Les Médicis en leurs miroirs
Rendez-vous avec les Médicis au musée Jacquemart-André, à Paris. Au-delà du plaisir des yeux, une belle exposition questionne l’art du portrait et ses stratégies au XVIe siècle florentin, gagné par la volonté anticlassique du maniérisme.
Pour un grand nombre de touristes, Florence, ville de pierres et d’angles droits, exprime on ne peut mieux l’idéal humaniste porté dès les premières années du XVe siècle par la famille Médicis et ses artistes, de Brunelleschi l’architecte à Masaccio le fresquiste. Quelques décennies plus tard, l’objectif semble atteint. La raison guide les recherches de Léonard de Vinci autant que l’esthétique de Raphaël. Mais en 1494, la famille Médicis est chassée. Les prêches de Savonarole ont porté leurs fruits. La République est proclamée et avec elle revient une rigueur morale. Ce ne sera qu’un intermède. Dès 1512 et jusqu’à la fin du siècle, les Médicis vont régner sur la cité même si, après le sac de Rome en 1527, ils seront, mais pour trois ans seulement, à nouveau expulsés.
Aujourd’hui, bien des » signes » manifestent leur présence. Citons le Persée de Cellini, le musée des Offices, le Palazzo Vecchio de Cosme Ier ou encore la superbe villa de Pratolino avec ses grottes artificielles, ses jeux d’eau et son célèbre Colosse de l’Apennin. La peinture, en revanche, aura été longtemps méprisée. En cause : son opposition aux recherches rationnelles du siècle précédent qui, faisant de l’homme le centre du monde, visait en art à enfermer le réel dans l’universel et la géométrie. Du coup, au nom de la seule beauté plastique (la seule réalité en ces temps), les Pontormo, Rosso, Parmesan et autres Salviati oseront les déformations, les erreurs de perspective ou encore les harmonies chromatiques heurtées, emballées à coups de citations formelles et littéraires clairement exprimées. On appelle cette tendance le maniérisme. Mais à l’ombre des grandes compositions religieuses ou allégoriques, l’art du portrait, réalisé par ces mêmes artistes, offre parallèlement des chefs-d’oeuvre méconnus, réunis exceptionnellement cet automne au musée Jacquemart-André, à Paris, selon un parcours en cinq sections.
1. La République austère, 1494-1512
Le premier tableau de l’exposition donne le ton. Fra Bartolomeo, qui le signe, a bien connu son modèle, le moine Savonarole. Dans ce portrait posthume, le peintre opte pour la pose de profil comme sur les bas-reliefs romains, les camées et les pièces de monnaie. Il limite le nombre de teintes à deux et détache le visage sur un fond sombre et monochrome. L’effet est saisissant. Rosso Fiorentino choisit les mêmes solutions dans un portrait d’homme à la fois tranquille et lucide. En réalité, comme dans les autres portraits (de trois quarts), l’économie des moyens est de mise. La peau est lisse, les plis de vêtements stylisés comme les yeux ou les mains par exemple. Le plus beau morceau, la Dame au voile, est signé Ridolfo del Ghirlandaio. A l’époque, l’oeuvre était protégée par une seconde peinture au centre de laquelle nous fixait un masque sans expression.
2. La reconquête des Médicis, 1530-1537
Après le sac de Rome par les armées de Charles-Quint, il faut attendre trois ans pour que les Médicis, chassés, reviennent par la force à Florence. L’art du portrait va participer à cette reconquête. Alexandre de Médicis, peint par Giorgio Vasari (l’auteur des célèbres Vies d’artistes) est un bel exemple d’une image politique (l’homme de profil en armure) nourrie par un décor symbolique où rien n’est laissé au hasard. Aucune émotion ici, aucune sérénité. Retenons aussi dans cette section le portrait de Stefano Colonna signé Bronzino, un militaire lettré. L’accord entre un dessin stylisé en un coloris métallique aussi lumineux que somptueux (des passages de violets grisés aux verts assourdis) fait oublier le sujet. Demeure le plaisir des esthètes, credo des maniéristes.
3. La cour de Cosme Ier et Eleonore de Tolède, 1539-1574
Le mariage d’un Médicis avec une princesse espagnole va renforcer encore l’idéal de raffinement porté par les arts. Sous son influence, l’art du portrait gagne en magnificence alors que de grands travaux embellissent la ville. Il s’agit d’éblouir (d’impressionner) comme le révèle, sur fond bleu acide, le portrait en buste de la nouvelle grande dame de Florence habillée d’une robe de satin rouge brodée d’or et de perles, le cou et les cheveux à leur tour illuminés par des perles. Peint avec minutie, dessiné au scalpel, l’oeuvre impose la distance. La pose est figée. Le regard lointain. Le coeur inaccessible. Eleonore de Tolède est » intouchable « . Mais le ravissement est de mise. Comme – pour des raisons tout aussi esthétiques – dans le portrait de Cosme Ier par le même Bronzino (une véritable mélodie en bleu) ou celui, plus captivant encore malgré la petitesse de sa taille (16 cm) d’Eleonore de Tolède dû au pinceau fin d’Alessandro Allori.
4. Le portrait miroir des arts
La quatrième section du parcours, thématique et non chronologique, révèle si besoin était, l’importance de la culture à la cour des Médicis. Aux portraits sont associés instruments de musique ou livres ouverts. Pontormo, Salviati, Andrea del Sarto et toujours Bronzino (le portrait de la poétesse Laura Battiferi impressionne) proposent ainsi, chacun avec leur manière propre, des compositions dans lesquelles leur talent de coloriste soyeux aime à s’exprimer en » lettrés « .
5. La fin du siècle, 1574-1600
La fin du siècle se partage entre deux tendances contradictoires. D’une part, influencé par la mode espagnole, le portrait d’apparat renchérit jusqu’à l’écoeurement sur la richesse des parures en des silhouettes engoncées et compactes dessinées avec une rigueur excessive. Ainsi le portrait en pied signé Santi di Tito de Marie de Médicis (future épouse de Henri IV). D’autre part naît le besoin d’exprimer, enfin, les sentiments. Pour ce faire, le peintre renonce aux idéalisations au profit d’une certaine théâtralité dans les poses (Antonio de Ricci) et dans le choix de sujets privilégiés comme celui du portrait d’enfants. Mais là encore, alors qu’il s’agit, dans les trois oeuvres de Santi di Tito, d’immortaliser des enfants morts en bas âge, l’iconographie se veut révélatrice d’une éducation soignée immergée dans un environnement reflétant la richesse et l’ambition sociale des parents. Le maniérisme, c’est aussi cela.
Florence. Portraits à la cour des Médicis, au Musée Jacquemart-André, à Paris. Jusqu’au 25 janvier. www.musee-jacquemart- andre.com
A lire : catalogue édité par Culturespaces-Fonds Mercator.
www.thalys.com
Par Guy Gilsoul
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