Maggie De Block, madame sans gêne
Sa force, c’est son absence de doutes. La nouvelle ministre de la Santé, Maggie De Block, avance en politique comme elle fait ses longueurs à la piscine : sans s’arrêter. Avec le podium en point de mire. Retour sur une femme devenue grande grâce à ses petitesses.
Sur le quai de la gare, la fillette de 8 ans attend le train. Septembre 1970. Accrochée à son cartable, Maggie quitte pour la première fois Merchtem pour se rendre par le rail, seule, à l’école de Laeken. Un saut dans l’inconnu. Une césure. Malgré son jeune âge, il y a déjà un avant et un après dans la vie de cette enfant : avant, elle avait un père. Il est mort, quelques mois plus tôt, dans un accident de voiture. Avant, la vie était simple, limitée au périmètre de Merchtem – pourquoi aller chercher ailleurs que dans le Brabant flamand ce que l’on trouve à sa porte ? Après, elle fut plus rude pour ce clan piloté par une maman veuve, enceinte de quatre mois. Dans cette nouvelle configuration, Maggie prête main-forte à sa mère : c’est elle qui apprend à ses jeunes frères à rouler à vélo. Avant, elle étudiait à l’école de Merchtem, ce lieu qui incarne à la fois sa terre et ses racines. A Laeken, où elle fréquentera, comme le souhaite sa mère, une école enfin non catholique, elle ne connaît personne. » J’ai dû me présenter devant les élèves de la classe, raconte-t-elle dans le Knack. Je n’avais jamais fait cela de ma vie. »
Est-ce de ces quelques minutes d’attente particulières, sur un quai de gare, que Maggie De Block, aujourd’hui ministre fédérale de la Santé, a puisé sa force tranquille, son indécrottable détermination, son bon sens dénué de prétention ? » Quand on prend une claque comme celle-là dans l’enfance, on développe un caractère fort, avance Eddie De Block, cadet de cinq ans de Maggie et bourgmestre de Merchtem. On doit tirer son plan. » Près de quarante-cinq ans après avoir pris ce train pour la première fois, Maggie De Block est devenue la personnalité politique la plus populaire de Flandre. Et les francophones ne sont pas en reste.
Dans l’intervalle, Maggie De Block est successivement devenue épouse à 19 ans, mère à 21 puis médecin à 25, avec grande distinction. Dans la maison des De Block, on ne parle guère politique. Du côté maternel, l’héritage idéologique est plutôt socialiste, et du côté paternel, il est libéral. Les parents de Maggie se retrouvent sur la valeur du travail. » Notre père étudiait pour progresser dans la hiérarchie à la SNCB, glisse Eddie De Block. Pour ne pas s’endormir sur ses cours, le soir, il révisait les pieds plongés dans une bassine d’eau froide. »
Jan De Block aura en tous cas légué cette valeur à sa fille. En plus de son prénom : le fils de Maggie le porte, comme son petit frère et comme un de ses neveux. Chez les De Block, le mot » famille » est trop faible. Il faut parler de clan. Tous vivent à Merchtem, dans un rayon de quelques centaines de mètres. » La force du loup, c’est le clan, et la force du clan, c’est le loup « , écrit le poète . On ne saurait mieux dire.
Elle n’a peur que des souris
Du loup, Maggie De Block n’a pas les grandes dents quand elle entre, en 1999, au Parlement fédéral comme élue Open VLD. » Elle n’avait pas d’ambition en tant que telle, se remémore le député Mathias De Clercq, mais elle fait ce en quoi elle croit « . Et elle croit dans ce qu’elle fait. » Sa force, c’est qu’elle n’a aucun doute « , soupire un représentant du monde associatif.
Alors elle travaille. Cette femme d’intelligence met un point d’honneur à maîtriser ses dossiers à fond. Y compris les plus techniques. A la tête de la commission Infrastructure au moment de la catastrophe ferroviaire de Buizingen, elle a dû se pencher pendant des heures sur les différents systèmes de freinage des trains. A vrai dire, peu de choses lui font peur. A part les souris.
En 2011, quand il s’agit de composer le gouvernement Di Rupo, Herman De Croo souffle son nom à son fils Alexander, alors président de l’Open VLD. Ce dernier lui confie le poste de secrétaire d’Etat à l’Asile et à l’Immigration, dont personne ne voulait. D’emblée, elle ramasse une volée de bois vert pour avoir déclaré en interview, avec simplicité, qu’elle ne connaissait pas ses nouvelles matières et prendrait un mois pour les étudier avant de s’exprimer.
Dans un monde dominé par le physiquement correct, elle ébranle aussi les codes. » Ses débuts ont été très difficiles, confirme un ténor libéral flamand. Alexander De Croo la faisait accompagner par ses deux porte-parole afin d’éviter une catastrophe. » Puis le vent a tourné. Et ses faiblesses sont devenues sa marque de fabrique.
