Les 18-36 ans Ce qu’ils vivent Ce qu’ils veulent
Une enquête de grande ampleur, menée par la VUB (Vrije Universiteit Brussel), pour le compte de P&V, dresse un tableau étonnant des petits-enfants de Mai 68. Ils sont inquiets pour l’avenir. La famille est leur horizon absolu, au point de s’y incruster plus longtemps que leurs aînés. Mais la génération des 18-36 ans est aussi travailleuse, plutôt mobile, tolérante et cultive ses amitiés
(1) Une Journée des Familles se tiendra, le 19 juin, au Résidence Palace à Bruxelles, à l’initiative de la secrétaire d’Etat aux Familles et aux Personnes handicapées, Gisèle Mandaila (MR).
Ils sont les enfants de ceux qui ont vibré aux idéaux et à l’hédonisme de Mai 68. Le portrait qui se dégage pourtant de cette génération de 18 à 36 ans, auscultée à travers un échantillon de plus de 4 600 jeunes Belges par le groupe de sociologie de la VUB (Vrije Universiteit Brussel), est surprenant. Ils rêvent famille, maison, enfants, travail régulier, amis fidèles et grandes bouffes conviviales. La révolution ou les grandes aventures politiques, ce n’est pas leur tasse de thé : un jeune sur dix seulement s’oppose à la société. Avertis précocement des difficultés de la vie ou trop choyés chez eux, ils épargnent comme des fourmis. D’où l’extension du phénomène Tanguy, du nom de l’insupportable grand dadais surdiplômé, hyperactif sexuellement et dégoulinant d’amour filial du film d’Etienne Chatiliez. Signe distinctif : il a 28 ans et vit toujours chez ses parents.
Pour les rebelles de Mai 68, ils sont une source inépuisable d’étonnement. De leur temps, les jeunes n’avaient qu’une envie : conquérir leur autonomie. Vérité ou illusion û ils n’avaient pas des parents aussi cool, eux û, les faits sont là : 63 % des jeunes adultes ont quitté le cocon familial à l’âge de 22 ans, mais 37 % n’envisagent de prendre leur envol qu’entre 25 et 26 ans. La possibilité que leurs parents exigent d’eux qu’ils se lancent dans une vie indépendante et qu’ils donnent une suite favorable à cette éventuelle question û déplacée ? û est jugée pratiquement inexistante (0,8 %). Non, les raisons qui décideraient plutôt les Tanguy à déménager, c’est l’acquisition d’une autonomie financière jugée suffisante (45,4 %), l’envie de vivre avec son ou sa petit(e) ami(e) (21,3 %), la fin des études (16,7 %) et un logement approprié (15,8 %).
En Belgique, les Tanguy sont surtout masculins, flamands et n’appartiennent pas à l’univers des grandes villes. Si l’on répartit ces jeunes adultes en fonction de leur statut professionnel, on constate que 45 % sont encore aux études, contre 55 % qui les ont terminées, ont un boulot ou sont au chômage ; ils ne se voient quitter le nid qu’à l’âge de 27 ans ou plus. » Cet attachement au domicile parental est peut-être l’une des évolutions les plus remarquables « , soulignent les auteurs de l’étude de la VUB, les sociologues Mark Elchardus et Wendy Smits. La première raison invoquée est financière : soit les jeunes n’ont pas encore d’emploi, soit ils sont au chômage. Pour les jeunes adultes déjà insérés professionnellement, prolonger son séjour chez papa-maman permet d’économiser pour accéder un jour à un confort comparable à celui de leurs parents, tout en profitant à fond de leur jeunesse. Près de la moitié des étudiants vivant en kot ou revenant chaque soir chez eux envisagent aussi cette période de battement avant la prise d’indépendance.
