Microsoft rame
Absent du marché des tablettes tactiles, en difficulté sur les téléphones mobiles, le groupe accumule les retards et inquiète les marchés financiers. La rente des logiciels Windows et Office n’est pas éternelle : Steve Ballmer, PDG sous pression, doit réagir.
Chemise blanche et veste noire, l’hom-me au crâne dégarni éclate de rire à l’évocation d’un nom, celui de l’iPhone. » Un téléphone à 500 dollars ? Le modèle le plus cher au monde et, qui plus est, sans clavier ! Nous, nous vendons des millions de téléphones chaque année. Apple ? Zéro. » Quatre ans plus tard, on ne trouve nulle trace de sourire sur le visage de Steve Ballmer, PDG de Microsoft. Non seulement l’iPhone se vend par dizaines de millions d’exemplaires, mais il distance largement les Windows Phone dont la part de marché, tombée à 4,2 % en février dernier, ne cesse de dégringoler.
Le lancement d’une nouvelle version du logiciel n’y a rien changé, et la tentative de créer un téléphone aux couleurs de la marque, le Kin, s’est soldée par un désastre. Pour sauver la face, Ballmer a bien annoncé un partenariat avec le premier fabricant au monde pour équiper de Windows les futurs téléphones Nokia. Mais le finlandais, déjà en mauvaise posture sur son marché, a vu aussitôt son titre chuter en Bourse de 14 %, sous les railleries de la concurrence. » Deux dindes ne font pas un aigle « , lâchait, cinglant, un cadre de Google sur Internet.
Ce faux pas pourrait paraître anecdotique pour une société qui dépasse les 62 milliards de dollars de chiffre d’affaires, affiche une rentabilité de plus de 30 % et aligne des résultats record depuis sept trimestres consécutifs. Mais l’avertissement est clair. Après onze années passées à la barre de Microsoft, le successeur de Bill Gates n’a guère réussi à faire bouger le cours de Bourse du géant des logiciels cloué autour des 25 dollars, quand ceux d’Apple et de Google ont explosé.
Les inquiétudes se font entendre
Cette piètre performance pèse sur le moral des troupes. Le dernier plan de stock-options, alloué aux salariés en 2002, touche à sa fin, et le pactole ne sera pas au rendez-vous. Ballmer en est conscient : 46e fortune mondiale selon le magazine Forbes (avec 14,5 milliards de dollars), il vient d’annoncer une hausse des salaires, quelques mois après avoir été contraint de réduire de moitié son bonus annuel. Pas sûr que ce geste soit suffisant, tant le PDG est désormais décrié. Le personnage fantasque, surnommé » l’homme singe » (Monkey boy), en référence à ses cris et sauts hystériques lors d’une grand-messe organisée à l’occasion des 25 ans de l’entreprise, ne fait plus rire grand monde.
» Beaucoup de responsables ont été frustrés par ses décisions. Il ne peut plus continuer comme cela, ou il y aura une révolution « , prévient un ancien haut responsable basé à Seattle. Car le téléphone n’est pas la seule erreur de vista du quinquagénaire au tempérament volcanique. Et, à présent, de plus en plus de voix se font entendre qui s’inquiètent du devenir même du groupe de Redmond.
Windows 8 disponible en 2012 seulement
La menace touche au c£ur du modèle économique de la société. Pour l’heure, la quasi-totalité des ordinateurs vendus dans le monde demeurent certes équipés de Windows, voire de la suite bureautique Office, grâce à des contrats de licence signés directement avec les fabricants. En clair, si le marché des PC se porte bien, Microsoft en profite. Dans le cas contraireà C’est là que le bât blesse. Aujourd’hui, » les consommateurs se tournent vers les tablettes et d’autres biens électroniques. Avec l’arrivée de l’iPad 2, en février, beaucoup ont déjà renoncé à acheter un PC. Il faudra voir si cette tendance a des effets sur le long terme « , relève Mikako Kitagawa, analyste pour Gartner.
Steve Ballmer n’a pas cru à ce nouveau marché, allant même jusqu’à railler Apple et son iPad, avant de se raviser. » Ils en ont certainement vendu plus que je ne l’aurais souhaité « , a-t-il reconnu. On attendait donc la riposte de Microsoft. Mais, au lieu de contre-attaquer, le patron a préféré remiser au placard son projet de tablette, baptisé Courier. Au passage, le groupe a laissé 1 milliard de dollars dans l’aventure. En pure perte.
