Néoromanciers : le baptême du feu
Ils ont publié leur premier roman il y a près de deux mois. Comment vivent-ils la rentrée littéraire ? Ont-ils rencontré le succès ? Enquête.
Paris, 29 septembre, hôtel de Massa, superbe siège de la Société des gens de lettres (SGDL) : cinq auteurs sont sagement alignés devant quelque 150 personnes pour cette soirée consacrée aux » Premiers romans, nouveaux talents « . Tour à tour, Lionel Salaün, Douna Loup, Karin Albou, Thomas Heams-Ogus et Claudie Hunzinger – c’est eux – répondent, plus ou moins à l’aise, aux questions de l’animateur, tentent de résumer leur inspiration, puis lisent, trop vite ou de manière trop scolaire, quelques pages de leur roman, le rouge au front. C’est leur baptême du feu ! Ils sont 85, comme eux, cette année, à publier leur premier roman. 85 de tous âges – la plus jeune a 15 ans, le plus » ancien » pointe à 92 – de toutes professions – de l’ingénieur au comédien, en passant par l’enseignant, surreprésenté, l’inévitable journaliste ou l’adepte des petits jobs – à connaître les affres de leur première rentrée littéraire.
Voilà près de deux mois déjà qu’ils se sont lancés dans l’arène, après un été souvent angoissant – certains ont échappé au stress, comme Gaëlle Bantegnie, plus concernée par son accouchement que par la venue de son enfant de papier, Judith Perrignon, partie en reportage pour la revue XXI, ou encore Bernard Quiriny, déjà au parfum pour avoir publié préalablement des nouvelles. En cette mi-octobre, les dés sont presque jetés : les lauréats pointent le nez, d’autres peuvent encore y croire, beaucoup resteront sur le bord du chemin. Aucun, pourtant, ne pleurniche. Car, le premier miracle, ils le disent tous, est bel et bien d’avoir été publié. Pour le reste, ces néophytes apprennent docilement les règles du jeu. » Ils sont charmants, entend-on dans la plupart des services de presse des maisons d’édition, ils ne réclament rien, se réjouissent d’un article ici, d’un entrefilet là. » Leurs chiffres de vente ? Ils ne les connaissent pas – la plupart du temps, on leur épargne les mauvaises nouvelles – seuls quelques-uns sont avertis, ô bonheur, qu’on a réimprimé leur livre.
Plus un sou
Le savent-ils ? Les ventes d’un premier roman se situent, en moyenne, entre 500 et 800 exemplaires. Donc, après un calcul simple, les auteurs (qui toucheront environ 10 % du prix du livre et ont d’ores et déjà perçu, dans le meilleur des cas, entre 1 000 et 2 000 euros d’à-valoir) ne recevront plus un sou. Il y a des exceptions, bien sûr : Jonathan Littell, Goncourt 2006 pour Les Bienveillantes (près de 700 000 exemplaires dans la Blanche de Gallimard) ; Marie Darrieussecq et son Truismes, en 1996 (1 million dans 44 pays) ; Faïza Guène avec Kiffe kiffe demain, en 2004 (plus de 100 000), et encore Martin Page, en 2001, Jean-Baptiste Del Amo, en 2008à chaque millésime apporte son lot de divines surprises, mais rares auront le destin de Radiguet (Le Diable au corps, 1923), Sagan (Bonjour tristesse, 1954), Le Clézio (Le Procès-verbal, 1963) ou Modiano (La Place de l’Etoile, 1968)à
Alors, à défaut d’espèces sonnantes et trébuchantes, c’est la couverture médiatique qui ravira les néoromanciers. Un avant-papier dans la revue Livres-Hebdo, lue par toute la profession, une présence dans la sélection des premiers romans du Figaro littéraire, un article dans un journal influent (d’Elle au Monde, en passant par les hebdos), une citation sur France Inter, voire, cerise sur le gâteau, une invitation à La Grande Librairie de France 5à et le cercle vertueux qui s’ouvre en figurant (must du métier) sur une liste de prix – il ne faut jamais sous-estimer l’esprit d’observation, si ce n’est moutonnier, des médias et des membres des jurys. Un bon tiers des 85 primoromanciers de cette rentrée 2010 bénéficie, peu ou prou, de cet éclairage positif, ce qui ne préjuge en rien de la qualité des » laissés-pour-compte » : pas lus ou diversement appréciés, c’est selon, ils n’auront tout simplement pas réussi à se faire une place – elles sont chères – dans l’embouteillage éditorial.
