Mais o ù va-t-il?
Très critiqué pour avoir mal géré la révolution arabe, affaibli par l’affaire Alliot-Marie, Nicolas Sarkozy tente de retourner la situation en sa faveur. Un changement de pied soudain, mais qui en dit long sur sa détermination à remporter l’élection présidentielle de 2012.
Les gens honnêtes ne savent décidément pas se défendre ! Elle est trop mauvaise. » Parole d’avocat ? Parole de président. Début février : depuis plusieurs jours, Nicolas Sarkozy observe Michèle Alliot-Marie sombrer et commence déjà à réfléchir à haute voix, devant certains visiteurs, au nom de son successeur. Cela ne l’empêchera nullement, une semaine après avoir émis cette sentence, de lui transmettre, en plein Conseil des ministres, un mot de soutien.
Faut-il alors s’étonner que MAM ait voulu résister ? Après son tête-à-tête avec Nicolas Sarkozy, le jeudi 24 février, la ministre française des Affaires étrangères ne voit toujours aucune raison de partir. Le président ne le lui a pas explicitement demandé. Pourtant, au même moment, le Premier ministre François Fillon prévient un ministre que le sort de Michèle Alliot-Marie est scellé.
Elle est la seule à n’en pas croire un mot, la seule à être sûre de son bon droit. Si elle a accepté de monter dans le jet privé de l’homme d’affaires tunisien Aziz Miled, c’est parce que sa mère, opérée récemment de la hanche, évitera ainsi deux heures de route sur une mauvaise chaussée. Pendant que les plus éminents de ses collègues au gouvernement ne comprennent pas pourquoi » elle n’a pas dit la vérité » en inventant l’histoire de la rencontre par hasard sur le tarmac de l’aéroport de Tunis, elle se réconforte à la lecture des courriers de soutien reçus, l’écrivain Marek Halter, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Richard Prasquier. Sa cote de popularité parmi les sympathisants de droite, qui l’a longtemps rendue intouchable, dégringole (- 20 points entre décembre et février, selon le baromètre BVA-Orange-France Inter-L’Express), peu importe. Elle fait et refait ses comptes : » Je suis majoritaire dans le groupe UMP. » Si elle n’est pas allée en déplacement officiel en Tunisie, c’est, à l’entendre, elle et personne d’autre qui a envoyé sur place les ministres de l’Economie et des Affaires européennes, Christine Lagarde et Laurent Wauquiez. Elle s’autorise même une pique à l’encontre du chef de l’Etat : » Il n’a pas fait ce qu’il a dit qu’il ferait pour la réforme de son entourage. «
Trois jours plus tard, sa lettre de démission détaillera toutes les bonnes raisons qu’elle auraità de ne pas démissionner. Mais son éviction, au-delà de son cas personnel, a un immense avantage : fournir, a posteriori, une explication à l’absence de tout discours audible de la France face à la révolution arabe. » Le président a encore l’image de celui qui est là quand ça va mal, dans les banlieues en 2005, en Géorgie puis dans le secteur bancaire en 2008, observe un élu UMP. C’est cela qu’il risquait de perdre. «
Plus Nicolas Sarkozy parle de » République irréprochable « , et plus ses ministres tombent sous les reproches, victimes de leur comportement : Christian Blanc, Alain Joyandet, Eric Woerth et maintenant Michèle Alliot-Marie. Il a fallu convoquer la révolution arabe pour justifier un remaniement découlant d’une défaillance individuelle et d’une faillite collective face à un bouleversement du monde. Mais la perspective de » flux migratoires devenus incontrôlables « , selon l’expression utilisée dans son allocution télévisée, constitue une opportunité politique aux yeux du président. Il décide donc de l’exploiter immédiatement, au risque de donner le tournis.
