Les résistants du Falun Gong
Des adeptes belges du mouvement spirituel et pacifiste de Li Hongzhi volent au secours de milliers d’autres pratiquants, victimes, en Chine, d’une répression sanglante
La réunion est fixée le jour de la Saint-Valentin. Quelques mois plus tôt, par messages croisés postés sur le Net, une centaine d’Européens, d’Américains et d’Australiens sont convenus de se retrouver place Tiananmen. Pour Matthias Slaats, un Gantois de 31 ans, project manager chez Agfa, il importe d’honorer ce rendez-vous » crucial pour la liberté de penser « . Le 14 février 2002, après avoir atterri à Pékin, le jeune homme se hâte vers le point de ralliement. Une armée de sbires l’a toutefois devancé : sur la plus grande place du monde, des policiers fouillent sans égards les touristes non chinois. Dans le sac à dos du Belge, rien qu’une banderole : Falun Dafa Hao, proclame- t-elle. » Le Falun Dafa est bon. » Le sort de Matthias aussi : embarqué avec d’autres étrangers, il est jeté en prison. Toute une nuit ponctuée de brutalités et d’interrogatoires menés en anglais : Que pense-t-il du Falun Gong ? Combien d' » hérétiques » compte le mouvement en Belgique ? Parce que sa » religion » lui recommande justement de mettre en £uvre, en toutes circonstances, les trois principes universels de bienveillance, de patience et de vérité, Matthias se laisse volontiers cuisiner. Mieux : impavide, il trouve là, finalement, l’occasion inespérée d’expliquer aux forces de l’ordre le but de son voyage, et, surtout, l’essence de cette pratique ancestrale qui, en l’espace d’une décennie à peine, a touché au c£ur 100 millions de Chinois. Et engendré aussi une exécration absolue dans l’esprit des dirigeants du pays, muée dès 1999 en impitoyable répression. En quatre ans, plus de 100 000 adeptes ont sans doute été arrêtés : sans que l’on sache exactement leur nombre, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes ont abouti dans des camps de travail et des asiles psychiatriques, où les tortures et les mauvais traitements ont eu raison d’au moins 800 d’entre eux. Loin de nier cette hécatombe, le gouvernement chinois s’en félicitait, revendiquant crânement l’élimination, au 31 octobre 2001, de 1 600 » sectaires pervers « …
Mais quoi ? La simple pratique (gratuite pour tous) de cinq exercices d’étirement et de méditation, basés, comme le tai-chi, sur des mouvements lents et souples, mettrait-elle le gouvernement de la République populaire de Chine dans une telle fureur haineuse ? Comment ce syncrétisme de théories bouddhiques, taoïstes et chinoises, coulé en une doctrine rudimentaire (le Falun Gong promet santé et salut de l’âme grâce à l’activation d’une roue invisible située dans l’abdomen), ce prêt-à-penser philosophique, qui inclut des critères de moralité et d’altruisme sincère, tout en refusant de se mêler de politique, est-il devenu la bête noire du régime de Pékin ?
