» Nous sommes tous Charlie  » Vraiment ?

Alain Destexhe Ex-Sénateur

Janvier – A la suite de l’attaque de Charlie Hebdo, 44 chefs d’Etat et de gouvernement participent à une  » marche républicaine  » qui rassemble plus d’un million et demi de personnes à Paris. Tout le monde est Charlie.

Je me méfie de ces grands élans unanimes de compassion lors des grandes tragédies. Aptes à canaliser la tristesse et l’émotion générale, ils risquent aussi de masquer l’essentiel.

Ce n’est pas à  » la liberté d’expression  » que se sont attaqués les assassins, mais à la liberté de blasphémer l’islam et de critiquer et caricaturer le Prophète.

Si  » nous sommes Charlie « , tous les journaux de France et d’Europe devraient s’empresser de reproduire les dessins qui ont condamné à mort les journalistes de Charlie Hebdo. Le feront-ils ? Probablement pas.

Si  » nous sommes en guerre « , il faudrait peut-être songer à dire contre qui et non se contenter, comme le président de la République française, de termes vagues censés nous faire comprendre qui est l’adversaire ( » l’obscurantisme « ,  » le fondamentalisme « …) sans offenser  » la grande religion de paix et de bénédiction  » (David Cameron) au nom de laquelle un attentat terroriste est commis tous les jours dans le monde.

Bien sûr, l’immense majorité des musulmans est horrifiée, mais on ne peut réduire l’islam radical à une poignée d’égarés, d’illuminés ou de  » déséquilibrés « . C’est un phénomène de société qui touche un nombre croissant de jeunes.

On se demande d’ailleurs si les actes de  » déséquilibrés  » avant Noël ont bien permis au gouvernement français de saisir la nature et l’ampleur de la menace.

Les ennuis de Charlie Hebdo avec les islamistes radicaux remontent à la reproduction dans l’hebdomadaire des caricatures du journal danois. A l’époque, certains qui  » sont Charlie  » ont jugé cette attitude  » provocante  » et  » inutile « .

N’en déplaise au président de la République, passé le stade de l’émotion, on va évidemment voir refleurir les divisions dans l’analyse ainsi que sur les mesures à prendre.

On va voir – on voit déjà – ceux qui appelleront à  » ne pas provoquer  » (avec des phrases ou des dessins) car  » ce serait mettre de l’huile sur le feu « .

On voit déjà ceux qui  » condamneront le terrorisme  » mais, dans le même communiqué, appelleront à  » lutter contre l’islamophobie « , un concept qui s’est, hélas, imposé dans les médias, mais qui n’est autre que la liberté de critiquer l’islam en tant que religion (l’islam n’est pas une personne).

On voit déjà  » dénoncer le risque d’amalgame « , une ritournelle chaque fois qu’un incident grave est provoqué par l’islam radical. Certains sujets seraient donc tabous ? N’est-il pas temps, au contraire, d’engager un débat sur les sujets qui divisent et par exemple celui-ci : le refus de l’apostasie est-il compatible avec les valeurs de nos sociétés ? N’est-il pas temps de reparler d’intégration, voire d’assimilation autrement qu’en se balançant des insultes ?

On voit surtout comment l’autocensure, qui est – déjà – la règle dans les rédactions, risque de triompher encore un peu plus. Nous aurons peur et c’est bien le but recherché. Les terroristes seront en prison, mais le souvenir de la terreur qu’ils peuvent imposer restera et en ce sens ils auront gagné.

Pourtant, si nous acceptons l’idée qu’une religion, et une seule, a le droit de ne pas être caricaturée ou offensée, nous aboutirons à cette  » tyrannie du silence « . Ce sont les soi-disant offensés qui décideront in fine ce qui se publie ou pas.

Certains qui  » sont Charlie  » refusent souvent de débattre de ces sujets autrement qu’en disqualifiant ceux qui les abordent en les traitant de racistes ou de fascistes.

Charb, le directeur de Charlie Hebdo disait :  » Je préfère mourir debout que vivre à genoux.  » Reste à voir comment nos sociétés vont honorer sa mémoire.

Alain Destexhe

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