme l’exige aussi la Flandre ?

Là encore, l’ambiguïté est totale. Flanders Fields traduit la volonté politique flamande d’affirmer la reconnaissance d’une entité politique dans le monde. Alors que le monde anglo-saxon s’en tient strictement à un lieu de bataille. Et que les francophones ont des objections : l’insistance sur la notion de Flanders Fields cadre mal avec une déclaration portée par la Belgique.

La Flandre exige, exige, exige. Wallons et Bruxellois ne sont-ils demandeurs de rien ? Pas même d’une allusion à la résistance des forts de Liège ou le sort des villes-martyrs ?

Le projet de texte intègre Flanders Fields comme titre provisoire. Et se réfère au reste de la Belgique.

Projet de texte ? Kris Peeters prétend que l’affaire est réglée. Aux conditions flamandes.

Non. Le projet de texte n’est pas encore endossé au niveau politique belge, y compris par le gouvernement flamand. Ce texte à vocation universelle doit ensuite être proposé pour adhésion aux 50 Etats potentiellement concernés par les commémorations de 1914-1918. Nous ne pouvons encore garantir leur réaction.

Il y a du refus dans l’air ?

En tout cas de la gêne. Le langage que nous tiennent les ambassadeurs étrangers est : au plus l’élément régional sera présent dans la Déclaration, au plus leur pays aura du mal à le signer.

Si signature de la Déclaration il y a, la cérémonie se déroulera- t-elle sur le sol flamand, comme l’exige, là encore, la Flandre ?

Il y a accord pour que la Déclaration soit ouverte à signature en Flandre. Aucune date n’est encore retenue. Le 28 octobre 2014 pourrait être un moment opportun : une cérémonie commémorative nationale se déroulera à Nieuport et Ypres, en présence de chefs d’Etats étrangers.

Kris Peeters dit : le gouvernement flamand agira en tant qu’hôte de la cérémonie de signature.

Kris Peeters peut rêver dans toutes les langues ! Si la cérémonie de signature est flamande, il n’aura personne. La Déclaration ne sera reconnue et signée par aucun Etat. La Grande-Bretagne nous l’a clairement dit :  » On a déclaré la guerre à l’Allemagne en 1914 pour sauver la Belgique. Pas la Flandre.  » Si nos collègues flamands persistent à en faire une initiative flamande, ils perdent leur temps. Et le nôtre par la même occasion.

Ce genre d’avertissement n’a pas l’air de porter. Le gouvernement flamand prend l’initiative d’inviter tous les Prix Nobel de la Paix, sans même en référer au niveau fédéral.  » Je n’ai pas besoin de son autorisation « , assure Kris Peeters.

La tradition diplomatique veut qu’un chef d’Etat en fonction soit invité par un autre chef d’Etat. M. Peeters déroge à cette pratique diplomatique quand il invite les présidents américain Barak Obama et israélien Shimon Peres. Les Etats concernés en ont été pour le moins surpris. Le gouvernement flamand n’a pas souhaité associer le gouvernement fédéral à cette initiative. Dont acte.

Le monde politique flamand voit d’un mauvais oeil le retour du fédéral dans le parcours des commémorations. Kris Peeters en fait une compétition : la Flandre franchira la ligne d’arrivée en vainqueur. On prend les paris ?

La commémoration de 1914- 1918 ne doit pas être une course. Elle doit être digne et respectueuse des victimes. Il ne servait à rien au niveau fédéral de partir trop tôt. La volonté politique exprimée par le parlement flamand aurait été la même.

Le fédéral se concentre sur une approche de mémoire. Les faits historiques sont les mêmes pour tout le monde : c’est la Belgique qui a été envahie, l’armée belge qui a combattu les Allemands, avec à sa tête le roi des Belges. L’Histoire n’appartient à personne.

Entretien : Pierre Havaux

 » Kris Peeters peut rêver dans toutes les langues ! S’il persiste à en faire une initiative flamande, il n’aura personne «