Au départ, cette secte est un millénarisme classique : des gens plutôt âgés, marqués par une existence humble, incapables, souvent, de faire face au coût élevé des soins médicaux, adhèrent à cette forme anodine de culture physique doublée de dynamique de groupe. Le bouche-à-oreille favorise la convergence autour d’une personnalité charismatique, Li Hongzhi (né en 1951), un ancien fonctionnaire qui, en 1992, remet au goût du jour des rites traditionnels. Ainsi, il prône un ascétisme personnel, un rejet de la médecine occidentale, un retour à la pureté et à l’authenticité. Or, dans une société déboussolée où la réussite passe désormais par l’argent, des millions de Chinois, restés sur la touche, ont développé un fort sentiment d’exclusion. Veillant à ne réclamer ni argent ni présence régulière, le Falun Gong attire de nombreux retraités, dont des militaires. Puis, bientôt, des universitaires et des cadres du Parti communiste. Au faîte de la reconnaissance, Li Hongzhi est invité à coordonner la promotion du Falun Gong à l’échelle nationale. Le mouvement, qui connaît alors une véritable explosion dans les provinces les plus reculées, totalise désormais quelque 70 millions de pratiquants, soit davantage d’adhérents que le Parti ! Mais en 1999, le vent tourne… Le président Jiang Zemin semble éprouver au succès de la secte une irritation toute particulière, un dégoût personnel qui dépasse la simple détestation que peut ressentir un marxiste face aux allégations de Maître Li, parfois fâché, il est vrai, avec les sciences rationnelles. Le gourou assure notamment qu’un entraînement assidu permet d’acquérir des pouvoirs paranormaux, dont celui d' » allumer sa cigarette avec uniquement le doigt levé « …
Rééducation et exécutions
Après plusieurs mois de semi-répression, une manifestation tenue dans la ville de Tianjin réunit 10 000 adeptes, venus réclamer, pour leur pratique, un environnement légal et non hostile. C’en est trop : le 22 juillet 1999, les autorités interdisent ce » culte malfaisant « . Débute alors une campagne de diabolisation du mouvement (accusé de générer toutes sortes de maladies et d’être à la solde de groupes terroristes), qui passe par des mises en scène macabres (de prétendus suicides collectifs) et, surtout, par l’éradication programmée des adeptes. Le bureau 610, organe officiel de la répression, est mis en place. Il s’appuie sur une politique de terreur planifiée, qui récompense ou punit les autorités locales en fonction de leurs résultats dans la » réforme » des disciples du Falun Gong. » Au début de l’année 2001, quelque 310 000 personnes se trouvaient, sans inculpation ni jugement, en détention administrative dans des camps de rééducation. Ce chiffre était probablement beaucoup plus élevé en 2002, affirmait Amnesty International dans son dernier rapport, en raison de la campagne menée par le gouvernement contre le Falun Gong. »
» La grande surprise pour ce régime, peu habitué à la contestation sur une large échelle, a été de voir les pratiquants refuser l’interdiction, et continuer leur gymnastique douce dans les parcs « , explique Matthias Slaats. Le Gantois, qui appartient au petit noyau belge de pratiquants occasionnels (une centaine de personnes réparties à Bruxelles, Liège, Verviers, Anvers, Gand et Louvain), s’est désormais engagé dans la défense active du mouvement. Certes, le Parlement européen a bien passé une résolution exhortant le gouvernement chinois à mettre un terme à ces violations. A Genève, l’Assemblée des Nations unies sur les droits de l’homme s’en émeut aussi chaque année. En vain. L’attribution du prix Pulitzer 2001 à Ian Johnson, du Wall Street Journal, pour ses reportages sur le terrain (le récit de l’exécution d’adeptes, confié par leurs proches au péril de leur vie), ainsi que le dépôt, en 2002, auprès de la Cour de l’Illinois, d’une plainte pour crime de persécution, de génocide et de torture contre Jiang Zemin et le bureau 610, ont toutefois mis la pression. Li Honghzi est à présent réfugié à New York. Et la France, l’Espagne, l’Allemagne, l’Islande, la Finlande et Taïwan ont également introduit des actions judiciaires. Mais l’un des derniers coups portés à la persécution le fut de Belgique…
Alerter l’opinion
Le 20 août dernier, six pratiquants de diverses nationalités – dont Matthias Slaats et Shi Yuhong, une journaliste chinoise résidant depuis sept ans dans notre pays, ainsi que Dai Zhizhen, une jeune Australienne dont le mari a été battu à mort ( lire le témoignage p.26) – ont déposé une plainte, à Bruxelles, contre Jiang Zemin et deux complices, dans le cadre de la nouvelle loi dite de compétence universelle. Le 19 septembre, le procureur fédéral Serge Brammertz la classait sans suite, au motif que ni Slaats ni Shi Yuhong ne pouvaient prétendre avoir été personnellement victimes d’une violation grave du droit international humanitaire. » Nous avons demandé à la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx, d’exercer son droit d’injonction positive contre cette décision, explique Slaats. Elle a répondu ne pas vouloir s’engager. » A la fin du mois de décembre, le dossier prenait donc la direction de la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg. Le jeune Flamand n’est pas dupe : s’il a peu d’espoir de voir un jour traduire en justice des responsables chinois, son but reste » avant tout de faire savoir ce qui se passe là-bas « . Et de commencer par convaincre le pouvoir pékinois que celui-ci combat un ennemi qui, simplement, n’existe pas. l
Valérie Colin
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