Pour les autres, attention ! S’être distingué avec un premier opus n’augure pas spécialement d’une grande carrière littéraire, tant l’attention et la bienveillance de tous – presse, librairesà – retomberont lors de la parution du deuxième roman. Il est donc fortement déconseillé de quitter illico son travail pour » se consacrer uniquement à l’écriture « , comme il est mentionné sur un grand nombre de quatrièmes de couverture de livres d’inconnus. Mais ne désespérons pas Saint-Germain-des-Lettres et faisons un petit tour d’horizon (non exhaustif) des impétrants de l’automne.
Ils ont décroché le gros lot
Plus de 2 000 exemplaires vendus (1), de la presse et une sélection sur la première liste d’un prix littéraireà leur coup d’essai est plus que réussi.
Anne Berest, 31 ans, La Fille de son père (Seuil) : près de 5 000 exemplaires écoulés, sélectionné pour le prix de Flore et le prix France Télévisions, apprécié par les libraires et les médias. Créatrice d’une maison d’édition publiant récits et témoignages de particuliers, la jeune femme vit un véritable état de grâce : » Lorsque j’ai entendu parler de mon livre au Masque et la plume, mes jambes en tremblaient. L’autre jour, je suis allée signer (enfin, pas beaucoup) au Village des écrivains de la Fête de l’Humanité, où mes parents m’amenaient quand j’étais petite. C’était émouvant et sympathique. «
Bernard Quiriny, 32 ans, Les Assoiffées, lui aussi au Seuil : près de 5 000 exemplaires vendus, présent sur les premières listes du Renaudot, du Médicis et du Flore ! Remarqué pour un recueil de nouvelles, Les Contes carnivores (prix Rossel 2008), ce professeur de droit à Dijon et journaliste littéraire (Magazine littéraire, Tecknikart) a déjà tout du vieux briscard : » Si ce livre était passé inaperçu, j’en aurais pris mon parti, il est fait pour être là. Mais bon, cela se passe bien. » Notamment en Belgique, pays – largement revisité – où se déroule l’action de sa fable.
Thomas Heams-Ogus, 35 ans, troisième larron du Seuil, pour Cent-seize Chinois et quelques : avec des ventes dépassant les 2 000 et une sélection pour les prix Médicis et Wepler, ce chercheur en biologie moléculaire a de quoi se réjouir.
Gaëlle Bantegnie, 39 ans, France 80 (Gallimard) : plus de 3 000 exemplaires vendus, sélectionné sur la première liste du prix de Flore. Une année faste pour cette professeure de philo en congé de maternité : un enfant, un album (elle est chanteuse dans un groupe baptisé la Maman et la putain) et un roman qui enchante, de Nantes – sa ville d’origine – à Paris.
Claudie Hunzinger, 70 ans, Elles vivaient d’espoir (Grasset) : près de 3 000 exemplaires, une mention sur la liste du Médicis et une autre sur celle de l’Académie françaiseà cette artiste plasticienne, peintre et poète vivant en Alsace fait une jolie percée sur le front éditorial.
Ils sont très bien partis
Ils réunissent au moins deux de nos trois critères (de belles ventes, une presse non négligeable, une sélection pour un grand prix automnal), bref, ils font mieux que tirer leur épingle du jeu.
Antonia Kerr, 21 ans, Des fleurs pour Zoé (Gallimard) : 3 500 exemplaires vendus, beaucoup de presse (notamment féminine) et un passage » remarqué » à La Grande Librairie (prise d’angoisse, elle est restée quasi muette, suscitant du coup la sympathie) : » Je n’ai réalisé ce que c’était d’être publiée que sur le plateau de François Busnel. Auprès de moi, il y avait Bernard Quiriny, Amélie Nothomb et Jean d’Ormesson, c’était très impressionnant. » Depuis, ce même Jean d’O. se fait un plaisir de chaperonner la jeune fille.
