Les Bourses se réveillent
Ce qu’il y a de bien avec les actions, c’est qu’elles donnent la température du moral des investisseurs. Bonne nouvelle : il est à la hausse ! Mais la prudence est, plus que jamais, conseillée. Voici pourquoi
Les Bourses ne dédaignent pas les coups de théâtre. Voilà qu’elles nous offrent depuis peu un renversement de tendance spectaculaire. Pour en saisir l’ampleur, remontons le temps de quelques mois. A la mi-mars, les investisseurs avaient le moral dans les chaussettes. Un sentiment de panique avait même vu le jour autour du secteur financier, et plus particulièrement à l’égard des compagnies d’assurances. Un fort courant vendeur s’était emparé du Vieux Continent : certaines actions perdaient parfois plus de 10 % par jour… Il est vrai que la sortie de l’hiver était lourde de menaces. La guerre d’Irak entrait dans une phase décisive et le pétrole s’enflammait à plus de 30 dollars le baril.
Spirale négative
C’était cependant d’abord et avant tout la situation des assureurs qui préoccupait les investisseurs. A l’instar des particuliers, grisés par les succès boursiers faciles des années 1990, les assureurs n’avaient pas fait preuve de plus de discernement. La purge boursière n’épargna donc pas davantage les investisseurs institutionnels et les grandes compagnies… Une réalité qui allait encore plus démoraliser les épargnants, aggravant la chute des marchés. Bel exemple de spirale négative !
Depuis, la crainte de perdre de l’argent a rendu les investisseurs d’une frilosité peu banale. Les portefeuilles d’actions ont été massivement convertis en liquidités ou en obligations. Pourtant, la rémunération offerte par les produits à revenu fixe n’a jamais été aussi faible (lire en page 60). Et ceux qui, malgré tout, continuaient à croire aux actions ne choisissaient que des valeurs en béton. C’est-à-dire des entreprises ayant un minimum de dettes et une sensibilité au dollar la plus faible possible. Il y a six mois, on pouvait illustrer cet antagonisme entre le risque et la sécurité par la comparaison entre Delhaize et Colruyt ( lire l’encadré). Une analyse toujours pertinente aujourd’hui.
Un rebond spectaculaire
Comme on le dit souvent, c’est au moment où il fait le plus sombre que le jour point. Quelques jours avant le début du conflit en Irak, les cours de Bourses ont commencé à se ressaisir. La chute rapide du régime de Saddam Hussein a permis un rebond vigoureux, soutenu par les espoirs d’une reprise économique prévue pour cet automne aux Etats-Unis, et pour l’année prochaine en Europe.
La majorité des Bourses ont, depuis, regagné de 40 à 50 % du terrain perdu. Impressionnant en soi, mais à relativiser au regard de la lourde chute encourue auparavant. Ainsi, si notre BEL20 a récupéré près de 50 % (il est passé de 1 400 à 2 100 points), il faut aussi se rappeler qu’il atteignait les 3 600 points il y a cinq ans. Cela dit, ne noircissons pas le tableau. C’est la première fois depuis le krach du printemps 2000 que les marchés parviennent à renverser la tendance et à montrer un réel tonus.
Confiance renouvelée
Il y a désormais de vrais signes de reprise économique. Ils sont plus tangibles et concrets outre-Atlantique, mais il n’est pas étonnant que le Vieux Continent soit un peu à la remorque des Etats-Unis. Ces prévisions économiques plus favorables s’accompagnent d’une croissance attendue du bénéfice des entreprises. Ainsi va la vie de l’investisseur : si la Bourse remonte, la confiance refait surface. Le graphique ci-dessous montre qu’il existe un lien étroit entre l’évolution de la Bourse et la confiance des consommateurs américains. Or, c’est toujours Wall Street qui donne le ton à l’échelle boursière mondiale. La spirale positive a pris le relais de la déprime généralisée. L’appétit pour le risque grandit de jour en jour. Ce sentiment est palpable en observant les choix d’actions qui s’opèrent. Ce sont effectivement les valeurs technologiques, plus spéculatives, qui reviennent désormais en cour auprès des investisseurs actifs.
Menaces persistantes
Est-ce le moment d’acheter des actions ? Il convient de garder à l’£il certains dangers. La santé fondamentale de l’économie reste préoccupante. Il y a fort à parier que la reprise ne sera pas aussi durable qu’on l’espère. Cette reprise apparaît quelque peu artificielle dans la mesure où elle est soutenue, à court terme, par la politique agressive de la Réserve fédérale (Fed) et du gouvernement américains. La banque centrale américaine a, en effet, abaissé son taux directeur à un plancher absolu (1 % !) dans l’espoir de doper la consommation. Or, le citoyen américain moyen devait déjà faire face à un endettement gigantesque au soir de la période dorée des années 1990. La politique menée par la Fed n’a rien arrangé ! L’endettement des Américains n’a jamais été aussi important, pas même en 1929… De plus, le déficit commercial du pays ne cesse de croître : les Etats-Unis importent beaucoup plus qu’ils n’exportent.
George W. Bush fait tout pour être réélu. Après avoir mené la guerre » contre le terrorisme « , il compte relancer l’économie par des abaissements fiscaux (surtout pour les nantis), mais aussi par des dépenses publiques accrues dans le domaine de la défense. En surplus budgétaire à l’époque Clinton, les Etats-Unis sont passés brutalement à un déficit colossal. Et celui-ci ne cesse de grandir…
Les Américains doivent donc sérieusement travailler à la diminution de leur dette. En ce moment, cela ne pose pas un problème considérable car les étrangers, principalement les Asiatiques (Japonais et Chinois) sont prêts à financer ce déficit. Au cours de la décennie passée, leurs investissements en dollar se sont avérés judicieux. Mais, depuis peu, le dollar perd du terrain par rapport à l’euro et au yen. Les investisseurs internationaux ont en outre de plus en plus le sentiment que les fondamentaux de l’économie américaine sont assez peu équilibrés. Un affaiblissement accru du dollar pourrait donc mettre un terme à l’afflux de liquidités vers les Etats-Unis. Qui ne pourront plus, ce jour-là, vivre au-dessus de leurs moyens.
Prudence souhaitée
La faiblesse du billet vert est susceptible de mettre les économies européennes à mal. Bon nombre d’entreprises de notre continent réalisent une part substantielle de leur chiffre d’affaires outre-Atlantique… ou doivent affronter de sérieux concurrents américains en Europe. Et ceux-ci gagneront du terrain si le dollar continue à piquer du nez. L’avantage concurrentiel provoqué par la faiblesse de la devise par rapport à l’euro n’est pas à sous-estimer.
Que conclure ? A court terme, le marché des actions peut encore continuer à grimper en raison du sentiment positif qui est né ces derniers mois. Mais la prudence s’impose. Quiconque pense que le retour des années dorées est une réalité va au-devant de graves désillusions. Les investisseurs prendront garde à ne pas tomber dans le même panneau qu’en 2000 : acheter des actions au sommet de leurs cours…
Dany Reweghs
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