Les différences régionales sont tellement marquées qu’elles offrent un champ fertile à la recherche sociologique : 17 % seulement des Bruxellois de 20 à 30 ans, actifs ou à la recherche d’un emploi, habitent encore chez leurs parents, contre 40 et 31 % en Flandre et en Wallonie. » J’ignore pourquoi ce phénomène s’exerce de façon si prononcée en Flandre, reconnaît Mark Elchardus. Je pense qu’il est lié au fait que la Flandre a un niveau de vie plus confortable et que les jeunes gens ont dès lors peur de le perdre en quittant la maison familiale. C’est potentiellement une mutation très importante, parce que ce report des échéances pourrait aussi s’exercer dans d’autres domaines, professionnel notamment, où la prise de responsabilités et l’investissement personnel seraient différés, les parents garantissant par ailleurs une certaine indépendance vis-à-vis de l’employeur. On a moins peur de perdre son job quand on vit chez ses parents… » (lire aussi encadré p. 51).
Les Belges de 18 à 36 ans sont également très prévoyants : ils sont en phase avec la passion belge pour l’épargne. Deux tiers d’entre eux estiment qu’il est important de mettre de côté » en cas de coup dur » ou » pour ses vieux jours « . Mais, hormis cet aspect » fourmi « , la moitié n’a pas de plans bien définis pour l’avenir, l’autre moitié jurant que celui-ci doit être » préparé « . Les plus concernés û ou inquiets û sont les jeunes Wallons, suivis des Bruxellois, puis des Flamands. » Preuve, pour Elchardus et Smits, qu’il ne s’agit pas d’une génération no future. Se soucier de sa pension et de l’assurance-santé n’est manifestement pas l’apanage des personnes âgées… » Mais il y a plusieurs manières d’analyser ce phénomène d’épargne précoce. » Soit ils sont simplement conformistes, poursuit le sociologue Mark Elchardus. Soit cette épargne est justifiée par l’angoisse de l’avenir. C’est une génération qui se fait du souci pour l’avenir de la société et de l’économie en général, au-delà de son sort personnel. On pourrait dire, en boutade, qu’elle n’a pas connu la guerre, mais qu’elle fait tout comme si elle s’y préparait. Les grandes questions sur le multiculturalisme, l’Etat belge, l’Europe, l’économie mondialisée, la disparition des rythmes traditionnels du travail, l’homogénéisation culturelle de la planète, etc., lui inspirent plus de méfiance que d’optimisme. »
En matière de propriété immobilière, les jeunes Belges ont les mêmes aspirations que leurs aînés. Ils pensent très tôt à acheter. A l’âge moyen de 32 ans, 4 jeunes adultes sur 10 ont déjà acquis leur logement. Les autres en rêvent et sont prêts à s’endetter pour trente ans. Le pouvoir d’achat fait la différence. Les moins qualifiés, les chômeurs, les étudiants et les ouvriers accèdent moins facilement à la propriété. L’acquisition d’un logement va plus souvent de pair avec la présence élevée d’enfants au foyer û 7 sur 10 ont des enfants û et l’existence de convictions religieuses. Les Bruxellois sont moins souvent propriétaires, notamment dans le centre-ville, que les autres. Les différences de prix à l’achat ou à la rénovation font le reste…
L’envie de déménager existe chez 6 jeunes sur 10, toutes régions confondues, surtout s’ils n’ont pas encore d’attaches professionnelles. Mais les Bruxellois sont les champions de la bougeotte : 8 sur 10 projettent de changer d’air, indépendamment du fait qu’ils sont ou non propriétaires de leur habitation. Les jeunes les moins disposés à quitter leur logement ont trouvé, semble-t-il, leur bonheur en pleine nature, en dehors de toute agglomération. La vraie campagne, c’est la seule chose susceptible de contrebalancer, aux yeux des Bruxellois, les charmes de la vie urbaine même si, pour les raisons pratiques qu’on imagine bien (plus de place ou plus de calme), ils cherchent à s’éloigner du centre-ville, mais au-delà de la périphérie. A l’inverse, les Wallons et les Flamands se sentiraient bien à l’ombre d’un clocher villageois, les Wallons marquant une légère préférence pour l’habitat moins dense, ce qui, principe de réalité aidant, est moins cité par les Flamands.
