Nids de plumes

Marianne Payot Journaliste

Réputées ou confidentielles, luxueuses ou spartiates, citadines ou perdues dans la campagne… Les résidences d’écrivain attirent toujours plus d’auteurs venus y chercher l’inspiration et le répit. Visite guidée de ces villégiatures vouées à la création.

Noire était la nuit, noir le vent chargé de pluie qui balayait le quai du terminus. J’étais rendu au bout de la terre, comme je l’avais souhaité. Nous fûmes en tout et pour tout trois voyageurs à descendre de la micheline. A part moi, il y avait un couple de vieillardsà  » La suite est à l’avenant pour l’écrivain narrateur de Résidence dernière (éd. des Busclats), invité hors saison dans le vieux donjon d’une petite cité balnéaire. Georges-Olivier Châteaureynaud, auteur de ce savoureux recueil de nouvelles, n’a pas connu pareille mésaventure, mais il a fréquenté quelques-unes de ces résidences d’écrivain ( » une situation éminemment romanesque « ) qui se multiplient à l’étranger. On en décompterait ainsi une centaine en France, plus ou moins organisées et pérennes – à tel point que la Maison des écrivains et de la littérature (MEL), censée recenser les lieux, peine à maintenir la liste à jour sur son site. Maison d’écrivain, château sur la Côte d’Azur, gîte dans un hameau isolé des Hautes-Alpes, ferme, sémaphore, appartement deux piècesà bienvenue dans le monde disparate de la résidence d’écrivain, qui, à l’exception de Patrick Modiano et de JMG Le Clézio, semble avoir reçu toute la constellation littéraire.

Grandeur et servitude du résident

Sur le papier, tout paraît simple. La résidence répond à deux désirs : d’un côté, celui d’une commune, d’une association, d’un particulier (libraire, bibliothécaire, châtelain ou héritier) de faire vivre un lieu ; de l’autre, celui de l’écrivain de venir créer dans cet univers (ou de s’affranchir des contraintes familiales, voire, plus prosaïquement, de gagner un peu d’argent) ; le tout, sous les auspices des collectivités publiques qui voient d’un bon £il ces démarches qui s’inscrivent dans leur politique d’aide à la création littéraire. Mais les hébergements ne sont pas toujours au diapason et, comme dans les locations de vacances, certains écrivains se retrouvent sans chauffage ni eau chaude, ou près d’une soufflerie dans un petit lit étriqué.  » Nous essayons de canaliser les bonnes volontés, explique Christian Ryo, directeur de Livre et lecture en Bretagne, car les porteurs de projet ont souvent une conception romantique de l’auteur, loin de l’être en chair et en os qui mange, dort, se déplaceà « 

Pour Olivier Bleys, auteur de Pastel (Gallimard) et grand amateur de résidences, la faute en incombe  » au XIXe siècle, qui a forgé une image bohème de l’écrivain, vivant de l’air du temps « . Et, si l’on s’étonne devant lui des bourses allouées – le plus souvent par le Centre national du livre – en sus du gîte, Bleys s’insurge :  » Contrairement aux intermittents du spectacle, l’écrivain ne touche aucune allocation hors de ses droits d’auteur. Bref, je n’ai pas le sentiment d’être privilégié quand je perçois de 1 500 à 2 000 euros par mois pendant un ou deux mois.  »

En contrepartie, généralement, l’auteur doit environ 30 % de son temps en conférences, rencontres, etc. Une notion floue ( » 30 % de quoi, de 35 heures ? Avec ou sans les déplacements ?  » s’interroge François Bon) et parfois détournée, la puissance invitante ayant programmé pour son honorable hôte une avalanche d’interventions dans les écoles, les bibliothèques, les prisonsà  » Transformé en animateur culturel, l’écrivain est assimilé à un prestataire de services « , s’inquiète Olivier Bleys, qui prend soin de bien choisir ses destinations.

Le Graal romain

Son souhait le plus cher ? Le  » Graal  » des résidences, soit la Villa Médicis, à Rome. Recalé une première fois il y a deux ans, l’auteur du Jardinier d’Assise a de nouveau postulé cette année. Pléthore de candidats pour deux petits élus par an : la sélection, sur dossier et au terme d’un grand oral digne de l’ENA, devant une commission concoctée par le ministère de la Culture, est drastique. Jean-Baptiste Del Amo, jeune romancier remarqué pour Une éducation libertine (Gallimard, 2008), lui, en revient tout juste. Pourquoi a-t-il été choisi ?  » Grâce, je pense, à Frédéric Mitterrand, alors directeur de l’Académie de Rome, qui s’est enthousiasmé pour mon livre et a dû peser dans la balance malgré ma très mauvaise soutenance de mon « projet romain ».  » Sans compter qu’être publié par une grande maison constitue un atout non négligeableà Del Amo a vécu cette année comme une bouffée d’air.  » On peut s’isoler ou partager un déjeuner avec les autres résidents. L’idéal !  » Sur la colline du Pincio, il a terminé Le Sel, son deuxième roman, l’histoire d’une famille italienne installée à Sète, et bien avancé le troisième. Une année entre parenthèses, dont il émerge difficilement :  » Le retour est dur, une vraie claque « , avoue le quasi-trentenaire. Lorette Nobécourt a, elle aussi, été marquée par son séjour romain de 2002, pour y avoir rencontré le père de son fils, mais encore pour avoir vécu, dit-elle, « si longtemps dans tellement de beauté « . Même satisfecit de la part de Mathias Enard, résident 2005, dont le travail fut très productif (il déboucha sur Zone, paru chez Actes Sud), ou encore de Céline Minard, millésime 2007 ( » C’est une façon de ne pas voyager qui me convient « ).

