Les roses et leurs épines
Aragon scandait que » Rien n’est jamais acquis à l’homme… « . On aurait bien envie de lui crier, » et encore moins à la femme « . En Belgique, plus de 50 000 d’entre elles sont actuellement traitées pour un cancer du sein ou en rémission. En 1998, cette maladie a été diagnostiquée 6 628 fois (69 cas chez des hommes). La même année, 2 416 femmes en sont mortes. Le mois d’octobre, traditionnellement consacré » mois mondial » du cancer du sein, est aussi l’occasion de dresser un bilan, aux goûts parfois doux amers…
Dans la colonne du réconfort : les promesses… pour l’avenir. » Ce qui pointe à l’horizon, explique le Dr Fabienne Liebens, responsable de la Clinique du sein de l’hôpital Saint-Pierre (Bruxelles) et présidente d’Europa Donna Belgium (un groupe de pression actif dans la lutte contre le cancer du sein depuis 1998), c’est le passage au ôsur-mesure », avec des thérapies à la carte. En effet, les caractéristiques biologiques de chaque tumeur sont de mieux en mieux comprises : cela ouvre de nouvelles perspectives pour des traitements mieux ciblés. »
En attendant cette étape cruciale, une démarche active de dépistage de masse (impliquant de 65 à 70 % de participantes) permettrait de faire baisser la mortalité (de 25 à 30 %). Les derniers chiffres montrent que les femmes concernées (celles entre 50 et 69 ans) répondent davantage qu’auparavant à cet appel. Mais ce frémissement est largement insuffisant pour engranger des résultats tangibles. De surcroît, actuellement, le dépistage doit encore être amélioré. Faute de moyens, par exemple, l’enregistrement des données et, donc, l’évaluation de la qualité du travail des centres ne peuvent être assurés. Quant à l’information des femmes, elle reste notoirement insuffisante.
» Ainsi, un résultat anormal au mammotest ne signifie pas la présence d’un cancer : il indique uniquement la nécessité d’une investigation complémentaire, explique le Dr Fabienne Liebens. En moyenne, pour 10 mammographies anormales qui exigent une mise au point ultérieure, 1 seul cancer sera finalement découvert. » En fait, l’idéal serait de raccourcir les délais permettant, en cas de doute, de poser le diagnostic. Et, aussi, de clarifier la marche à suivre pour y parvenir dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire de sénologie. Cette démarche éviterait, par exemple, que des femmes subissent une chirurgie afin de savoir si elles ont, ou pas, un cancer du sein. » Pourtant, en l’état actuel des connaissances, il n’est plus nécessaire de se faire opérer pour le déterminer « , précise la gynécologue. Enfin, pour ce premier parcours semé d’épines, » rien n’est organisé pour soutenir les femmes et les aider à prendre en charge leur anxiétés. »
En réalité, l’absence d’aide psychologique systématique est manifeste tout le long du chemin parcouru par les malades. De nombreuses études ont déjà mis l’accent sur cet impératif. L’expérience des équipes qui, dans notre pays, travaillent déjà avec des psys, renforce cette certitude. Néanmoins, comme pour s’en convaincre encore, à l’initiative du ministère de la Santé, une étude sur » les besoins psychologiques des patients cancéreux et de leurs proches » est actuellement en cours. Ses premiers résultats ? Ils confirment que les malades ont effectivement besoin d’un soutien. Et qu’ils n’en trouvent pas.
» Sur les 200 personnes déjà interrogées (autant vont l’être encore), explique le Pr Darius Razavi, qui dirige la clinique de psycho-oncologie et de soins supportifs de l’Institut Bordet (Bruxelles), près de 50 % présentent des problèmes d’adaptation très importants à leur maladie. Les malades souffrent donc d’anxiété et d’une détresse élevée. Pourtant, près de 20 % seulement expriment leur besoin d’aide. En fait, ces chiffres démontrent qu’un soutien psychologique devrait être proposé systématiquement, qu’il faudrait informer de l’existence de cette possibilité et l’organiser de manière visible, afin que chacun puisse en bénéficier et oser y faire appel. »
De plus, l’étude montre clairement que, contrairement aux hommes atteints d’un cancer, les femmes malades héritent d’un » double agenda « . » La maladie les touche de plein fouet, ainsi que leur entourage. Tout leur système familial est bouleversé. Or elles doivent, à la fois, tenir le coup face au cancer mais, aussi, continuer à soutenir leurs proches et à les réconforter. Ce double rôle est excessivement lourd « , constate le Pr Razavi.
Grâce à cette étude, on déterminera, avec exactitude, quels sont les besoins » en psys « . Il ne manquera donc plus, ensuite, qu’une décision » politique » pour les intégrer aux services spécialisés. Et installer, enfin, un réseau de soins intégrés de sénologie. » Ce que les femmes, leur famille et un certain nombre de spécialistes réclament en vain, depuis des années, détaille le Dr Fabienne Liebens, c’est un bon dépistage généralisé. Mais, aussi, des unités de mises au point diagnostique travaillant en collaboration avec des cliniques du sein. Actuellement, aucune réglementation ne pèse sur ces dernières. Pourtant, on sait que lorsqu’elles obéissent aux normes européennes, c’est-à-dire quand elles sont composées d’équipes multidisciplinaires, soignant au moins 100 femmes par an en suivant les protocoles scientifiques les plus pointus, ces cliniques du sein sont l’une des clés principales d’une meilleure prise en charge des malades et d’une meilleure guérison. » C’est pour cela, aussi, que les » revendications » des femmes, des familles, des spécialistes confrontés au cancer du sein ne relèvent pas du » caprice » : actuellement, 1 femme sur 2 atteinte d’un cancer du sein finit par mourir de sa maladie. Mais ce chiffre pourrait changer. Car, après tout, rien n’est jamais acquis. Ni à l’homme. Ni à la femme.
Pascale Gruber
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