Aux critiques, Maggie De Block a systématiquement offert les mêmes réponses : le travail, le rire et un détachement manifeste. » Je ne lis plus les journaux. J’y lis des tas d’analyses compliquées sur moi. Est-ce bien de moi qu’il s’agit ? » demande-t-elle avec une candeur dont on a du mal à calculer l’authenticité.
Car Maggie De Block est d’abord un as de la communication. Du pain bénit pour sa porte-parole, Els Cleemput, qui veille jalousement sur elle. Au point de refuser la demande d’interview du Vif/L’Express, estimant que » le timing n’est pas le bon. » Rien n’est donc laissé au hasard. » C’est une femme intelligente, enchaîne le politologue Carl Devos. Elle sait que sa nature peut l’aider. » A l’instar d’un certain Jean-Luc Dehaene.
A sa manière, Maggie De Block profite donc de quelques atouts qui suscitent d’emblée la confiance ou l’empathie. Elle est médecin. » Cela lui donne une image d’objectivité que les autres n’ont pas « , note Hendrik Bogaert, ex-secrétaire d’Etat CD&V. Au sein du gouvernement et jusqu’à l’arrivée de Catherine Fonck, également médecin, elle était la seule scientifique, avec Elio Di Rupo. Elle est ronde, ensuite. Comme tant de Belges. Pour beaucoup de citoyens, il est plus facile de se reconnaître en elle que dans un universitaire bardé de diplômes, sanglé dans un costume gris trois-pièces taille S. » Lors des négociations, elle disait parfois qu’elle était fatiguée « , rapporte Carl Devos. Aucun autre n’osait le dire.
Le discours d’un ado de 13 ans
Quand cette élue amatrice de tricot prend la parole, on comprend aussi tout ce qu’elle dit. » Elle ne communique que par slogans, corrige Alexis Deswaef, le président de la Ligue des droits de l’Homme. Elle n’arrête pas de dire, par exemple, « Je suis ferme mais humaine ». Or, sur le terrain, on n’a vu que la fermeté. Mais le slogan marche très bien dans le public. » » Elle parle par simplismes éculés, abonde un autre représentant de l’associatif. Elle dit des choses du genre : « Quelqu’un qui n’a pas d’avenir ici, c’est mieux de le ramener chez lui, quand même ! ». Des phrases d’un adolescent de 13 ans. Son approche est bétonnée. Il n’y a aucune place chez elle pour les questions un peu profondes ou pour une remise en cause : elle est absolument convaincue d’avoir raison et n’imagine pas que l’on puisse ne pas être de son avis. »
Consciente que les gens en ont assez de la langue de bois et des postures politiques, la vice-présidente de l’Open VLD s’exprime avec un langage d’une simplicité confondante qui lui est, par ailleurs, naturel. Du coup, quoi qu’elle dise, les citoyens ont tendance à croire cette » madame sans gêne » qui ne parle pas comme » les autres « . » Ce n’est pas très visible qu’elle est libérale. C’est une femme du peuple, souligne Hendrik Bogaert. C’est un point fort de ne pas être trop identifié au parti. » Elle fait aussi preuve d’un réel intérêt pour les gens, leur famille, leur vie. Elle-même ne fait pas mystère du salon de coiffure qu’elle fréquente à Merchtem, tous les samedis. Quand elle reçoit Guy Vanhengel ou Alexander De Croo chez elle, c’est elle qui cuisine. Bref, elle est comme tout le monde et, à ce titre, en phase avec bien des électeurs. Mais elle est quelqu’un. Et cela compte, dans une Flandre très » people « .
» Elle est très accessible « , résume Mathias De Clercq, qui faisait à ce point tandem avec elle au Parlement qu’on les appelait les M&M’s. L’image qu’elle donne du couple qu’elle forme avec son mari est du même acabit : c’est un couple normal. » Peut-être en joue-t-elle un peu maintenant « , juge un député centriste. Sa bonhommie, en revanche, n’est pas feinte. Non plus que son humour ou sa convivialité, qui traverse les frontières des partis : Maggie De Block n’a guère d’ennemis. Mis à part sans doute ceux qui l’ont entartée, en juin 2013, et qui devaient savoir qu’elle est toujours à l’heure aux rendez-vous, voire un peu trop tôt.
Une gestionnaire plus qu’une politique ?