Il est rare que Nicolas Sarkozy avoue s’être trompé. Cette fois, ce sont ses actes qui parlent pour lui : trois mois après un remaniement voulu, mais raté – » Ce gouvernement sera le dernier du quinquennat, sauf imprévu « , disait-il le 16 novembre à la télévision – il tente donc de réussir un remaniement qu’il a pourtant subi. La longévité ministérielle présentée comme un gage de performance fait long feu. C’est, en trois ans et neuf mois, le troisième ministre de l’Intérieur, le troisième ministre des Affaires étrangères, le troisième ministre de la Défense – pour ne citer que des ministères régaliens – que la France connaît. Face à la panique au sommet de l’Etat, l’urgence est à la reconstruction d’un dispositif politiquement efficace.
» J’ai passé l’âge «
23 février, Conseil des ministres. François Fillon évoque une nomination. Le président ne l’écoute pas, il discute avec son voisin – qui s’appelle Alain Juppé. Un instant, le Premier ministre s’arrête, avant que le chef de l’Etat ne l’incite à continuer. Ce mercredi, Nicolas Sarkozy demande au maire de Bordeaux de retourner au Quai d’Orsay. L’été dernier, il s’y était déjà essayé, en vain. » J’ai passé l’âge « , » je ne supporterai pas » de travailler sous la tutelle des conseillers élyséens, avait expliqué Alain Juppé. » Comment peux-tu penser cela ? » lui avait répondu le président. La semaine précédente, Juppé assurait encore » ne pas tout partager » des propos diplomatiques du chef de l’Etat. Alors qu’il avait soufflé, comme le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, le nom du ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire pour remplacer Michèle Alliot-Marie, il ajoutait : » J’ai laissé une bonne image au Quai, je n’ai pas envie de la changer ! «
Mais c’est son image d’aujourd’hui qu’Alain Juppé est en passe de modifier – de bonifier. » Quand ça tangue, on fait appel à lui et à personne d’autre « , souligne l’un de ses fidèles. » Il a été tenu au courant des décisions du président avant Fillon « , avance un ministre. Alain Juppé a beau prévenir qu’il n’est pas un » deus ex machina « , il bénéficie de faveurs à rendre jaloux ses collègues. Pardonnée, son absence, le lendemain de sa nomination – il y avait conseil municipal à Bordeaux, le 28 février, et le président, qui s’était énervé de voir ses ministres dans leurs fiefs pendant que l’Histoire s’accélérait en Tunisie, n’a rien dit. Oubliées, les violentes passes d’armes entre les deux hommes. » Qu’il prenne garde : si j’ai du temps libre, je pourrais m’occuper de lui, lançait Nicolas Sarkozy, il y a quelques années. Evidemment, il préférerait que je n’existe pas, mais cela, ce n’est pas négociable. «
A quoi reconnaît-on que Nicolas Sarkozy est candidat à sa réélection ? Il est prêt à tout, même à sacrifier le plus fidèle de ses amis, quitte à se séparer, en plus, du plus puissant de ses collaborateurs, omniprésent depuis 2002. Le schéma est acté dès le milieu de la semaine, mais le président n’en parle presque à personne. A l’Elysée, les conseillers observaient depuis plusieurs semaines que Brice Hortefeux ne parvenait pas à consti- tuer un rempart contre la progression de l’extrême droite. Si le report de voix entre Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy ne s’améliore pas, celui-ci sera battu. Aujourd’hui, quand la responsable du FN est créditée de 18 % des voix, le président en récupère 10 % ; les 8 % restantes se perdent, notamment dans l’abstention. Le chef de l’Etat ne cachait pas non plus son inquiétude sur le sort judiciaire du ministre de l’Intérieur, dans l’attente de l’appel de ses deux condamnations. » Le président avait l’intention de se séparer de Brice depuis le début de la séquence, mais tout le monde doutait qu’il le fasse vraiment « , raconte un ministre. Même Hortefeux n’a pas vu le coup venir. Nicolas Sarkozy aurait pu le recaser à la Défense. En y nommant le président du groupe UMP au Sénat Gérard Longuet, il a préféré la main tendue aux libéraux aux choix guidés par l’affection. A quoi reconnaît-on que Nicolas Sarkozy est candidatà ?