Jean-Claude Lalumière, 40 ans, Le Front russe (le Dilettante). Sont-ce ses passages sur France Inter, France Musique ou France 3 ? Les papiers parus dans Lire, Marianne, Le Figaro littéraireà ?
Toujours est-il que ce fonctionnaire au musée d’Orsay a engrangé plus de 4 800 exemplaires de son roman narrant la montée à Paris d’un provincial.
Violaine Schwartz, 40 ans, La Tête en arrière (POL). Si le roman de cette cantatrice lyrique ne décolle pas encore complètement (moins de 1 000 exemplaires vendus), il a d’ores et déjà séduit le jury du prix Femina et ravira peut-être les auditeurs de France Inter (Micro fiction) qui pourront suivre, du 18 au 29 octobre, son histoire découpée en épisodes de six minutes.
Judith Perrignon, 42 ans, Les Chagrins (Stock). Malgré ses précédentes publications, l’ancienne journaliste de Libération ne roulait pas des mécaniques : » Je me demandais si j’étais légitime dans le registre romanesque ? » La réponse de ses confrères l’a confortée tout comme celle des lecteurs (plus de 2 000). Enfin, avoir signé au Salon de Nancy en face de Philippe Claudel, l’enfant du pays, l’a définitivement aguerrie.
Carmen Bramly, 15 ans, Pastel fauve (JC Lattès). Son père, l’écrivain Serge Bramly, était beaucoup plus inquiet qu’elle – les 3 300 exemplaires vendus ont dû le rassurer. Après avoir répondu en anglais à la BBC et côtoyé Les Grosses Têtes de RTL, la jeune lycéenne dit aujourd’hui pouvoir tout affronter, même les examens de première littéraire.
Olivier Benyahya, 35 ans, Zimmer (Allia). Il l’avait publié à compte d’auteur il y a trois ans, l’a fait jouer par Maurice Garrel au théâtre, autant dire que même la critique du Canard enchaîné ( » un massacre « ) n’a pas entamé le cuir de cet auteur iconoclaste ( » Je sais ce que mon texte vaut « ) qui entend écrire les textes les plus hallucinants possible. 2 500 exemplaires vendus.
Et aussi : Pauline Klein (Alice Kahn, Allia), Karin Albou (La Grande Fête, Jacqueline Chambon), Isabelle Monnin (Les Vies extraordinaires d’Eugène, JC Lattès), Hélène Grémillon (Le Confident, Plon), Balthasar Thomass (Le Cercle des cendres, Philippe Rey).
Ils peinent
Ils n’habitent pas forcément à Paris, ils ont des articles par-ci, par-là, mais pas suffisamment pour faire décoller les ventes, qui s’échelonnent d’un peu plus de 1 000 àà 200 exemplaires.
Agnès Olive, 44 ans, La Mort naturelle (Stock). Elle a créé à Marseille sa propre maison (pour éditer sa poésie et ses essais) mais vit la publication de son premier roman avec la fraîcheur du débutant. Quelques papiers laudateurs, une invitation sur RTL par Jean-Louis Debré, pourtant le bouche-à-oreille se fait attendreà
Laurent Cohen, 44 ans, Sols (Actes Sud). Traducteur, essayiste et critique pour une revue culturelle israélienne, cet érudit de Jérusalem reçoit de loin mais avec bonheur les échos sur son roman exigeant à la forme audacieuse.
Didier Desbrugères, 50 ans, Le Délégué (Gaïa). Ingénieur à Rennes, ce fou d’écriture se réjouit d’être invité dans des Salons du livre tout en méditant sur la trop grande place accordée aux best-sellers, surtout lorsqu’il s’agit de mauvaises critiques : » Un peu de gâchis, non ? «
Et aussi : Romain Monnery (Libre, seul et assoupi, au Diable Vauvert), Julie Douard (Après l’enfance, POL), Myriam Thibault (Paris, je t’aime, Léo Scheer), Christophe Ghislain (La Colère du rhinocéros, Belfond), Pierre Ducrozet (Requiem pour Lola rouge, Grasset), Douna Loup (L’Embrasure, Mercure de France), Jean-Philippe Mégnin (La Voie Marion, le Dilettante).
(1) Chiffres Edistat, au 3 octobre.
Marianne Payot
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