Monde arabe, Le désert du savoir
Le retard dans le domaine des connaissances et de leur transmission entraîne l’absence de démocratie : c’est le constat d’un groupe d’intellectuels de la région travaillant pour l’ONU
Le monde arabe, avec quelque 270 millions d’habitants qui partagent une langue, une religion et une histoire communes, est un désert du savoir et de la création, selon un rapport d’un groupe d’intellectuels arabes qui, depuis quelque temps déjà, ont entrepris une critique constructive et courageuse de leur région d’origine. Celle-ci, soulignent-ils, en raison d’un environnement culturel et politique rétif à la recherche, ne dépose pratiquement plus aucun brevet scientifique. Elle publie de moins en moins de livres, lesquels sont de moins en moins lus et de plus en plus censurés. Quant aux nouvelles technologies, elles restent en marge de la société. Il existe dans le monde en moyenne 78,3 ordinateurs pour 1 000 personnes. Ce rapport n’est que de 18 pour 1 000 dans les 22 pays de la Ligue arabe. Et seuls 1,6 % de leur population ont accès à Internet.
Ce rapport, intitulé dans sa version en anglais Arab Human Development Report 2003 , a été rendu public le 20 octobre à Amman, capitale de la Jordanie. Réalisé sous l’égide du Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud), il approfondit une première étude, elle aussi réalisée sous la responsabilité de l’ONU par les mêmes auteurs, qui identifiait l’année dernière les trois » plaies » du monde arabe : le manque de liberté, l’aliénation des femmes et la faiblesse des processus d’acquisition et d’usage du savoir. Ce texte, dont Le Vif/L’Express avait alors rendu compte, avait eu un retentissement considérable. Cette nouvelle analyse devrait, elle aussi, provoquer débats et examens de conscience.
La connaissance, pour les auteurs du rapport, est un instrument au service des libertés. Sa diffusion commence par l’éducation, or celle-ci suit dans la plupart des familles arabes un modèle autoritaire qui restreint l’indépendance de l’enfant et ses aptitudes sociales. Elle entretient » des attitudes passives et certaines maladresses dans la prise de décision, et surtout, elle affecte les capacités de questionnement, d’exploration intellectuelle et d’initiative « . Le système scolaire ne vient pas altérer cette tendance. Les auteurs dénoncent une nouvelle fois le taux élevé d’analphabétisme chez les femmes, le nombre important d’enfants n’ayant pas accès à l’éducation de base. Ils déplorent le déclin du nombre des étudiants de l’enseignement supérieur et la mauvaise qualité de celui-ci, tandis que les dépenses d’éducation sont en repli depuis 1985.
Instruments de diffusion des connaissances, les médias ne sont pas à la hauteur d’une telle mission. Le monde arabe a le taux le plus faible au monde de journaux, de radios et de télévisions par habitant. Ces médias opèrent dans un climat de censure. La plupart des radios et des télévisions sont des institutions étatiques. Bref, la situation est accablante, même si sont apparus, au cours des deux dernières années, des journaux en langue arabe basés hors de la région et des chaînes de télévision privées par satellite qui commencent à éroder le monopole des gouvernements sur l’information.
L’édition n’est pas mieux lotie. Les livres publiés dans le monde arabe ne représentent que 1,1 % de la production mondiale, alors que la population constitue, elle, 5 % de la population mondiale. » L’auteur d’un livre et son éditeur doivent se soumettre aux états d’âme et aux instructions de 22 censeurs étatiques, et cela empêche l’ouvrage de circuler librement à l’intérieur de son marché naturel « , déclare ainsi Fathi Khalil el-Biss, vice-président de l’Union des éditeurs arabes, cité dans le rapport. Et, alors que jadis tant de textes de l’antiquité grecque et romaine ont été sauvés de l’oubli grâce aux traductions arabes, celles-ci ont pratiquement disparu.
Retrouver une vision humaniste de l’islam
Une société du savoir dans le monde arabe, selon les auteurs, suppose une révolution culturelle qui demande que soit » délivrée la vraie religion de son exploitation politique » et que soient respectés la critique, le droit d’interprétation et de dissension, afin de retrouver une vision civilisée, morale et humaniste de l’islam.
L’époque, cependant, n’est pas propice à l’ouverture. Les auteurs notent le revers que constituent les politiques adoptées par les pays arabes au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Sous couvert de lutte antiterroriste, les gouvernements, écrivent-ils, ont trouvé » de nouvelles excuses pour limiter encore davantage les libertés politiques et civiles « . L’Occident, dans ce contexte, porte une part de responsabilité. Les mesures qui y ont été adoptées ont particulièrement affecté les Arabes et les musulmans à l’étranger. Le nombre des étudiants originaires des pays arabes aux Etats-Unis a diminué de 30 % entre 1999 et 2002.
Critiques à l’égard d’interventions étrangères, favorables à une prise de conscience des élites locales, les auteurs affirment en conclusion que la recherche du savoir est une obligation morale, humaniste et universelle que réclament à la fois la culture arabe, son histoire et sa religion.
Michel Faure
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