Stendhal et la petite s£ur japonaise

Sur le podium des résidences, on trouvera également, sise à Kyoto, la Villa Kujoyama, petite s£ur de la Villa Médicis. Un vrai dépaysement. Et un stimulant indéniable aux yeux de Céline Curiol, partie enquêter en 2008 sur un sculpteur nippon :  » On est isolé, on perd ses habitudes, ses amis, c’est une bonne chose. Et on se lie avec d’autres créateurs, ainsi j’ai monté un projet avec un photographe plasticien.  » La lauréate 2011 a eu la main moins heureuse. Arrivée au début de janvier, Céline Minard repartait frustrée quelques jours après l’explosion du premier réacteur de Fukushima. Mais les retours précipités sont rares, même en ce qui concerne les missions Stendhal, une spécificité française qui ravit une trentaine d’écrivains par an. Le principe ? Partir, pour les besoins d’un livre en cours, dans le pays de son choix. Pierre Assouline a peaufiné ses Vies de Job en Israël, Maylis de Kerangal a grimpé en haut du Golden Gate Bridge, à San Francisco, avant d’écrire Naissance d’un pont, Jean Rolin s’est envolé vers Los Angeles à la recherche de Britney Spears (son roman sortira en septembre)à Pour Paul de Sinety, directeur du département livre de l’Institut français et grand ordonnateur des missions Stendhal, ce dispositif permet d’ouvrir la littérature française au monde. Il en est tellement convaincu qu’il planche actuellement sur l’éventuelle création d’une Villa à Dubaï ou à Abou Dhabi.

A l’ombre du  » grantécrivain « 

Chaque année, quelques heureux danophones ou céliniens triés sur le volet sont invités au Danemark, à Klarskovgaard, dans le domaine de l’ancien avocat de Céline. Témoignage de Pierre Grouix, poète et traducteur émérite, encore sous le choc de sa villégiature :  » Céline, qui a vécu là de 1948 à 1951, en a fait un enfer, un lieu de souffrance. Or c’est un paradis, on y est seul, en compagnie de quelques lapereaux et chouettes, la mer, le silence et l’ombre de Céline vous habitent. On se retrouve face à soi-même. « 

Se tenir à l’ombre du grantécrivain, c’est ce qu’Abdelkader Djemaï (Un moment d’oubli, Seuil), apprécie tout particulièrement. La maison de Louis Guilloux, à Saint-Brieuc, celle de Jules Roy, à Vézelay ( » J’avais l’impression qu’il allait passer la porte « ) ou encore celle de Marguerite Yourcenar, au mont Noir, dans le Nord, il les a toutes étrennées, entre deux autres résidences. Djemaï l’avoue volontiers :  » J’habite dans ma valise.  » Parmi toutes les maisons, celle de l’auteure de L’îuvre au noir jouit (comme son ancienne propriétaire) d’une fort belle réputation, notamment pour ses prestations  » haut de gamme « . Lorette Nobécourt, qui vient d’y peaufiner son prochain roman (Grâce leur soit rendue, Grasset), loue la quiétude de la maison du garde-chasse de l’Académicienne, les bons services de la gouvernante, la vivacité de ses corésidentes – une Roumaine et une Sud-Coréenne. De même garde-t-elle, comme nombre de ses coreligionnaires (René de Ceccatty, Maryline Desbiolles, Mathieu Riboulet), un souvenir ému de la belle convivialité du monastère de Saorge, dans les Alpes-Maritimes, aujourd’hui en suspens.

De Vesoul au pays du foie gras

Il y a encore plus exotique, et beaucoup plus spartiate. Ainsi Mathias Enard est-il allé se réfugier en 2009 au milieu des sapins vosgiens, à la Pensée sauvage, une résidence créée par Olivier Dautrey, un drôle de zèbre, qui fut comédien, libraire, batelier, etc.  » Il m’est arrivé de ne parler à personne pendant dix jours, raconte Enard, c’était très positif, je me suis enfoncé dans mon projet.  » L’auteur de polars Jacques Mondoloni puise lui aussi son inspiration dans les lieux, mais il ne conçoit pas ses séjours sans rencontres multiples. Depuis qu’il réside dans l’aile d’une forge à Villers-sur-Port, près de Vesoul, il a ouvert un atelier d’écriture, suivi un procès d’assisesà Du matériau pour ses futurs romans.

A chaque résidence son atmosphère. Aussi ne faut-il pas se tromper. Après avoir expérimenté avec délice l’abbaye cistercienne de la Prée (Indre) en compagnie de quelques compositeurs, Stéphane Héaume, le délicat auteur de La Nuit de Fort-Haggar (Seuil), s’est transplanté au pays du foie gras et du rugby, à Lombez (Gers). Un endroit certes charmant, mais peu approprié au caractère de cet hyperactif amoureux du bel canto. Claudine Galea adore être dépaysée, s’inscrire, elle la fille du Sud, dans les paysages nouveaux de l’Est ou du Nord. Une opportunité s’offre au Québec ? Elle accourt. Résultat : trois mois dans un appartement spacieux mais niché dans l’entresol d’un temple. Sans lumière ! Contrainte à faire le point sur sa vie. C’est aussi à cela que peuvent servir les résidencesà

MARIANNE PAYOT

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