Paul Buysse :  » Di Rupo devra passer 70 % de son temps en Flandre « 

En tant que VRP d’élite de la Belgique SA sur tous les continents, le baron Paul Buysse se dit soulagé de la constitution d’un  » vrai  » gouvernement belge. Mais le président de Bekaert est surtout préoccupé par la récession qui guette simultanément l’Europe et les Etats-Unis.

Au service de Sa Majesté. Telle pourrait être la devise de Paul Buysse. L’Anversois est un poids lourd de l’establishment belge, très écouté dans les cercles d’affaires flamands, autant qu’au Palais. Le baron, qui a donné son nom à un code de bonne gouvernance des entreprises, rêve d’un Etat belge mieux… gouverné, qui tirerait les leçons d’une crise politique historique. Car les marchés, mais surtout les citoyens belges eux-mêmes, n’autoriseront pas un remake.

Le Vif/L’Express : Entre notre demande d’interview et notre rencontre [NDLR : le lundi 28 novembre], la Belgique politique semble être passée du mélodrame à l’apaisement…

Paul Buysse : C’est évidemment un sentiment de soulagement qui domine suite à cet accord budgétaire, qui laisse augurer enfin la formation d’un gouvernement. Mais il faudra surtout tirer les leçons de cette crise historique. Je défends l’idée que le roi ou le Premier ministre devrait former un comité de sages qui, discrètement et efficacement, se pencherait sur les situations de blocage qui empêchent le pays d’avancer. Il s’agit sans doute d’une utopie, mais le moment est venu de se pencher sur les structures de l’Etat pour le rendre plus efficace : avons-nous besoin d’autant de ministres et de gouvernements ? Depuis 65 ans, personne n’a vraiment abordé l’efficacité du système politique et administratif.

Elio Di Rupo sera-t-il mieux accueilli en Flandre que le dernier et éphémère Premier ministre wallon Edmond Leburton, qui occupa ce poste de janvier 1973 à janvier 1974 ?

Sa probable nomination est normale et justifiée. J’espère que mes amis wallons en seront très fiers. Je connais Elio Di Rupo et ai un immense respect pour son parcours.

Quelle sera l’erreur qu’il ne devra pas commettre, selon vous ?

Il devra passer 70 % de son temps en Flandre. Il doit y multiplier les contacts pour gagner une crédibilité. Je l’ai invité il y a quelques mois à une causerie à Anvers et il s’en est sorti brillamment en faisant sa présentation en néerlandais et en répondant aux questions en français.

La crise politique semble réglée mais la crise sociale guette. La manifestation de ce 2 décembre vous étonne-t-elle ?…

Pas vraiment, mais je la regrette profondément. J’aurais tellement espéré une certaine maturité des dirigeants syndicaux, qui ne semblent pas comprendre la portée historique de la crise actuelle liée à l’endettement des Etats. La Belgique – et son secteur financier – reste vulnérable et un climat social négatif ne va pas arranger les choses. Ce n’est pas le moment de descendre dans la rue pour dire : nous voulons plus !

Sur une échelle de gravité, qui arrive en tête entre les dettes souveraines, les menaces sur les banques ou le risque de récession ?

Ce qui me préoccupe, c’est l’absence de croissance. Les dernières prévisions tablent sur une récession aux Etats-Unis et dans la zone euro. Même l’Allemagne marque le pas. Cette contagion de la crise souveraine à l’économie réelle, nous la sentons sur le terrain tous les jours. Chaque fois que l’Europe fait un plan de redressement, il s’avère insuffisant 15 jours plus tard. Il n’y a pas de baguette magique, le seul grand espoir peut venir de la Banque centrale européenne, qui s’est jusqu’ici acquittée à la lettre de sa mission de rigueur monétaire et de contrôle de l’inflation. Mais qui va rectifier le tir ? Mario Draghi, les chefs d’Etat, ou les deux en même temps ?

L’heure est donc grave…

Je ne veux pas jouer les Cassandre, mais je crois que 2012 sera une année très difficile dans notre histoire économique.

Plus difficile que 2009 ?

Oui. 2009 a été difficile mais on s’en est pas trop mal sorti. On croyait aussi que les problèmes financiers étaient sous contrôle. On réalise aujourd’hui que ce n’est pas le cas. La succession d’années de vaches maigres risque de faire mal. On remarque aussi, pour la première fois dans l’histoire économique, que les deux grands moteurs que sont les Etats-Unis et l’Europe sont simultanément enraillés, avec tous deux des problèmes de leadership politique. Aux Etats-Unis, démocrates et républicains ne se parlent même plus, face à une dette qui explose. En Europe, les dirigeants se parlent mais peinent à trouver des compromis à 27. Et, en Chine, le gouvernement a décidé de ralentir l’expansion économique pour garder l’inflation sous contrôle. La croissance reste supérieure à 8 %, ce qui est remarquable, mais marque tout de même un ralentissement.

De quoi saper le moral des entreprises…

Il est important que les entreprises voient la réalité en face, sans pour autant se décourager. C’est une force des entreprises belges d’être globalement très bien informées et proactives. Une certaine peur de la conjoncture nous a permis de limiter les dégâts en travaillant sur l’efficacité interne ou le dynamisme commercial. Le revers de la médaille est une très grande prudence au niveau des embauches. Parallèlement, j’espère que nos entreprises ont un plan stratégique qui a intégré les opportunités des marchés en croissance, en y développant, notamment, des partenariats technologiques ou commerciaux. La Chine et l’Inde sont occupées à redevenir les puissances économiques qu’elles étaient au Moyen Age. Leur  » émergence  » n’est qu’un retour de l’histoire. Il y a en outre énormément de capitaux à saisir dans ces pays.

Quels sont encore les atouts de la Belgique ?

La Belgique est une marque fiable, respectée et professionnelle. Nous sommes connus pour nos talents diplomatiques, nous sommes discrets mais efficaces. Nous constituons, en outre, une porte d’entrée idéale en Europe pour les capitaux asiatiques que j’évoquais. Tout le monde connaît Bruxelles.

Vous avez repris espoir dans l’avenir de ce pays ?

Ce n’est pas ma première crise, malheureusement… Je crois beaucoup dans ce pays. Il faut maintenir les points de rencontre entre les Communautés pour dépasser les stéréotypes entretenus par une partie de la classe politique. Mais il ne faut pas non plus se leurrer : la crise politique nous force à constater qu’il n’y a jamais eu une distance aussi profonde entre le nord et le sud du pays. Le Sud, sans vouloir minimiser l’importance de mesures comme le plan Marshall, met prioritairement l’accent sur la protection sociale de l’individu, et le Nord donne plutôt la priorité à l’entrepreneuriat. On peut retourner aux urnes, on se retrouvera toujours avec cette différence d’accents. Pour en revenir à mon idée de départ de  » comité de sages « , il faut que des apolitiques aident à réfléchir sur les moyens, à partir de l’échelon fédéral, d’accorder plus d’autonomie au Nord et au Sud pour que chacun puisse mener des politiques qui respectent ces différences de priorités, mais en maintenant un trait d’union fédéral fort.

OLIVIER FABES

 » Il faut créer un « comité de sages » […] pour accorder plus d’autonomie au Nord et au Sud, mais en gardant un trait d’union fédéral fort « 

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