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«Limiter les bénéfices serait un signal, et c’est faisable»
«Pour les entreprises du secteur énergétique, ces bénéfices tombent du ciel. Elles n’ont rien fait pour ça», déplore l’économiste Bertrand Candelon (UCLouvain).
Bertand Candelon, professeur de finances à l’UCLouvain, a participé au groupe d’experts «pouvoir d’achat et compétitivité» qui a remis son rapport début juillet au gouvernement fédéral. Il est plutôt favorable à la taxation des sur- profits (lire en p. 6) et des Gafa (lire en p. 10). Mais davantage à l’échelle internationale. Et il déplore la précipitation avec laquelle se règlent ces questions… «Le problème était là avant», soupire-t-il.
La notion de «surprofit» est plus éthique qu’économique, non?
Je n’aime pas trop le terme «sur- profit», je parlerais plutôt de «rente», qui est bien une notion économique. Taxer les rentes, c’est taxer des revenus qui ne sont générés ni par le risque ni par l’investissement. Si vous avez un jardin et que vous ne le cultivez pas mais que sa valeur est multipliée par dix ou cent parce que le marché immobilier explose, vous n’avez rien fait pour… Ici, pour les entreprises du secteur énergétique, ça tombe du ciel. Elles n’ont rien fait de particulier ou de différent par rapport aux années précédentes, et leur bénéfice explose. N’est-ce pas contradictoire avec le principe d’économie de marché, du jeu de l’offre et de la demande? C’est difficile à mesurer. L’Etat ne sait pas, comme ça, décider d’un taux de profit qu’on considérerait inadmissible. Quand ils négocient avec les géants de l’industrie extractive, les pays du Moyen-Orient ou d’Afrique intègrent toujours une clause sur la rente, pour limiter les bénéfices trop importants, avec un impôt progressif selon la marge de l’entreprise. Dans le cas qui nous préoccupe, il est compliqué de se dire qu’on va le faire, car les Engie, Total et compagnie répondront qu’ils ont investi dans leurs activités, qu’ils ont pris des risques ou que les années précédentes n’étaient pas aussi profitables. Mais ça serait un signal, et c’est faisable.
Si la Belgique se lance dans une augmentation des impôts toute seule, les effets seront contre-productifs…
Ne serait-il pas plus transparent et plus efficace d’augmenter les impôts sur les bénéfices de toutes les sociétés, quel que soit le secteur, en fonction de la hauteur de leur marge?
Imaginez une entreprise de capital-risque qui réalise un super- profit: elle a pris ce risque et elle en est récompensée. Pourquoi la punir? Alors, introduire une progressivité sur les marges imposables, avec une déduction sur les risques pris et les investissements effectués, pourquoi pas? Mais en ce moment, c’est sur le secteur énergétique, et notamment dans la renégociation des accords, que l’effort devait être porté. Notamment sur le nucléaire. Ce qui m’a étonné, c’est qu’il n’y avait pas, dans les accords signés avec Engie, de clause là-dessus: on perçoit soit un taux proportionnel, soit un simple forfait sur les réacteurs prolongés plus récemment. Ça devrait être progressif, y compris, d’ailleurs, pour le gaz, voire pour les autres sources d’énergie. Un taux progressif favorise l’investissement, et est aussi avantageux pour les producteurs lorsque les prix sont bas, car les taux le seraient également. Avec des mesures d’exemption pour les investissements dans la transition vers l’indépendance énergétique, bien sûr. Car l’autre bénéficiaire de ces rentes, c’est l’Etat, qui n’a pas suffisamment favorisé cette transition.
Les multinationales de l’énergie affichent des bénéfices gigantesques. Mais elles ne sont pas basées en Belgique. Cela ne rend-il pas un peu vain l’agitation sur cette taxation des surprofits?
On est face à deux problèmes. Le premier, c’est de renégocier des contrats en marche. Changer des contrats, normalement, ça se fait en amont, pas en aval. Le second, c’est l’internationalisation. Ces entreprises sont peu ou pas localisées en Belgique. Cette dernière peut taper sur la table, mais alors, elles délocaliseront. Elles peuvent même décider, dans un cas extrême, d’arrêter d’approvisionner la Belgique. Son pouvoir de négociation par rapport à Total ou à Engie est très faible. C’est pour cela que je suis plutôt favorable à des négociations à l’échelon européen. Pour un petit pays, seul, c’est assez difficile à faire.
Si on rapporte un taux de 25% au gros milliard de surprofits identifiés, on obtient un rendement de quelques centaines millions d’euros. C’est presque anecdotique eu égard à la gravité de la crise et aux besoins des ménages et de certaines entreprises…
Certainement pas. Même si ça peut être un signal. Nous, nous participons en payant nos factures ; ces acteurs peuvent faire un effort, qui ne changera pas tout, certes, mais qui montrera que nous sommes tous dans la même situation. Ce n’est pas de l’économie ou de la finance, mais la situation sociale exige des politiques plus interventionnistes. En France, Emmanuel Macron se souvient des gilets jaunes et il renforce l’intervention de l’Etat sur ces questions, ce qui est plus facile pour lui que pour la Belgique puisqu’il existe chez nos voisins une entreprise d’Etat qui produit de l’électricité, et que le gouvernement a décidé de renationaliser. Toutefois, à un moment donné, la France devra payer cette facture. Et puis, surtout, il y a une nécessité de coopération internationale…
Comme pour la taxe Gafa, sachant que le gouvernement prévoit, en 2023, un rendement de 100 millions d’euros, mais qu’il attend, dans le même temps, la concrétisation d’initiatives lancées par l’Union européenne puis l’OCDE…
Ça, c’est une des limites européennes, l’absence d’harmonisation fiscale. Si la Belgique se lance dans une augmentation des impôts toute seule, les effets seront contre- productifs…
Que fait-on si rien ne se fait aux échelons supérieurs?
Imaginez que la Belgique augmente les impôts sur les Gafam. A quoi cela servirait-il? Il faut vraiment veiller à analyser les conséquences d’une telle décision. La Belgique est déjà un des pays les plus imposés, sans être le plus dynamique dans l’activité économique, loin de là. Il faut repenser tout ce système. Ce qui est dommage, c’est que c’est toujours en période de crise qu’on prend ce genre de décisions sur des questions pas évidentes du tout, au moment le moins propice pour tenir un débat serein. Ce n’est pas en période de guerre que l’on prépare la guerre. Que de temps perdu!
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