Mike le maudit

Philippe Cornet Journaliste musique

Suicidé à l’âge de 28 ans, Mike Brant échappe à toutes les classifications, sauf celle de la mélancolie menant à la mort. Un double CD compilation rappelle sa grandeur vocale et son charme pessimiste.

Rarement il y aura eu une aussi grande dichotomie entre la perception publique d’un chanteur et son moi profond. Entre l’image donnée par ce beau mec débarqué d’Israël à Paris en 1969, avec une lourde histoire liée à la Shoah (sa mère est une rescapée d’Auschwitz), et son impact sur la génération des favinettes seventies. Ce gouffre, on le sait, finira par l’engloutir : Mike Brant ne rate pas sa seconde tentative de suicide le 25 avril 1975 en sautant du sixième étage d’un immeuble parisien. Il a à peine 28 ans mais sa brassée de chansons flambant les hit-parades a déjà tissé une légende.

Ses tubes, en larynx massif, s’appellent Laisse-moi t’aimer, C’est ma prière, Rien qu’une larme, Dis-lui ou Qui saura. En réécoutant les 43 titres, dont ceux-là, composant les deux bonnes heures de musique de Mike Brant Eternel, on est surpris par la double lecture. D’un côté, Brant incarne tout un système de variété française de l’époque, clichée, formatée, sur-arrangée comme peuvent l’être les prototypes de ces années-là. De l’autre, il transcende le sucre d’orge banalisé par le spectre de sa voix et les indices d’une véritable souffrance. Des dizaines d’extraits de textes – écrits par d’autres – abreuvent effectivement la fontaine du spleen et montrent que la façade de conquérant triomphal, de briseur de c£urs – ce qu’il fut largement – n’est qu’un appendice de circonstance :  » Donne un peu d’espoir à ceux qui le cherchent et qui ne veulent plus y croire  » ( Donne un peu de toi),  » C’était avant, c’était le bon temps, c’était hier  » ( Felicita),  » Je resterai seul  » ( Sans amis),  » Tu veux savoir si je suis seul et si je suis heureux  » ( On se retrouve par hasard).

Crooner d’un autre genre

S’il est assez commun, parmi les chanteurs, de se donner le rôle du cavalier solitaire (cf. Johnny Hallyday), il est plus rare que les textes traduisent d’emblée une telle mise en abyme face au succès. Et ce, même si le style littéraire de Mike Brant n’est pas exactement celui de Rimbaud en Abyssinie. Par ailleurs, sa maîtrise de la langue française – il n’en parle un mot en débarquant à Paris – est loin d’être éblouissante, à tel point qu’on ne comprend pas forcément tous les mots des premières chansons enregistrées. Son style est – définitivement – dans cette voix grasse et haute, d’une sensualité tourmentée propre à dégeler une banquise de crooners. Crooner, il l’est, mais, contrairement aux archétypes du genre (Presley, Sinatra, Tom Jones, Engelbert Humperdinck), il ne bourre pas son répertoire de testostérone : il le rend friable, vulnérable, sans garde apparente. De cette ambiguïté naît une émotion réelle, qui va au-delà des arrangements souvent pompiers – ch£urs, cordes, cuivres à profusion – imitant le style anglo-saxon sans en avoir la subtilité ou la puissance. A l’époque (1970-1975), cela jurait franchement avec la production  » sérieuse  » (rock), aujourd’hui, le charme rétro conforte cette drôle de mini-légende qu’est celle de Moshé Michaël Brand.

Le double CD Mike Brant éternel est distribué par Universal.

PHILIPPE CORNET

Le charme rétro conforte cette drôle de mini-légende

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