L’enquête de la VUB révèle aussi une plus grande mobilité que ne le voudrait la réputation du Belge attaché à son terroir, au point de refuser un emploi trop loin de chez lui ou de s’imposer de longues et coûteuses navettes. Seulement 2 à 3 jeunes sur 10 ne souhaitent pas quitter leur commune ou leur province natale. Trente pour cent cherchent, au contraire, à prendre de l’air par rapport à leur lieu d’origine. Plus de 20 % des 18-36 ans envisagent favorablement de s’établir quelque part en Europe û Erasmus est passé par là û et 15 %, dans le reste du monde. » La mondialisation s’est manifestement implantée dans les perspectives de vie des jeunes adultes « , commentent les auteurs de l’étude. Mais, attention, plus les engagements familiaux se précisent, plus l’horizon géographique se rétrécit. » Les jeunes qui veulent échanger leur domicile actuel pour le vaste monde se décrivent plus souvent comme libres-penseurs et habitent plus souvent dans le centre d’une ville et, spécialement, à Bruxelles. »
Le bonheur ? Avec quelqu’un !
Et les amours ? Vingt-sept pour cent des répondants n’ont pas de partenaire fixe. Les autres ont un(e) petit (e) ami(e), merci pour eux. Les jeunes femmes (76 %) davantage que leurs homologues masculins (70 %), les Wallons et les Flamands plus que les Bruxellois, les philosophiquement » tièdes » plus que les croyants et les libres-penseurs. Les solitaires ne sont pas pour autant des célibataires endurcis. Ils rêvent presque tous de l’âme s£ur. 8,1 % seulement de la population étudiée ne veut pas d’un compagnon ou d’une compagne, mais peut-être s’agit-il simplement des suites d’une déception : près d’un quart de ces réfractaires ont déjà été mariés et sont divorcés.
Le fait de vivre chez ses géniteurs n’est pas l’indice d’une vie vouée au célibat. La majorité des adversaires de la conjugalité se trouvent plutôt du côté des 18-36 ans qui vivent déjà seuls. » Toutes les enquêtes démontrent que le déterminant le plus important du bonheur est le fait de vivre avec quelqu’un, quel que soit le sexe « , relève Mark Elchardus. Les jeunes adultes qui cohabitent se disent, en effet, les plus heureux, le top étant atteint par les mariés. Les isolés célibataires et divorcés sont nettement moins satisfaits. L’insatisfaction la plus importante se trouve chez les divorcés qui ont fait leur deuil de l’amour. Les divorcés qui y croient encore se montrent un tantinet plus contents de la vie.
Le divorce, en hausse dans l’ensemble de la population, touche aussi les adultes de 18 à 36 ans. Dans l’échantillon, 4,5 % des jeunes sont divorcés, ce qui représente un taux de divorce de 12,2 %. Mariés à 23 ans, ils se dégagent des liens du mariage en moyenne à l’âge de 28 ans. Ainsi se confirme l’idée que la durée moyenne d’un mariage û quatorze ans û ne signifie pas grand-chose. Cette mesure est faussée par deux évolutions : d’une part, l’échec précoce, après moins de cinq ans de vie commune, et d’autre part, la séparation après vingt-cinq ans de mariage. Les jeunes femmes sont plus souvent divorcées que les jeunes gens. La foi offrirait-elle une forme de protection contre les turbulences de la vie amoureuse ? Cinq pour cent seulement des jeunes qui s’affirment croyants se retrouvent dans le groupe des divorcés, contre 14 % des personnes plus réservées quant à la foi et 20 % des » indifférents « .
Dans le groupe des 18 à 36 ans, les chômeurs sont également deux fois plus » divorcés » que les personnes actives, sans qu’on puisse établir si c’est la crise conjugale qui a entraîné la perte de l’emploi ou, au contraire, si les difficultés économiques ont fait éclater le couple. Leur situation précaire va souvent de pair avec une propension moindre à avoir des enfants et à acquérir un logement. Ces décisions importantes sont favorisées par la stabilité du couple, mais contribuent aussi à son maintien. En effet, 42 % des personnes divorcées sont propriétaires d’un logement contre 78 % des jeunes adultes mariés. Pour les enfants, cela tend à se rapprocher : 74 % des jeunes divorcés ont des enfants pour 81 % des mariés. Le niveau d’étude, la région ou l’environnement d’habitat (ville ou campagne) ne semblent pas jouer un rôle déterminant dans le divorce, pas plus qu’il n’exerce d’influence sur la décision de se marier, qui est l’institution la plus universellement partagée.