Dans les médias, l’ex-secrétaire d’Etat égrène ses sorties médiatiques avec parcimonie. Elle ne communique que quand il le faut, uniquement sur des informations positives. Par exemple lorsqu’elle restitue 90 millions d’euros au gouvernement, issus de son budget 2013 : elle n’en avait pas eu besoin. » Son équipe de communication lui suggère de dire quelque chose et elle le fait, en restant sur sa ligne, observe le politologue de la VUB Dave Sinardet. Si elle est trop libre dans ses prises de parole, elle risque de faire des erreurs, alors elle s’en tient à son discours. » On se souvient de sa sortie sur les » gangbang » (traduction : partouze), en lieu et place de gang (bande de jeunes). Ou sur la dangerosité de Bruxelles, comparée à celle de l’Afghanistan. » Elle ne m’a pas impressionné par son intelligence, lâche un député SP.A. Je la trouve un peu naïve. »
De la même manière qu’elle n’attaque jamais personne, on n’entend pas la ministre de l’Open VLD s’exprimer sur d’autres sujets que ceux dont elle a la responsabilité ni sur des questions de stratégie politique. Elle n’a aucunement besoin de ce type de sortie pour accroître sa popularité. Alors pourquoi prendre ce risque ? » Elle reste dans son rôle en ne parlant que de ses dossiers, relève le député MR Denis Ducarme. C’est stratégiquement malin de sa part parce qu’elle les incarne ainsi totalement. » D’autres voix se demandent pourtant si la ministre de la Santé s’intéresse ou maîtrise d’autres matières que les siennes. » Pendant la campagne électorale, elle avait dû expliquer le plan fiscal de l’Open VLD et manifestement, elle ne le maîtrisait pas bien « , se rappelle Dave Sinardet.
Vissée au bon sens, manque-t-elle pour autant de vision politique ? Beaucoup le pensent, comme ce ministre issu du gouvernement Di Rupo qui, interrogé à ce propos, rapproche son pouce de l’index : zéro. » Je n’ai pas le sentiment d’avoir une femme politique face à moi mais une gestionnaire, analyse Zakia Khattabi, députée fédérale Ecolo. On ne sent pas chez elle un projet de société. Elle agit plutôt comme si elle gérait une administration. On donne beaucoup de place à quelqu’un qui a si peu de fond politique et qui n’a pas dû se professionnaliser tant elle avait de succès. »
Gestionnaire, survitaminée à la culture du résultat, la nouvelle ministre de la Santé considère qu’elle a laissé derrière elle un département de la Politique de l’asile et de la migration en ordre. » Elle a surtout récolté les fruits des politiques mises en place par son prédécesseur « , signale un député centriste. Sa politique, ostensiblement plus stricte, a en tout cas séduit une bonne partie de la population : à ce poste, l’élue de Merchtem a donné l’impression d’être efficace. » Elle est populaire parce que la majorité des gens veulent entendre un discours ferme sur les étrangers, résume la députée Ecolo Zoé Genot. Mais sous son règne, la loi sur les régularisations médicales a régulièrement été mal appliquée. Du coup, nombre de décisions de l’Office des Etrangers ont été cassées. »
Cela n’émeut pas Maggie De Block : si elle pleure devant le premier film romantique venu, elle tranche sans aucun sentimentalisme dans les dossiers qui lui sont soumis. Imperturbable, elle suit sa ligne, y compris au milieu des critiques. » Elle s’accroche à ses positions avec les ongles enfoncés, constate le député MR Denis Ducarme. Le plus souvent sans s’énerver. Mais quand elle s’emporte, c’est marquant ! » La députée Ecolo Zakia Khattabi en a fait les frais au Parlement. Les murs en tremblent encore.
Docteur Maggie aime Johan Verminnen
Le succès qui est le sien ne lui monte en tout cas pas à la tête : Maggie De Block sait l’électorat flamand volatil. » Elle durera plus longtemps que Yves Leterme, ancien Premier ministre CD&V, parce qu’elle est moins superficielle, affirme un baron libéral flamand. Et qu’elle a moins de conseillers autour d’elle. » Curieusement, sa popularité ne va pas de pair avec une montée manifeste de son influence au sein du parti, où nul n’oserait la critiquer tant l’Open VLD, mal en point, a besoin d’elle.
La présidence ne semble pas l’intéresser. Elle voulait le portefeuille de la Santé et elle l’a. » Ce sera moins facile car à ce poste, elle devra négocier et faire des compromis, pronostique Jean-Pascal Labille, ancien ministre socialiste redevenu président de Solidaris, la mutualité socialiste. En outre, elle devra consolider sa place à l’Open VLD. » Qu’importe : Maggie De Block, obsédée par l’idée de réussir son mandat, est » politiquement heureuse « . Ce qui ne l’empêche pas, sans doute, de nourrir désormais certaines ambitions. Beaucoup dans le petit monde politique assurent qu’il ne faut pas la sous-estimer et que ce n’est pas par hasard qu’elle est numéro 1. » Quand les gens la verront comme une femme politique et plus comme une femme en politique, la donne pourrait changer « , indique Carl Devos.
En attendant, » Docteur Maggie » comme l’appellent tous les habitants de Merchtem, profite de la vie, qu’elle sait fragile. Cette grande nageuse bavarde toujours autant chez son coiffeur. Elle raconte toujours des blagues, écoute les CD de Johan Verminnen et passe encore la Noël dans son indispensable cercle familial élargi. Surtout, elle lit, assise sur la terrasse qui jouxte son jardin, où elle se sent si bien. Il n’y a pas que la politique dans la vie : il y a aussi la vie…
Par Laurence van Ruymbeke
Elle pleure devant la télé mais tranche sans aucun sentimentalisme
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