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« Nous voulons briser la loi du silence, apporter un cadre sûr pour le témoignage»
En janvier, un collectif anonyme lance la page Instagram @MusicTooBelgium. Issu du milieu musical francophone belge, il met à disposition un formulaire qui s’adresse aux victimes de violences sexistes et sexuelles dans le secteur. Le bilan est sombre, affirme-t-il.
Pourquoi avoir lancé MusicTooBelgium?
Le collectif est porté par des personnes travaillant de près ou de loin dans le secteur de la musique. Nous avons vu l’expansion du mouvement MeToo en France qui a permis d’animer des initiatives comme MusicTooFrance: en plus de permettre un espace de libération de la parole, elle a favorisé l’écoute de celle-ci avec à la clé des enquêtes publiées par Mediapart, Néon ou StreetPress. Nous étions plusieurs à attendre que le mouvement se lance en Belgique. Nous avons donc constitué le collectif, pris contact avec MusicTooFrance et lancé le formulaire et la page Instagram. Le but principal est la dénonciation publique des agissements toxiques dans le milieu musical. Les hommes y restent majoritaires et le plus souvent à des postes décisionnaires, les violences sexistes et sexuelles y sont rarement dénoncées, l’impunité souvent assurée. Nous voulons briser cette loi du silence en apportant un cadre sûr pour apporter son témoignage.
Le nombre de cas avérés de harcèlement et/ou agressions dévoilés de cette manière sont assez nombreux.
Pourquoi avoir opté pour l’anonymat des témoignages et du collectif?
Le milieu musical belge francophone est assez petit: tout le monde connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un… L’anonymat des victimes évite qu’elles soient reconnues, notamment dans le témoignage déposé. Elles peuvent se choisir un pseudo, mais il est nécessaire de nous donner le nom des agresseurs ou agresseuses. L’ anonymat du collectif, lui, répond à deux impératifs: protéger ses membres, actifs ou actives dans le secteur, qui s’exposeraient à des conséquences sur leur carrière, et permettre aux victimes d’apporter un témoignage qu’elles n’auraient peut-être pas osé exprimer face à une personne qu’elles connaissent. L’ anonymat strict, des victimes comme des membres du collectif, permet d’offrir un cadre plus sûr pour recueillir les témoignages. Ces derniers mois, le nombre de cas avérés de harcèlement et d’agressions dévoilés de cette manière sont assez nombreux. Il n’y a qu’à regarder l’ampleur du mouvement BalanceTonBar ou des affaires dans les universités.
Sexisme et violences envers les femmes sont-ils particulièrement à l’œuvre dans le milieu musical?
Comme partout et avec les mêmes effets: moins de femmes à des postes à responsabilité (direction des grandes salles de concert, festivals, conservatoires, labels) et à faire une carrière à succès, particulièrement en tant qu’instrumentiste. Les études sur la question démontrent aussi que harcèlement et violences sexuelles n’épargnent pas le milieu, à tous les échelons d’une carrière.
Quel bilan tirez-vous de l’initiative?
Un bilan plutôt sombre: les témoignages sont nombreux et certains extrêmement durs. Mais on peut deviner qu’ils ne représentent qu’une partie de la réalité, certaines victimes craignant un retour de flamme si leur témoignage est rendu public. Nous avons pensé le formulaire pour qu’il soit le moins restrictif possible: cadrer les agressions dans une période donnée n’était pas pertinent, car le temps entre les faits et la libération de la parole de la victime reste très variable ; il n’y a, pour nous, pas de date de prescription des faits. De la même façon, le formulaire a essayé de s’éloigner de l’idée qu’il y avait un profil type d’agresseur ou agresseuse. Notre but est avant tout de légitimer le vécu des victimes en leur permettant de partager ce qu’elles ont pu vivre, de la blague déplacée au bisou volé, du harcèlement au viol, quelle que soit la période des faits.
Qu’allez-vous faire de ces témoignages?
Aucun ne sera diffusé. Maintenant que le formulaire est clôturé, nous pouvons recouper les récits, les relier et dessiner des profils. Nous voulons ensuite solliciter des journalistes pour investiguer plus ardemment sur certains cas.
L’entretien a été réalisé par courrier électronique. Les réponses à nos questions sont le fruit d’une concertation entre les membres du collectif.
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