Mons : petits arrangements entre camarades ?

Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

Gilles Mahieu, secrétaire général du PS, a-t-il pris position en faveur d’un  » ami politique  » au détriment de la société de logements publics montoise ? Une lettre confidentielle, dont nous avons obtenu copie, pourrait le laisser penser. L’intéressé confirme, mais nie toute intervention.

La société de logements sociaux Toit et Moi (ex-Sorelobo), la plus importante et l’une des plus endettées de Wallonie, a remboursé récemment plus de 16 000 euros à l’un de ses directeurs-gérants licencié en 2004. Ses juristes s’y étaient pourtant opposés, de même qu’un service de la Société wallonne du logement (SWL), l’organe de tutelle. C’était compter sans l’intervention inopinée d’Alain Rosenoer, grand patron de la même SWL. Avec la bénédiction de Gilles Mahieu, secrétaire général du Parti socialiste ? L’ancien chef de cabinet du bourgmestre Elio Di Rupo soutenait en tout cas l’ex-directeur en question, selon un document envoyé par ce dernier à la présidente de Toit et Moi.

Rétroactes. Dans la nuit du 20 février 2003, un incendie ravage la tour de logements sociaux Les Mésanges à Hyon (Mons), faisant sept morts et vingt-six blessés. L’immeuble présentait de nombreuses lacunes de sécurité. Quelques mois plus tard, en décembre, le gouvernement wallon désigne un commissaire spécial à la tête de la Sorelobo. Un mastodonte dans le paysage wallon. Rebaptisée en 2005 Toit et Moi, l’immobilière sociale gère plus de 5 500 habitations à Mons, Frameries, Colfontaine et Quévy.

Il n’aura pas fallu trois mois avant que le commissaire spécial, Raphaël Pollet (PS), licencie le directeur-gérant Victor Zdanov. Incompatibilité d’humeurs, dit-on par-ci. Incompétence, dit-on par- là. Depuis, Zdanov a été renvoyé en correctionnelle pour  » homicides et coups et blessures involontaires par défaut de prévoyance et de précaution  » dans l’incendie des Mésanges. Il est cité à comparaître au côté de son beau-père, Maurice Lafosse, ancien bourgmestre de Mons et président de la Sorelobo au moment du drame, ainsi que de la société elle-même.

Le hic : Zdanov possédait un contrat en béton armé. Signé cinq ans plus tôt par son beau-père, le texte prévoit un engagement  » jusqu’à l’âge de la retraite, sauf licenciement pour motif grave « …

En conséquence, le directeur-gérant a pu négocier un joli parachute doré. Outre un préavis de neuf mois (88 271 euros), Zdanov a obtenu 154 401 euros d’indemnité destinée à couvrir le préjudice civil. Une somme nette d’impôts, garantit la convention de transaction signée entre lui et Pollet le 23 mars 2004.

Mais le fisc tique. Fin novembre 2008, alors que Raphaël Pollet a quitté ses fonctions depuis deux ans, Zdanov reçoit une invitation à payer 79 670 euros d’impôts sur son indemnité. En mars de l’année suivante, sans avertir Toit et Moi, Zdanov confie le dossier à un fiscaliste bruxellois, Maurice Eloy. Celui-ci introduit une réclamation. Après rencontre avec la fonctionnaire chargée du dossier et l’échange  » d’un certain nombre  » de lettres, l’avocat obtient gain de cause auprès du directeur des contributions. Affaire classée. Nous sommes le 18 novembre 2010. Moins de quinze jours plus tard, Me Eloy envoie sa petite note à Zdanov : 16 372 euros. Coquette somme pour un litige réglé à l’amiable.

Le 6 avril 2011, pressé par son conseil, Zdanov renvoie la balle à Toit et Moi. Dans une lettre à la présidente Joëlle Pourbaix, conseillère socialiste à Mons, l’ex-directeur-gérant invoque d’emblée l’autorité du secrétaire général du PS :  » Madame la présidente, suite aux différents entretiens avec monsieur Gilles Mahieu et comme il me l’a conseillé, je vous prie de trouver, en annexe, la note d’honoraires de mon conseil juridique […]  » Plus loin :  » Comme me l’a récemment précisé monsieur Mahieu, il est convenu que la prise en charge des honoraires sera assurée par la société Toit et Moi.  » Victor Zdanov ne renie pas ses propos :  » C’était dans le courrier, mais il s’agit de contacts informels… « , précise-t-il.

