LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FÉMINISME
La présence de quelques femmes à des postes de pouvoir importants et l’amélioration sensible de leur accès à l’éducation et aux soins ne doivent pas cacher l’essentiel : partout dans le monde, les femmes sont de moins en moins bien traitées par la société, c’est-à-dire par les hommes. Pour le plus grand malheur des unes et des autres. Les écarts de salaire ne se réduisent pas, les opportunités d’emploi n’augmentent pas. Au contraire, même : un rapport très récent du Forum de Davos, établi à partir des statistiques de 114 pays, montre que, au rythme actuel, l’égalité salariale entre les deux sexes ne sera atteinte que dans septante ans, contre cent dix-huit l’an dernier.
Le salaire moyen mondial des femmes équivaut actuellement à 59 % de celui des hommes (avec de grandes disparités : 87 % en Islande, 54 % au Royaume-Uni, 65 % aux Etats-Unis, 67 % en Allemagne, 72 % en France et 79 % en Belgique). Cause et conséquence de cette marginalisation économique, la participation politique des femmes reste très faible. Le ratio qui la mesure (incluant la proportion de femmes élues au Parlement, de femmes ministres et du nombre d’années pendant lesquelles le pays a été gouverné par une femme) n’est encore que de 23 % dans le monde. En Belgique, la situation n’est pas spécialement brillante : elle est 35e en termes de participation politique, 47e en termes de salaire, 37e en termes d’opportunités d’emplois.
Plus grave encore, les discriminations culturelles, les agressions morales et physiques sont de plus en plus violentes. On viole, on tue, on lapide, on insulte toutes les femmes du monde. Certaines cultures, et pas seulement dans les pays musulmans, continuent de soumettre les femmes aux désirs des hommes, dans toutes les dimensions de leur vie. Parce que les hommes ont peur des femmes.
C’est pourtant l’intérêt des hommes que de traiter les femmes aussi dignement qu’eux-mêmes : une égalité réelle entraînerait évidemment une plus grande production de richesse, des relations plus créatrices.
Il ne peut y avoir de véritable liberté si le féminisme ne triomphe pas. Tous les hommes devraient comprendre ce qu’ils auraient à gagner s’ils cessaient d’avoir peur des femmes.
Accessoirement, cela accélérerait le progrès technique dans des métiers pénibles ou ennuyeux, de plus en plus souvent confiés aux femmes.
Pour avancer plus vite, il faut changer les lois et les moeurs, rendre l’administration vraiment exemplaire (parité parfaite dans les postes à responsabilité). Il faut supprimer la déductibilité fiscale des cotisations versées aux partis qui n’auront pas respecté l’obligation légale de parité de leurs élus, et pas seulement de leurs candidats.
Il faut aussi créer un congé de naissance à partager entre les deux parents, avec une partie significative perdue si l’un des deux ne prend rien (sauf pour les célibataires évidemment), multiplier les places en crèche abordables, avec des horaires qui permettent à chacun et à chacune de mener une vie professionnelle.
Enfin, il est nécessaire de veiller très soigneusement à l’image et à la position des femmes dans les médias, les séries et les jeux télévisés.
Il y a dans ces propositions des réserves insoupçonnées de richesses pour tous. Ne nous en privons pas plus longtemps.
jacques attali
C’est l’intérêt des hommes que de traiter les femmes aussi bien qu’eux-mêmes
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