Pour rattraper son retard, l’impétueux dirigeant s’est concentré sur le développement deWindows 8, destiné à tous les constructeurs de tablettes. Mais ce logiciel ne sera pas disponible avant 2012. Et la concurrence, entre-temps, n’est pas restée inactive. Le fabricant d’ordinateurs HP s’apprête ainsi à commercialiser son TouchPad équipé d’un système d’exploitation rival, WebOS. Quant à Sony, Dell, ou encore Samsung, ils ont choisi de s’allier pour l’occasion avec l’ennemi Google et son système Android.
Ce constat est d’autant plus alarmant que Microsoft échoue à venir sur les terres de ses adversaires. A deux reprises, le groupe a tenté de proposer ses propres créations au grand public. En vain. Lancé en 2006, son baladeur numérique Zune, censé concurrencer l’iPod, a fait long feu. Sa console de jeux Xbox 360, elle, se porte mieux, et son système de reconnaissance de mouvements Kinect a déjà été vendu à plus de 10 millions d’exemplaires en l’espace d’à peine six mois. » Mais si l’activité jeux vidéo gagne aujourd’hui de l’argent, elle demeure moins rentable que Windows et n’a toujours pas réussi à amortir les milliards de dollars engloutis depuis plusieurs années « , tempère un observateur.
Belle percée dans le monde de l’entreprise
Une consolation : à défaut de séduire le grand public, Steve Ballmer a tout de même réussi une performance, une percée dans le monde des entreprises. La vente de logiciels pour serveurs et autres bases de données représente désor-mais 15 milliards de dollars, soit près d’un quart de l’activité.
Ces bons résultats n’ont pas empêché le départ, il y a peu, de Robert Muglia, le responsable de cette activité et un des cadres historiques de la firme depuis plus de vingt ans. Le dernier d’une longue série, qui préoccupe les observateurs. Car, avant lui, de nombreux dirigeants ont fait leurs cartons, de leur plein gré ou non. Ray Ozzie, successeur de Bill Gates en tant qu’architecte en chef de Microsoft, devait mener la société vers le » cloud » – l’accès Internet à tous les logiciels du groupe. Il est parti sans avoir achevé sa tâche. Présenté comme un prétendant à la relève de Ballmer, Jeff Raikes, responsable de la suite bureautique Office, ne s’entendait pas avec le PDG, tout comme Robbie Bach, l’homme à l’origine de la Xbox, démissionnaire à la fin de 2010. Stephen Elop, encore, chargé des activités entreprise, a préféré rejoindre Nokia dont il a pris les rênes.
Un partenariat avec Yahoo! dont on attend les résultats
Et que dire du départ de Kevin Johnson ? Le bras droit de Ballmer n’a pas réussi à mener à bien le rachat du portail Yahoo!, en 2008, pour tenter de contrer l’hégémonique Google. Malgré cet échec, le moteur de recherches Bing a gagné des parts de marché aux Etats-Unis. Mais à quel prix ! Ces cinq dernières années, la division Internet a perdu 5,3 milliards de dollars et le partenariat avec Yahoo!, censé renforcer les deux groupes, n’a pas produit les résultats attendus sur les premiers mois de 2011 selon Carol Bartz, la PDG du portail.
Conclusion de Tristan Nitot, responsable Europe de Mozilla, à l’origine du navigateur Firefox : » En quelques années, Google est devenu le nouveau Microsoft ultradominant sur le Web, tandis que Microsoft s’est transformé en nouvel IBM. Une entreprise vieillissante, pas franchement marrante. » Ironie du sort, la valorisation du vieil IBM est sur le point de redépasser celle de Microsoft, suivant ainsi les traces d’Apple. Signe que les marchés sont inquiets et que la pression s’accentue sur Steve Ballmer et son manque de vision. Certes, Windows 7, Office et les logiciels d’entreprise rapportent toujours beaucoup d’argent, mais l’avenir dans les secteurs d’Internet, des téléphones mobiles et autres tablettes tactiles se dessine sans Microsoftà et, sans doute, sans Steve Ballmer. » La façon de faire du groupe n’a pas toujours su évoluer avec les demandes du marché, ou pas assez rapidement. Pas facile de se réinventer constamment quand on est aussi imposant « , tente d’expliquer Bruno Gralpois, ancien cadre marketing pendant dix ans chez Microsoft, et auteur d’ Agency Mania (Select Book, 2010).
Le géant peut compter sur un trésor de guerre de 50 milliards de dollars pour tenter de réaliser d’importantes acquisitions et, peut-être, rebondir. Comme le note un ex-responsable : » Après tout, ce serait stupide de mourir riche, sans avoir tout essayé. «
EMMANUEL PAQUETTE
De leur plein gré ou non, les managers quittent le navire
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