Nono le robot, Porteus Workshop. © A. Dorlet

Les imparfaits du futur

La nouvelle exposition du Musée royal de Mariemont passe anticipations, utopies et dystopies à la loupe. Un propos passionnant, intelligent et accessible qui fait voyager d’Astroboy à Nostradamus.

Tous ceux qui imaginent le Musée royal de Mariemont croupi dans la poussière de ses collections d’objets anciens en seront pour leur frais. Bye Bye Future !, la dernière initiative en date prouve une institution en phase avec ce que l’on attend d’un tel lieu, à savoir qu’il endosse une mission sociétale et propose un parcours immersif attrapant les publics par le col. La bonne nouvelle est que ce défi relevé haut la main s’est effectué sans trahir son ADN, soit être avant tout un endroit où on arpente le passé des civilisations pour mieux comprendre le présent. A ces deux dimensions temporelles, passé et présent donc, la nouvelle exposition en ajoute une troisième, le futur, soulignant la dimension révélatrice de celui-ci.

Untitled (Fortnite), Wim Delvoye, 2019.
Untitled (Fortnite), Wim Delvoye, 2019.© STUDIO WIM DELVOYE SABAM

On l’oublie généralement mais toute image de l’avenir qu’une société produit en dit long sur l’état dans laquelle elle se trouve. Si le constat vaut pour les  » futurs antérieurs  » – ces fascinantes projections appartenant au passé (les aquarelles anticipatives de l’illustrateur Albert Robida, un documentaire de 1947 aux prédictions hallucinantes de justesse, La Télévision, oeil de demain …) -, que dire actuellement d’une époque paniquée où la notion d’effondrement (du climat, des relations internationales, du contrat social…) est omniprésente ? Preuve du caractère invasif de cette  » catastrophe à venir « , la contemporanéité s’est inventé le terme  » collapsologie  » (un mot forgé en 2015 prédisant la chute de la civilisation industrielle) rien que pour elle ? Thématique pertinente donc que de se pencher sur les lendemains forgés hier et d’aujourd’hui, qu’ils soient utopiques, c’est-à-dire positifs ; dystopiques, angoissants et catastrophistes ; ou encore uchroniques, comprendre qu’ils déroulent une suite fictive à partir d’un fait historique avéré.

Le choix a été fait de mélanger les genres. Les oeuvres d’art contemporain jouxtent en leur faisant écho des créations issues de la culture pop ou de la science-fiction – on dénombre près de 200 oeuvres pour 100 artistes présents. Aucune production culturelle, qu’il s’agisse du jeu vidéo (plusieurs d’entre eux sont à disposition du public) ou du fan art, n’est ici regardée de haut car elle est envisagée comme un miroir dans lequel se reflète notre société. Pour faire tenir tout cela ensemble, Sofiane Laghouati, le commissaire de l’événement a choisi un schème très opérant, celui du cabinet de curiosités. C’est selon l’esprit de ces vitrines apparues à la Renaissance (l’une d’entre elles ayant appartenu au mécène Raoul Warocqué ouvre d’ailleurs l’exposition), que l’intéressé a imaginé le contenu du parcours. L’idée ?  » Faire naître la surprise et montrer que l’étonnement est tout à fait compatible avec le savoir « , explique-t-il.

Domaine de Mariemont au siècle prochain, Luc Schuiten, 2019.
Domaine de Mariemont au siècle prochain, Luc Schuiten, 2019.© LUC SCHUITEN

OEuvres fascinantes

Si le cabinet de curiosités constitue la trame de ce tracé ludique, il ne faut pas croire pour autant que Bye Bye Future ! relève du fourre-tout. Huit sections cohérentes structurent l’ensemble. Dès la première salle, dans laquelle on peut apercevoir un extrait de Peau d’âne (1970) de Jacques Demy auquel répondent deux oeuvres de la plasticienne contemporaine française Katia Bourdel, le visiteur décrypte la nature complexe du temps à travers le prisme du conte. Généralement présentées sur le mode du  » Il était une fois « , les histoires pour les enfants doivent également se comprendre comme un  » Demain, il sera  » en ce qu’elles font advenir les identités de ceux, plus exactement de  » celles  » lorsqu’il s’agit de Peau d’âne ou de Raiponce, autre conte évoqué, à qui elles sont lues.

Le château démentiel, François Wagner,  2016.
Le château démentiel, François Wagner, 2016.© PHOTO MICHEL LECHIEN

On le comprend rapidement, passé et futur sont inextricablement liés. Du coup, l’exposition se plaît à nous balader à travers les temporalités. Pas de panique, il ne faut pas un master en philosophie pour passer un bon moment, la richesse des oeuvres présentées a ceci de merveilleux qu’elle offre différent niveaux de lectures. Si on choisit de s’en tenir à la seule fascination des yeux, on pourra passer ici des heures, par exemple devant les pièces du tailleur de pierre devenu sculpteur Fred Biesmans. Le Bruxellois imagine des céramiques qui, comme il le dit, invitent  » à une plongée dans des mondes miniatures faisant référence de près ou de loin à l’univers de la science-fiction et à ses décors futuristes « .

Une pièce, spécialement créée pour Mariemont, magnétise tout particulièrement. Iranoor From Coast to City se découvre comme une maquette de trois mètres de longueur qui incite à rêver à la civilisation postapocalyptique qu’elle abriterait. Ronan-Jim Sévellec, peintre et sculpteur français, signe, lui, la représentation d’un atelier d’artiste et d’un appartement du xixe sous forme de boîtes diorama.

L’humour n’est pas absent du propos. Qu’il s’agisse des oeuvres de Go Jeunejean, Liégeois génial qui fabrique d’hallucinantes créatures à partir de matériaux récupérés ; de celles, en résine, d’Alexandre Dorlet (Proteus Workshop) jouant les pygmalions en offrant une existence 3D au personnage de dessin animé  » Nono le robot  » ; ou encore du sculpteur Stéphane Halleux et son très engoncé  » Expert comptable « , aux contours aussi loufoques que rétrofuturistes.

Il est hélas impossible de passer ici en revue toutes les oeuvres dignes d’intérêt, qu’il s’agisse de Wim Delvoye et de ses captures d’écran de jeux vidéo immortalisées dans le marbre, du triptyque dessiné abyssal de Clara Marciano ou encore du grinçant Mathieu Zurstrassen – son dispositif #In Memoriam souligne par l’absurde la nocivité des réseaux sociaux en imaginant une inquisition 2.0.

Bye Bye Future ! se termine par une note résolument optimiste. On la doit à l’architecte Luc Schuiten qui nous fait entrevoir un futur apaisé, calqué sur la nature. Les images qu’il produit réinventent Bruxelles, Metz, Strasbourg et même Mariemont, selon le principe du biomimétisme. Le tout pour une intervention qui fait résonner le titre autrement : il s’agit moins de dire bye bye à l’avenir en constatant la fin du monde que d’acter la disparition d’une société arrogante ayant fait fausse route.

Bye Bye Future ! : au Musée royal de Mariemont, à Morlanwelz, jusqu’au 24 mai prochain.

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