Otan pour moi: pourquoi le PTB s’ est planté
Tout occupé à dénoncer partout et toujours l’impérialisme américain, le PTB s’est ridiculisé en ignorant jusqu’au bout la menace russe qui pesait sur l’Ukraine.
19 février, 8 h 51, le soleil s’est levé doucement, à l’Est, et Raoul Hedebouw, qui n’y voit pas la guerre qui s’y trame, publie sur Facebook une observation sur la situation en Ukraine. Enfin, plutôt, une observation sur les observations sur l’Ukraine.
« Les USA nous ont menti à propos de:
– l’Irak
– l’Afghanistan
– la Syrie
– la Libye
– le Vietnam
– la Bolivie
– le Venezuela
– le Guatemala
– le Honduras
– Haïti
– Cuba
– le Panama
– le Nicaragua
… mais ils diraient maintenant la vérité sur l’Ukraine? », écrit alors le président du PTB, liké par 413 personnes.
Par quoi Raoul Hedebouw a-t-il donc été aveuglé, alors qu’il regardait vers le levant?
Pas même une semaine plus tard, il apparaît désormais que la Maison Blanche était mieux informée que le boulevard Lemonnier, que le Pentagone avait dit la vérité, contrairement à La Braise de Liège, et que le strabisme du PTB, jamais aussi prompt à dénoncer l’impérialisme américain qu’à ignorer celui des antiaméricains, met en difficulté la généralement si habile formation de la gauche de la gauche.
Après avoir, il y a deux jours, estimé « urgent de revenir aux accords de Minsk » de 2016, le PTB a condamné jeudi, par communiqué, « l’intervention militaire russe en Ukraine, qui suit la reconnaissance unilatérale de l’indépendance de Donetsk et Louhansk. Il s’agit d’une violation flagrante de la souveraineté ukrainienne, de la charte des Nations unies et du droit international », et réclamé d’urgence une « désescalade » alors que, partout ailleurs, s’élevaient les voix pour durcir les sanctions contre la Russie de Vladimir Poutine… et pour dénoncer les ambiguïtés de la formation de la « gauche authentique ».
Jeudi après-midi, en séance plénière de la Chambre, les questions-réponses au gouvernement ont tourné à la curée pour le député PTB chargé des questions internationales, le Bruxellois Nabil Boukili.
A l’exception du Vlaams Belang, tous les groupes politiques qui ont pris la parole ont en effet lancé, avec plus ou moins d’emphase, de vengeresses piques à l’adresse du PTB. La ministre des Affaires étrangères, Sophie Wilmès, a été jusqu’à avouer « sa honte », et le Premier ministre Alexander De Croo jusqu’à considérer le parti communiste comme « un allié » de l’agresseur russe.
C’est factuellement exagéré: le PTB n’a absolument aucun lien, ni historique ni contemporain, avec la Russie, et nulle part dans sa récente littérature doctrinale on ne trouve de compliment, même indirect, à Vladimir Poutine et à son régime. Mais son opposition à l’Otan et aux Etats-Unis, doublée d’une vieille amitié pour la Chine, l’ont coincé dans le ridicule.
Historiquement, d’ailleurs, le PTB et son prédécesseur direct, AMADA-TPO (Alle macht aan de arbeider – Tout le pouvoir aux ouvriers) était même, quoique communiste, très critique envers l’Union soviétique. Les fondateurs du parti, en effet, affichaient un marxisme-léninisme d’inspiration chinoise, et il n’y avait à cette époque pas de pire ennemi du modèle maoïste que le communisme brejnevien. Cette hostilité à Moscou a ensuite connu, jusqu’à l’effondrement soviétique de 1991, une intensité plus ou moins grande, mais elle a empêché les militants les plus anciens de vraiment tisser des liens dans cette partie du monde.
Et si Ludo Martens, principale figure du PTB des premières décennies, a publié Un autre regard sur Staline pour tenter de réhabiliter la figure du Petit père des peuples, c’était surtout parce qu’il considérait ses successeurs au Kremlin comme de fieffés félons, à la fois captateurs et négateurs d’héritage.
Il n’y a donc rien, dans l’actuelle cécité pétébiste, d’une forme d' »ostalgie » des années héroïques: ce n’est, en fait, que la continuation d’un réflexe antiaméricain, accentué par les effets de la montée en puissance de la Chine.
Dans le rapport diffusé après son dernier congrès, dit « de l’unité », et qui s’est conclu début décembre avec l’élection de Raoul Hedebouw à la présidence, la Russie n’est qu’une pièce rapportée du chapitre consacré aux relations internationales, intitulé « Nous choisissons la paix ». La dénonciation des Etats-Unis, « une superpuissance en déclin » est explicite. Les félicitations adressées à la Chine, amie historique qui « en quarante ans a sorti huit cents millions de personnes de la pauvreté grâce à d’importants investissements publics, des programmes de développement et des programmes sociaux », « pas impérialiste ni colonisatrice », et où, « pour lutter contre le terrorisme, le séparatisme violent et l’extrémisme, des mesures répressives drastiques ont été prises », sont plus implicites.
Le PTB n’a aucun lien avec la Russie. Mais son opposition à l’Otan et aux Etats-Unis, doublée d’une vieille amitié pour la Chine, l’ont coincé dans le ridicule.
L’amie de l’ennemi de mon amie
La Russie n’est, dans ce chapitre, mentionnée que comme l’amie d’une amie attachée à constituer un monde multipolaire « en coopération avec les pays qui le souhaitent », comme « dans l’Organisation de Shanghai, [où] c’est la coopération avec la Russie qui constitue le noyau ». Ou alors, et beaucoup plus largement, comme l’ennemie d’un ennemi (et de ses amis) « déterminé à ne pas céder la position de leadership dans le monde » et prêt, pour cela, à lancer « une nouvelle guerre froide » contre la Chine, mission pour laquelle « tous les moyens sont bons, à commencer par la diabolisation de l’adversaire ». D’ailleurs, « les Etats-Unis ont un palmarès impressionnant en matière de propagande grise et noire contre les pays et régimes qui leur déplaisent ».
L’Otan, instrument essentiel de l’ancienne guerre froide, le serait également, selon le PTB, pour la nouvelle, puisqu’après l’URSS et la Russie, elle se serait donné une seconde cible, la Chine. « Aujourd’hui, l’Otan désigne sans ambages la Chine, pourtant de l’autre côté du globe, comme le nouvel ennemi commun. »
Le PTB n’a pas attendu ce réalignement stratégique pour s’opposer à l’Otan et à l’impérialisme américain. Mais celui-ci lui a donné encore plus de raisons de s’y opposer. Et à cet égard, déplore encore le texte, « Washington exige que les alliés de l’Otan augmentent leurs dépenses militaires. Pour la Belgique, l’objectif de l’Otan de consacrer 2% de son PIB aux dépenses militaires équivaut à une augmentation de cinq milliards d’euros par an. Par le biais de l’Otan et des traités européens, le wagon européen est amarré à la locomotive américaine. » Il s’agirait donc de s’en détacher, ce que les événements de ces derniers jours en Ukraine ne semblent pas annoncer.
L’Ukraine, elle, n’est jamais citée dans ce rapport du Congrès de l’unité. Mais comme elle est l’amie du nouveau grand ennemi de l’amie du PTB, celui-ci a sans doute mis encore plus de temps qu’à l’époque de l’ancienne guerre froide pour s’apercevoir qu’elle était aussi, et surtout, la victime de la Russie.
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