Lettres persanes
Marjane Satrapi raconte sa jeunesse iranienne dans Persepolis, idéalement adapté de sa propre bande dessinée. Personnel et universel, un film-événement justifié.
Si vous doutiez encore que l’animation puisse être un mode d’expression aussi riche pour un public adulte que pour les enfants, Persepolis a tout pour vous convaincre. Ce film autobiographique, adaptation par Marjane Satrapi (et son complice Vincent Paronnaud) de ses quatre albums de BD portant le même titre, allie propos percutant et originalité formelle. Il narre l’enfance et l’adolescence d’une Iranienne qui accompagne d’un regard critique l’histoire de son pays sous les férules successives de la dictature du chah et des théocrates fondamentalistes.
Présenté en compétition au Festival de Cannes, avec un prix du Jury à la clé, Persepolis est le récit à la première personne d’une jeune héroïne précoce et extravertie, qui raconte ses souvenirs sur le mode du récit d’apprentissage, voire sur celui du conte initiatique. On y voit Marjane grandir dans une famille moderne, éclairée, où l’on s’oppose au pouvoir abusif du chah et où l’on espère de son renversement une démocratie qui ne viendra pas. En effet, le régime théocratique qui prend le relais du souverain absolu se révélera pire encore. Et la petite fille révoltée par la dictature deviendra une adolescente rebelle à l’oppression religieuse…
Confrontée à des souvenirs parfois terribles et souvent négatifs, la narratrice a recours à l’arme de l’humour. Marjane Satrapi use à merveille de l’ironie, de la dérision, dans un film où le rire subversif fait merveille. Pour autant, l’abondance de traits acérés, décochés avec verve aux polices politiques et morales sévissant en Iran, n’empêche nullement l’émotion d’affleurer et de résonner pleinement quand douleur ou tendresse imposent leur voix bouleversante. » Le processus de la mémoire passe autant, si pas plus, par les sentiments que par les faits qui les ont suscités, commente la réalisatrice. Surtout quand vous avez voulu dans un premier temps oublier tout ça, car ça faisait trop mal. » Pour la jeune artiste ayant pris son envol et désormais installée à Paris, écrire, dessiner, se raconter fut » un processus de libération « . Passer de la BD au cinéma exigeait d’opérer un tri dans l’abondante matière des quatre albums et d’imaginer une nouvelle structure narrative. » Ce fut pour moi non seulement une occasion d’expérimenter avec un nouveau médium, commente Satrapi, mais aussi l’opportunité de revisiter une fois encore – la dernière, sans doute – cette mémoire avec laquelle je pensais en avoir fini, mais qui avait encore des choses à me dire… »
» L’Iran est mon pays et le restera toujours ! » affirme hautement l’énergique Marjane. Même si ledit pays a protesté (à travers l’organisme officiel prenant en charge le cinéma) contre la présence de Persepolis au Festival de Cannes, celle qui signe ce film ô combien courageux se refuse à jeter de l’huile sur le feu. Par exemple, elle ne veut faire aucun commentaire radical sur le voile, symbole de sujétion des femmes auquel plus d’une scène de Persepolis réserve pourtant, sans ambiguïté aucune, le sort qu’il mérite. Satrapi laisse parler les images sans leur accrocher d’intention idéologique. » Le propos du film est humaniste et universel, déclare-t-elle. Et, si je porte un regard critique sur la société iranienne et son traitement des femmes, je suis aussi révoltée par la marchandisation qui vise et utilise le corps féminin dans la société occidentale. »
Si Persepolis nous touche si fort, c’est aussi grâce à l’interprétation de quelques comédiens complices, dont les voix donnent une épaisseur certaine aux personnages principaux du film. Chiara Mastroianni joue Marjane, sa… mère Catherine Deneuve, la maman de la jeune héroïne, Simon Abkarian interprétant le père et Danielle Darrieux faisant un régal du rôle de la grand-mère tonique et irrévérencieuse. Dans la version en anglais, Deneuve se doublera elle-même, Gena Rowlands et Sean Penn sont également de la partie, signe que Persepolis voyagera bien dans un monde qui a besoin d’£uvres aussi personnelles, braves et significatives.
Louis Danvers
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