Les challengers

Philippe Cornet Journaliste musique

Depuis Le Huitième Jour, aucune autre production impliquant des handicapés mentaux n’a eu un tel impact : Complicités, mélange de cirque, de poésie et d’autobiographie détournée est plus qu’un simple divertissement visuel. Il est en tournée belge.

Les trois papys s’avancent au bord de la scène, frôlant le premier rang. Ils sont habillés en jaquettes de soirée, chics et sobres. Ils portent même un haut-de-forme dont la peau gantée de noir affiche une plume rose que n’aurait pas reniée Joséphine Baker. A ce premier décalage s’en ajoute un autre beaucoup plus sonore : le rire. Le papy Michel en est sacrément équipé : un rire 4 x 4, énorme, caverneux, tonitruant, irrésistible. Michel va entraîner ses deux complices, Axel et Jean-Luc, dans un carnaval de larynx qui va irrésistiblement déteindre sur le public, hoquetant à son tour de plaisir répété. Ces deux-trois minutes hilares forment l’une des scènes marquantes de Complicités qui rassemble sept artistes pros (acrobates, musicien, acteur) et onze handicapés mentaux. En anglais, on dit mentally challenged, ce dernier mot signifiant à la fois défi et provocation. Il y a bien de cela dans ce spectacle d’une bonne heure créé en février 2011 au théâtre Varia, à Bruxelles. L’initiative en incombe à Véronique Chapelle, directrice du Créahm-Bruxelles : depuis 1979, Créativité et Handicap Mental travaille la création artistique avec des personnes handicapées, débusquant Pascal Duquenne, dont la performance dans Le Huitième Jour (1996), de Jaco Van Dormael, fait toujours date.

Onirisme vécu

Quand Véronique Chapelle va proposer son idée de monter un spectacle de cirque à Catherine Magis, directrice artistique de L’Espace Catastrophe, les deux femmes ne savent pas qu’il leur faudra trois ans de répétitions et de recherches de fonds pour aboutir. Magis réalise que le travail avec les handicapés passe inévitablement par leur vécu, et les encourage à amener sur le plateau leurs rêves et leurs fantasmes. S’ensuivent des ateliers où les parrains viennent regarder et suggérer, offrant un regard extérieur à cette fourmilière très particulière qui croise la vie réelle et le spectacle. S’y insèrent plusieurs acrobates venus d’Israël (Mikael), de Suisse (Maxime), d’Italie (Alessandro, Enrico) ou simplement de Belgique (Colin) : aucun n’a jusque-là travaillé avec des personnes différentes. Lorsque Thomas fait le tarzan et le boxeur, Eduardo le papillon et le grimpeur, Lionel le jongleur ou qu’Axel appelle sa maman sur un air de flûte du musicien Max Vandervorst, on est bien dans une forme d’onirisme vécu. Restait à en faire un spectacle huilé et non pas une série de sketchs : Magis a réussi les deux, évacuant aussi toute forme de paternalisme. Les dates de l’actuelle tournée qui débute ce 28 janvier, sont les dernières fermement bookées : le spectacle est cher et les spectacles ultérieurs sont encore à confirmer.

A Bel£il, le 28 janvier, Ottignies le 4 février, Verviers le 11, Dinant le 14, Jodoigne le 18, Huy le 22, Soignies le 28, Marche-en-Famenne les 4 et 5 mars, Nivelles le 8 et Lessines le 10. www.catastrophe.be/complicites/ agenda.php

Complicités. Histoire d’un spectacle, par Laurent Ancion, aux Pac Editions.

PHILIPPE CORNET

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