Passion Colette
Plus jeune et plus prisée que jamais, la dame du Palais-Royal ! Alors que sa maison natale vient d’être sauvée, les Cahiers de l’Herne saluent la renaissance de l’auteur de Chéri et du Blé en herbe.
Fin d’année faste pour Colette. Pas celle de la rue Saint-Honoré, mais l’autre, la » vraie « , celle du Palais-Royal, tout aussi tendance. Alors qu’après un âpre combat sa maison natale de Saint-Sauveur vient d’être mise à l’abri des convoitises, les éditions de l’Herne lui consacrent, suprême honneur, l’un de leurs fameux Cahiers, panthéon de la littérature du XXe siècle, où séjournent déjà Cioran, Mauriac, Foucault, Strindbergà » Une consécration intellectuelle « , selon les deux maîtres d’£uvre de cette monographie, Gérard Bonal et Frédéric Maget, qui rappellent que la Nouvelle Revue française (NRF) détestait à l’époque la » bonne dame du Palais-Royal « . C’est cette image » niaise et sucrée » que les deux compères, à la fois biographes, exégètes et, pour Maget, président de la Société des amis de Colette, ont souhaité mettre à mal.
Malmenée par le Nouveau Roman et le structuralisme
Longtemps, donc, Sidonie-Gabrielle Colette (1873-1954) a pâti d’une réputation un peu mièvre, de » mémère à chats « , d’auteur régionaliste, dont les textes étaient voués à servir de dictées dans toutes les écoles de France. Cataloguée écrivain pour dame – égayant nos grands-mères avec ses Claudine et faisant frissonner nos mères avec Chéri -, la Bourguignonne, malmenée par le Nouveau Roman et le structuralisme, a connu le » purgatoire » durant quelques décennies. » Lorsque, dans les années 1970, j’ai écrit dans le magazine Réalités un article sur Colette, on m’a ri au nez, se souvient Gérard Bonal. Le déclic, poursuit-il, ce fut la publication du premier volume de ses £uvres (il y en aura quatre) dans la Pléiade, en 1984, sous la direction de Claude Pichois, et l’émergence du mouvement écologique. » Doucement, le vent tourne, l’on redécouvre l’£uvre pléthorique (une quarantaine de romans, mais aussi des nouvelles, des textes courts, des articles, etc.) qui a jalonné la vie mouvementée de celle qui aura brisé toutes les convenances (sociales, sexuellesà). Les biographies pleuvent, signées par les plumes les plus averties – Herbert Lottman, Jean Chalon, Michel del Castillo, Jacques Dupont, Julia Kristeva, Michel Mercierà A tel point que, lorsque les gardiens du temple cherchent à frapper les esprits pour racheter la maison natale – mise aux enchères – de l’auteur de L’Envers du music-hall, ils n’ont guère de peine à rameuter au théâtre parisien du Châtelet un parterre digne d’une soirée des Molières : en ce 9 novembre 2010 au soir ont notamment répondu à la mobilisation générale Carole Bouquet, Arielle Dombasle, Judith Magre, Andréa Ferréol, Didier Sandre, Danielle Delorme, Leslie Caron, Juliette, Guillaume Gallienne, Mathieu Amalricà Bilan : 100 000 euros récoltés (sur les 300 000 nécessaires) et une promesse de Frédéric Mitterrand. Qui sera tenue : le 12 septembre 2011, le ministre de la Culture annonce l’inscription de la maison de Saint-Sauveur-en-Puisaye à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques et son achat, aidé par l’Etat et les collectivités, par la Société des amis de Colette. Reste à financer les travaux de réhabilitation (1).
Désormais, tout le monde affiche sa passion pour la femme aux multiples facettes (voir ci- dessous) – seuls, dit-on, Yann Moix et Charles Dantzig auraient publiquement clamé leur dédain. Et pas une année ne passe sans que comédien, écrivain, admirateur y aille de son écot, puisant, par exemple, dans les souvenirs de l’actrice Colette (Colette, en tournée, formidable lecture de Sabine Haudepin), dans ceux de la journaliste à Marie Claire (J’aime être gourmande), dans sa jeunesse (Colette à 20 ans, de Marie Céline Lachaud) ou dans ses relations troubles avec Bertrand, le fils de son deuxième mari, Henry de Jouvenel (L’Aimer ou le fuir, par Delphine de Malherbe).
Une dimension sociale, une part d’animalité
Du bon et du moins bon, selon les maîtres d’£uvre du Cahier de l’Herne, trop heureux » d’enfoncer le clou » avec cette somme riche d’éclairages d’universitaires américains, de correspondances et de textes déclinant le roman familial, les apprentissages, les plaisirs physiquesà
Le dessein du tandem Bonal-Maget ? Montrer la modernité de » la femme la plus libre du monde « , selon Pierre Mac Orlan, dans une multiplicité de domaines. Ainsi de l’identité sexuelle. » Dans ses textes, tel Le Blé en herbe, elle s’interroge constamment sur la représentation de l’homme et de la femme. En inversant à loisir les qualificatifs, elle se rapproche des préoccupations récentes (et sources de polémique) des manuels scolaires, explique Frédéric Maget. De même, sa voix singulière – elle dit en substance qu’on n’a pas besoin d’idéologie, qu’on ne doit pas confier aux autres le soin de vivre – et son appréhension, par les sens, du monde sont plus que salutaires aujourd’hui. Elles supposent l’absence d’a priori, la patience. » Et de mettre encore en avant la dimension sociale de Colette, sa part d’animalité, ses relations avec Willy, plus complexes qu’on ne le croit, ou encore, à la fin de sa vie, ses extraordinaires leçons sur la douleur.
Le duo est intarissable sur l’amie de Cocteau et l’idole de Sagan. Monographie, textes et spectacles à venir, ouverture au public de la maison à la fin de 2013à la petite entreprise des Amis de Colette ne connaît pas le chômage.
(1) Association la Maison de Colette, www.maisondecolette.fr
Colette, sous la dir. de Gérard Bonal et Frédéric Maget. Cahiers de l’Herne, 336 p.
Et aussi : J’aime être gourmande, par Colette, avant-propos de Guy Martin. L’Herne, 104 p.
Colette à 20 ans, par Marie Céline Lachaud. Au diable vauvert, 170 p.
L’Aimer ou le fuir, par Delphine de Malherbe. Plon, 132 p.
MARIANNE PAYOT
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