Le silence de Fillon
Claude Guéant était aussi persuadé de finir le quinquennat comme secrétaire général de l’Elysée, dès lors qu’il n’avait pas été envoyé au ministère de l’Intérieur en novembre 2010. » J’aurais été très content d’y aller et je suis très content de rester ! » confiait-il alors. Retour à » la maison « , comme il dit. C’est là, d’ailleurs, lorsqu’il dirigeait le cabinet de Nicolas Sarkozy à l’Intérieur, qu’il s’est lancé dans la rédaction d’un livre, 250 pages déjà écrites, les autres jamais terminées.
Il reste encore (au moins) un ministre qui exaspère Nicolas Sarkozy, bien qu’il ne s’en sépare pas. Et ce n’est pas le dernier venu, puisque c’est le premier d’entre eux, François Fillon. Le président, pour se dépêtrer du sparadrap MAM, met en valeur la libération de trois otages au Niger, en réservant une photo exclusive pour la Une du Journal du dimanche du 27 février. Le ministre du Travail, Xavier Bertrand, se précipite au 20 Heures de TF 1, le 23 février, pour évoquer la baisse du chômage avant même qu’elle n’ait été rendue publique. Et le Premier ministre qui reste muet – » Moi, je ne parle que quand j’ai des choses à dire « , se justifiait-il, le 28 février, sur RTL. L’Elysée a vérifié : entre la fin de novembre et cette interview, pas une seule intervention médiatique importante du chef du gouvernement pour marquer les esprits. » On me reproche de ne pas être intervenu pour répondre à Dominique Strauss-Kahn, a également constaté le chef du gouvernement. Quelle conception de la vie publique, quelle conception du fonctionnement des institutions que d’imaginer que le Premier ministre de la République française doit polémiquer avec le directeur général du Fonds monétaire international ! » La réplique est piquante quand on sait que la critique sur ce point émanait directement des conseillers du présidentà
Il fut un temps où c’est Nicolas Sarkozy qui voulait raréfier sa parole. Pris à contre-pied dans sa stratégie, il a, au contraire, multiplié les interventions télévisées (quatre en deux mois et demi) – mais pour quel bénéfice ? » Les correctifs n’impriment pas « , regrette un proche. Avec Paroles de Français, sur TF1, il a cherché à gagner en humanité, quitte à perdre en persuasion. Avec son allocution du 27 février, il a visé la solennité absolue. Et en a profité pour ne pas lésiner sur certains petits gestes : il a tenu à transmettre son discours à plusieurs responsables de la majorité, une heure avant la diffusion de son intervention à la télévision. Autre attention particulière : le soir même de son rendez-vous avec Dominique de Villepin, le 24 février, il avait rappelé l’ancien Premier ministre.
Un tel changement de pied peut-il faciliter une reconquête maintes fois annoncée et, pour l’heure, jamais réalisée ? Nicolas Sarkozy comptait sur le G 20 pour lui redonner une stature et voici que c’est par sa politique étrangère qu’il est encore un peu plus entraîné vers le bas. » Dans la Ve République, les présidents ont presque toujours profité des grands événements internationaux, même lorsque la France n’était pas directement concernée, note le directeur général adjoint de l’institut de sondage BVA, Gaël Sliman. Ce n’est pas le cas de Nicolas Sarkozy avec les révoltes dans le monde arabe. Non seulement ses bonnes opinions continuent de reculer, mais les mauvaises opinions, déjà à un niveau presque record, passent de 61 % à 66 %. » François Mitterrand avait profité, en termes de popularité, de la chute du mur de Berlin comme de la guerre en ex-Yougoslavie ou au Rwanda – bien que l’attitude de la France ait alors été souvent critiquée. Le Kosovo avait fait grimper la cote de Chirac, comme la Géorgie celle de Sarkozy (il gagna 12 points en deux mois).
Le président a l’avantage d’être précédé d’une flatteuse réputation de super-candidat – en 2007, sa campagne a bluffé jusqu’à la gauche. Est-ce pour cela qu’au c£ur des difficultés il reste détendu ? Ses coups de barre successifs désorientent ses partisans, lui demeure plus qu’optimiste. L’un de ses visiteurs remarque : » Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas la psychologie de ses sondages. «
ÉRIC MANDONNET
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