Obligation photovoltaïque pour les gros consommateurs: « Cette mesure est la bienvenue, il en faut d’autres »
Faut-il obliger les gros consommateurs d’électricité à se doter de panneaux photovoltaïques, comme la Flandre l’a récemment décrété? Oui, estime Benjamin Wilkin, directeur de l’asbl Energie Commune (ex-Apere), qui y voit un double intérêt, individuel et collectif.
Le 23 novembre dernier, le parlement flamand a adopté un décret visant à obliger, d’ici à juillet 2025, les acteurs consommant au moins 1 000 MWh d’électricité par an à équiper leurs toits de panneaux photovoltaïques. Cette mesure, qui concernerait quelque 2 500 entreprises au nord du pays, vaut pour les propriétaires, bénéficiaires d’une emphytéose ou d’un droit de superficie des bâtiments concernés. Pour les organismes publics, cette obligation s’applique dès que la consommation annuelle dépasse 500 MWh – soit environ sept cents sites. Une valeur seuil dégressive pour ces derniers, puisqu’elle diminuera à 100 MWh d’ici à 2026. Comme le prévoit le décret, dont les modalités pratiques doivent encore être définies, le gouvernement flamand tiendra compte des autres formes d’énergie renouvelable pour évaluer le respect de cette obligation.
Obliger les gros consommateurs d’électricité, à l’échelle des industries et des entreprises, à installer des panneaux photovoltaïques, bonne ou mauvaise idée?
Cette mesure me semble vraiment opportune et d’autant plus facile à mettre en œuvre qu’elle aidera ses publics cibles d’une manière ou d’une autre. La crise récente a notamment démontré la vulnérabilité de l’Europe en matière de ressources en énergie. En dehors du renouvelable et du nucléaire, on a peu de prise sur l’accessibilité et le prix, deux éléments qui vont évidemment de pair. Une partie de la classe politique semble enfin en avoir pris conscience. Quelle que soit leur taille, les entreprises doivent désormais intégrer le coût de l’énergie à leur modèle économique. Certaines, à l’image de Colruyt, le font depuis longtemps, alors que ce n’est pas du tout leur cœur de métier. Par ailleurs, dans un marché comme la Belgique, la demande des gros consommateurs tire les prix de l’électricité vers le haut, y compris pour les petits acteurs et les particuliers.
Nous sommes à l’aube d’autres mesures bien plus coercitives dans une optique économique.
Si certaines entreprises n’ont pas encore franchi le pas, n’est-ce pas pour des raisons financières ou techniques, auquel cas une obligation transversale a peu de sens?
Il me paraît évident qu’il faut prévoir un système de dérogations pour celles qui ne seraient pas en mesure, preuves à l’appui, de respecter cette obligation. Mais je pense que nous sommes à l’aube d’autres mesures bien plus coercitives, dans une optique économique et plus uniquement liée à la crise climatique. En France, par exemple, le Sénat a adopté un projet de loi visant à recouvrir les parkings extérieurs de plus de quatre-vingts places en ombrières photovoltaïques. Pour cette obligation-ci, j’ai donc envie de dire: allons-y!
La Wallonie, elle, fonctionne surtout avec des incitants. Mais l’installation du grand photovoltaïque, qu’elle appelle de ses vœux sur les parkings et les grands toits, est plutôt lente…
Tout à fait. L’une des raisons, je pense, c’est que le temps de retour de ce type d’investissements est encore trop long par rapport à l’horizon temporel dans lequel se projettent la plupart des entreprises. S’il atteint trois ans, c’est déjà bien. La mesure adoptée par la Flandre est donc vraiment la bienvenue et il en faut d’autres. Dommage qu’elle n’existe pas en Wallonie pour le moment.
Faut-il ouvrir le débat sur l’une ou l’autre obligation énergétique pour de plus petits acteurs, dont les particuliers, ou est-ce prématuré dans une société marquée par les libertés individuelles?
De mon point de vue, il n’est jamais trop tôt. Il y a comme un paradoxe: en Belgique, la propriété privée est presque une valeur en soi, mais elle n’est assortie d’aucun devoir. De ce fait, quand on fait face à un problème de précarité ou de dépendance énergétique, parce que nos bâtiments ne sont pas suffisamment isolés, on ne parvient pas à agir sur cette infrastructure de l’habitat, globalement privée. Avant la crise énergétique, peu de gens se souciaient des carottes que la Wallonie proposait pour rénover leur bien. Jusqu’il y a trois ans, un bâtiment énergétiquement performant se vendait au même prix qu’un autre sur le marché. In fine, même l’infrastructure privée reste collective, puisqu’elle se transmet de personne à personne. De même que l’on exige un certain niveau de salubrité pour louer un logement, il faut établir des règles pour ce que certains appellent la salubrité énergétique.
A vous entendre, les conditions ne sont toutefois pas remplies pour envisager des obligations en la matière…
Il est vrai que l’on ne démarre pas d’un système favorable à une obligation. Cela dit, la réflexion visant à imposer la rénovation énergétique de biens au PEB médiocre est en cours depuis quelques années déjà. Avec la crise, ces indicateurs PEB, bien qu’imparfaits, commencent enfin à avoir de la valeur. En Flandre, l’obligation d’intégrer du renouvelable dans les constructions neuves existe depuis quelques années. En Wallonie, ce n’est toujours pas transposé, alors qu’une directive européenne en parlait déjà en 2008.
En matière de transition énergétique, la priorité consiste à réduire la consommation, avant d’envisager des équipements technologiques, dont les matériaux sont eux aussi sous pression. Une obligation photovoltaïque ne met-elle donc pas la charrue avant les bœufs?
Pour les entreprises qui peuvent difficilement réduire leur consommation, c’est dans tous les cas pertinent. Pour les autres, il faudra prendre en compte cette dimension dans les éventuelles dérogations. Mais n’oublions pas que l’électrification de nos besoins est en marche. Quand bien même on diminuerait la demande en énergie dans l’ensemble, la consommation d’électricité, elle, devrait stagner, si pas augmenter. En ce qui concerne les panneaux photovoltaïques, on peut donc y aller sans hésitation.
Une obligation transversale ne risque-t-elle pas malgré tout d’aboutir à des situations absurdes comme, par exemple, l’installation de panneaux photovoltaïques sur des passoires énergétiques?
Disposer d’un cadre général n’empêche pas de l’assortir d’un peu de souplesse. Il y a suffisamment de personnes sensées pour identifier des nuances et des améliorations. Aujourd’hui, on n’a plus le temps de pinailler, y compris d’un point de vue économique. Si on a 10% d’échec, que ce soit pour cette mesure ou une autre, ce n’est pas grave. A choisir, mieux vaut concrétiser cent projets incluant quelques couacs plutôt que d’en réaliser cinq à la perfection.
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