Ovaldé l’amazone
La romancière déploie, à bride abattue, l’étonnant destin d’une lignée de filles-mères. Une saga formidable, aux accents sud-américains.
Elle a beau avoir depuis longtemps délaissé son triste pavillon familial, s’être éloignée de son rude peintre en bâtiment de père, ne plus lire en cachette Hemingway ou Boris Vian, la Française Véronique Ovaldé n’en a pas fini avec ses rêves d’ailleurs.
Grâce de l’écrivain que de garder cette part d’enfance ? Force de l’écrivain que de prouver au monde que le fatum n’existe pas ? Pierre après pierre, Véronique Ovaldé, 37 ans, entrée dans l’édition par la petite porte – et aujourd’hui chef de fabrication chez Albin Michel Jeunesse – construit son univers. Un univers bien à elle, où respectabilité, liberté et vulnérabilité tentent la coexistence pacifique. Après Le Sommeil des poissons, en 2000, son premier roman, Les hommes en général me plaisent beaucoup, en 2003, ou encore Et mon c£ur transparent, voici Ce que je sais de Vera Candida, le formidable récit onirique d’une lignée de mères célibataires nées sous le soleil trompeur des Caraïbes.
Véronique Ovaldé aurait dû s’appeler Ugaldé, si les fonctionnaires de l’état civil avaient bien orthographié le nom de ses grands-parents venus de la Navarre espagnole. Est-ce pour cela que la romancière aime à affubler ses héros des noms les plus pittoresques, Lancelot hier (Et mon c£ur transparent), Jéronimo ou Hyeronimus aujourd’hui ? Délibérément fantaisiste, la Séquano-Dionysienne se façonne une géographie imaginaire : ses » vies amazones » – ainsi a failli s’intituler ce roman – se déploient entre l’île de Vatapuna et une ville, Lahomaria, d’un pays passablement autoritaire et inégalitaire, situé quelque part en Amérique du Sud. La romancière se joue aussi des mots, de la syntaxe, de la ponctuation : les majuscules succèdent aux virgules, les parenthèses se multiplient, les maximes se pétrissent à la sauce caribéenne ( » Autant espérer une pluie d’or du cul d’un âne « , » Le ver est dans la goyave « ). Des phrases chaloupées qui délivrent un parfum d’étrangeté et de folle gaieté, malgré l’âpre destin des personnages.
Car, derrière le merveilleux, Véronique Ovaldé n’oublie ni la cohérence de son récit ni la trame de la vie de ses femmes, à la fois fortes et fragiles, fières et soumises. Au centre de la scène donc, sur fond de palétuviers et de margousiers, Vera Candida. Son histoire commence avec celle de sa grand-mère, Rosa Bustamente, qui, après avoir été la plus jolie pute de Vatapuna, s’est reconvertie en pêcheuse de poissons volants. Une existence somme toute tranquille que l’arrivée de l’inquiétant Jéronimo, ancien détrousseur de casinos, va durablement perturber. La voilà enceinte, à 40 ans, d’une petite Violette. On passera vite sur cette dernière, alcoolique prématurée, dont le fruit des entrailles – à la portée de tous les mâles de l’île – Vera Candida, sera élevé par Rosa. Comment échapper à la fatalité ? A 15 ans à peine, la belle Vera Candida tombe enceinte à son tour. Fuyant sa honte, elle se réfugie sur le continent, au palais des Morues, un foyer pour jeunes mères abandonnées, avec son nouveau-né, Monica Rose.
Si les femmes sortent la tête haute du récit, les hommes, eux, ne sont guère reluisants – fourbes, brutaux, violeurs. A l’exception d’un reporter au pseudonyme batailleur, Billythekid, défenseur des victimes en tout genre, qui s’amourache de Vera Candida. Guerre des sexes, tableau social, mais aussi simple et belle histoire d’amour… traversent cette saga baroque aux accents sud-américains. Un seul souhait : que Mme Ovaldé n’interrompe jamais ses rêves !
Ce que je sais de Vera Candida, par Véronique Ovaldé. L’Olivier, 298 p.
Marianne Payot
des femmes à la fois fortes et fragiles, fières et soumises
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