Pascal Duquenne, héros malgré lui
Il aime la danse, la peinture, le sport, la musique. Et ses copains. Depuis le film Le Huitième Jour, il a changé le regard de millions de personnes sur la trisomie. Dans un livre, sa mère raconte enfin le vrai Pascal Duquenne.
Etre populaire, ça fait grossir. La preuve ? Depuis qu’il a été l’une des vedettes du film Le Huitième Jour, un succès mondial piloté par le cinéaste belge Jaco Van Dormael, et depuis qu’il vit dans le centre de Bruxelles, à deux pas de la Grand-Place, les restaurateurs le hèlent sans répit. » Hé, Pascal, tu viens manger ? » » Tu veux une gaufre ? » Mamie cacahuète (c’est le surnom de sa mère) s’inquiète : Pascal a tendance à grossir. Or, pour accompagner sur une scène les danseuses étoiles, comme il adore le faire, il faut la ligne, lui rappelle-t-elle. Elle lui répète donc, probablement pour la millième fois, qu’il ne peut pas accepter d’être invité par tous les commerçants du coin. » Sinon, dans cinq ou dix ans, il risque de croire que cela lui est dû « , glisse-t-elle. Comment Huguette Vandeput pourrait-elle oublier un instant que son fils est trisomique ?
Pascal Duquenne, 38 ans, est un artiste connu (il n’a pas cessé de faire du cinéma et il expose ses gravures). Mais il n’a pas la grosse tête : dans la maison de sa mère, à côté de son prix d’Interprétation récolté à Cannes et platement punaisé au mur, il a accroché la jarretière glanée au mariage de sa cousine. Rien n’indique qu’il accorde plus d’importance à l’un qu’à l’autre. Sa mère raconte pourtant que, comme une star, en vacances au Mont- Saint-Michel, il n’est jamais parvenu à y monter : des touristes avides d’autographes l’avaient retenu au pied des murailles. Mais, si Pascal est une étoile, c’est, également, parce que, grâce à sa gentillesse, à sa générosité et à ses talents artistiques, il appartient au clan restreint de ceux qui ont contribué à changer le regard des valides sur les handicapés.
Comme le raconte sa mère, dans le livre touchant d’entretiens confiés à Gilbert Serres (1), Pascal avait 2 mois quand un médecin a annoncé brutalement : » Madame, votre fils est mongol. » Ceux qui attendent un bouquin au vitriol sur le sort réservé aux handicapés – et à leur famille – seront déçus. Ce n’est pas que Mamie cacahuète manque d’événements désagréables, tristes, révoltants, insultants et dramatiques qui ont accompagné son parcours familial. Comme ces anecdotes sur ces gens qui, au restaurant, changeaient de table lorsqu’elle s’installait à proximité avec ses fils. Il a fallu une énergie exceptionnelle pour aider Pascal à devenir ce qu’il est et pour apprendre à lui faire confiance. Et il a, à nouveau, fallu du temps, mais aussi les retombées miraculeuses du film de Van Dormael, pour permettre à Pascal de vivre son rêve : désormais, il mène une vie indépendante.
Il habite dans un immeuble où d’autres amis handicapés ont, comme lui, chacun leur appartement. L’association Le Huitième Jour, maître d’£uvre de cet exploit (avec le soutien, entre autres, de la Ville de Bruxelles), ouvrira bientôt la quatrième maison du même genre. Mais la liste d’attente des handicapés réclamant leur autonomie est encore longue…
Aujourd’hui, Pascal, manifestement doué pour apporter du bonheur dans la vie des autres, ne se rappelle plus en quoi le film qui l’a rendu célèbre a bouleversé le cours de son existence. Il dit juste que c’est un bon souvenir, puisque ses copains étaient là ! Sa vie paraît bien réglée, et son énergie créatrice, débordante, bien canalisée entre le Creahm (le Centre de créativité pour handicapés mentaux, fondé par Luc Boulangé), son foot, son hockey, ses bouffes avec ses potes, sa gravure, ses séances de kiné, sa gymnastique et sa batterie. Bientôt, il débutera un nouveau tournage. Et, pour ne pas prendre du poids, ce clown-né a trouvé un bon système : désormais, il passe par les rues où l’on ne sent pas l’odeur des gaufres.
(1) Pascal Duquenne, avant,
pendant et après Le Huitième Jour (France Europe éditions,
parution fin mars).
Pascale Gruber
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