Les Islandaises brisent la glace
Les romancières Baldursdottir et Sigurdardottir sont encore quasi inconnues chez nous. Mais leurs délicats portraits de femmes feront fondre plus d’un lecteur.
Sauf à prendre des diminutifs, à l’instar de la chanteuse Björk, ou à publier des polars, comme Arnaldur Indridason, les auteurs islandais pâtissent de noms imprononçables. Pourtant, il va falloir s’y habituer, notamment avec les dottir (les » filles de » – près d’un tiers des quelque 90 auteurs de cette nation aux 300 000 âmes), comme Kristin Marja Baldursdottir et Steinunn Sigurdardottir.
Kristin Marja la brune et Steinunn la blonde, deux voix féminines au style fort disparate, mais aux nombreux points communs : l’âge (58-59 ans), un passé de journaliste, une belle notoriété nationale, un solide sens de l’humour, un roman adapté au cinéma (Le Rire de Seagull, pour la première, Le Voleur de vie, d’ Yves Angelo, pour la seconde) et un intérêt prononcé pour la famille et la femme islandaise, ce drôle de spécimen européen, tout à la fois éduquée, travailleuse (à 95 %), mère de famille et polyglotte.
Comme beaucoup de ses compatriotes, Kristin Marja Baldursdottir a vécu à l’étranger, dans la proche Norvège mais aussi en Allemagne. Deux pays qui ont publié la plupart de ses romans. En France, c’est Gaïa, l’exquis petit éditeur au papier vieux rose, qui s’est lancé à l’eau en éditant le dernier-né de la dame, Karitas, sans titre, un roman-fleuve inspiré par sa propre arrière-grand-mère, veuve de marin désargentée (un quasi-pléonasme au pays des fjords). C’est donc une mère courage qui quitte, en 1915, l’ouest de l’Islande pour tenter d’assurer, dans le nord-est, l’éducation de ses six enfants. Un défi extravagant, mais qui portera ses fruits, au prix de mains meurtries par le salage des harengs et le maniement des aiguilles. Où l’on voit, au fil de cette fresque historique envoûtante, l’émergence de Karitas, l’une des filles, future artiste peintre età mère de famille nombreuse.
» J’ai voulu décrire une femme, ni bonne ni mauvaise, mais qui n’intervient en rien dans l’éducation de ses enfants « , explique, pour sa part, dans un français impeccable (elle a séjourné sept ans entre Paris et Montpellier), Steinunn Sigurdardottir à propos du Cheval soleil, son troisième roman publié en français. Avec Ragnhildur, son héroïne pédiatre dans le Reykjavik d’aujourd’hui, on est loin de la mater protectrice de Karitas. Dans l’immense maison guère entretenue, Li la narratrice et son petit frère n’en finissent pas de se prendre en charge, tant » les époux » (ainsi nommés par leur fille), tout à leur univers théorique, se désintéressent totalement de leurs préoccupations. Comment grandir, aimer, se construire dans de telles conditions ? C’est autour de cette problématique originale que l’auteur tisse une toile aussi subtile qu’ironique. Histoire de montrer qu’il n’est pas toujours facile d’être » fille de » au pays des dottir.
Karitas, sans titre, par Kristin Marja Baldursdottir, trad. de l’islandais par Henry Kiljan Albansson. Gaïa, 512 p.
Le Cheval soleil, par Steinunn Sigurdardottir, trad. de l’islandaispar Catherine Eyjolfsson. Héloïse d’Ormesson, 188 p.
Marianne Payot
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