Nous avons essayé de joindre Gilles Mahieu. Par l’entremise d’Ermeline Gosselin, porte-parole du PS, celui-ci confirme  » qu’il partage l’idée que, légalement, (Zdanov) était en droit de réclamer des frais de justice « . Pour autant, le secrétaire général assure n’être jamais intervenu auprès du conseil d’administration et dit regretter que son avis ait été utilisé de cette manière.

Revenons à la lettre de Victor Zdanov. Dans son accusé de réception, daté du 16 juin 2011, la présidente de Toit et Moi répond que la convention  » ne prévoit aucune prise en charge des honoraires d’avocat  » et demande des renseignements complémentaires. Aucune mention n’est faite au secrétaire général du PS.  » Je n’ai pas eu de contact avec Gilles Mahieu à ce propos, affirme Joëlle Pourbaix. Ce n’est pas lui qui me dit ce que je dois faire et ce n’est pas son genre de se mêler des affaires de Toit et Moi. « 

Dans tous les cas, Zdanov a fini par obtenir gain de cause. Le service juridique de la société s’y était pourtant opposé, craignant d’instaurer un fâcheux précédent. En septembre 2011, son avocat externe déconseillait lui aussi de rembourser ces honoraires :  » L’issue du différend avec l’administration démontre que Toit et Moi avait correctement apprécié le régime fiscal avant de s’engager […]. Toit et Moi n’est pas tenue de supporter les erreurs d’appréciation des fonctionnaires de l’administration fiscale « , concluait Me Olivier Scheuer. Egalement sollicité, un inspecteur général de la Société wallonne du logement recommandait, en janvier 2012, de suivre ce dernier avis. Et donc de ne pas payer.

C’est là qu’intervient Alain Rosenoer. Dans une lettre datée du 1er février 2012, le directeur général de la SWL désavoue la première recommandation de ses services, qu’il juge superficielle, et demande à Toit et Moi de lui envoyer le dossier complet. Sa réponse tombe le 4 avril : Rosenoer suggère à Toit et Moi de payer la somme, étant donné qu’en contestant l’imposition Zdanov aurait limité les conséquences financières pour la société de logement. A défaut, estime-t-il, celle-ci aurait été contrainte de lui rembourser les quelque 80 000 euros que réclamait le fisc.

Trois avis contre, un pour : le 8 juin dernier, le conseil d’administration de Toit et Moi (en tout onze socialistes, trois CDH, deux MR et un Ecolo) décide à bulletin secret de verser à Zdanov ses frais juridiques, auxquels s’étaient ajoutés entre-temps 1 471 euros d’intérêts et 600 euros d’honoraires pour son nouvel avocat. La présidente était ce jour-là absente pour raisons professionnelles, de même que l’échevin du Logement de Mons, Nicolas Martin (PS).

Ce genre de vote opaque n’est pas sans rappeler celui qui, en mars dernier, a désigné Didier Donfut directeur-gérant de Toit et Moi. L’ex-ministre wallon et bourgmestre PS de Frameries s’était pourtant classé deuxième devant le jury de sélection. La Société wallonne du logement avait annulé la nomination, mal motivée.

Cette fois, le commissaire de la SWL auprès de Toit et Moi, Pascal Abandonné, n’a trouvé aucun motif juridique pour introduire un recours. Et faute de contestation, le ministre wallon du Logement, Jean-Marc Nollet (Ecolo), n’avait aucun moyen de suspendre la décision.  » En revanche, je peux vous dire que je ne la partage pas « , a précisé Nollet devant le parlement wallon, en réponse au député MR Jean-Luc Crucke.

Au total, le licenciement de Victor Zdanov aura coûté à Toit et Moi quelque 260 000 euros.

ETTORE RIZZA

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