Toutefois, le désir de s’engager officiellement se manifeste plus souvent chez ceux qui vivent toujours au domicile familial que chez les partisans de l’union libre, dont les trois quarts avouent vouloir convoler un jour. Les militants de la non-demande en mariage se distinguent par un âge plus élevé, mais également par des convictions philosophiques affirmées (libre-penseur, non croyant) ou un désintérêt de ces questions. Le croyant, qu’il soit fermement ou moyennement convaincu, trouve plus facilement le chemin des édifices civils et religieux. C’est même un passage quasi obligé pour environ 80 % d’entre eux. Quand ils ont décidé de se marier, les libres-penseurs font preuve d’une grande flexibilité, se partageant entre adeptes de la cérémonie civile unique (34,3 %), du mariage civil et religieux (36,8 %) et du mariage civil accompagné d’un rituel non religieux (26,9 %).
La famille est indubitablement la grande affaire de cette génération (1). Les jeunes adultes déjà parents (36 %) sont âgés en moyenne de 32 ans. Les jeunes sans enfants (64 %) ont 25 ans. Dans l’échantillon, l’âge de la première naissance est de 25,5 ans et la taille de la famille est de 1,86 enfant en moyenne. Parmi les jeunes adultes qui n’ont pas d’enfants, 78 % espèrent en avoir. Le nombre idéal des bambins désirés oscille entre 2,3 à 2,4. Mais entre l’idéal et la réalité… On sait que le nombre moyen d’enfants qu’une femme a réellement se situe sous ce chiffre. Et plus on avance en » âge « , plus le choix se fixe sur un ou pas d’enfant du tout, alors que les plus jeunes parents semblent en plus grand appétit de bébés. Les sondés de cette catégorie des 18-36 ans désignent une période finalement assez restreinte û de 28 à 34 ans û pour concevoir et mettre au monde des enfants. Pour ceux qui s’y mettent plus tard, cela implique des naissances rapprochées. L’appartenance à une communauté religieuse augmente ce désir de famille nombreuse : les musulmans, qui représentent 31 % des sondés se décrivant comme » croyants « , souhaitent en moyenne 3,43 enfants et les catholiques 2,44 enfants. Les chiffres de l’enquête confirment la natalité plus élevée à Bruxelles, due sans doute en partie au 11, 5 % de l’échantillon se définissant comme musulmans.
Est-ce par un besoin profond de sécurité que les jeunes adultes plébiscitent à ce point la famille ? Ils se reconnaissent massivement dans la proposition suivante : » Ma famille est/sera pour moi la chose la plus importante dans ma vie » (85 %). Mais les jeunes Wallons sont encore plus orientés » famille » que leurs homologues du centre et du nord. Les jeunes adultes ont une conception assez traditionnelle û mais pas traditionaliste û de la famille. Ainsi, s’ils votent en faveur de la fidélité conjugale (95 %), l’adoption est entrée dans les m£urs (84 %) et ils ne hurlent pas quand on leur parle de mariage homosexuel (63,1 %). Leur position est plus mitigée par rapport à l’homoparentalité : 45,3 % seulement d’entre eux sont d’avis que deux hommes ou deux femmes peuvent élever des enfants aussi bien qu’une femme ou un homme seul. Il n’y a pas de différences Nord-Sud sur ce sujet, ce qui permet d’extrapoler au reste de la Belgique les résultats d’une enquête menée dans la Région flamande. Un tiers des Flamands y décrétaient que le mariage homo n’était pas une bonne chose, contre 13 % chez les 18-36 ans. Seuls 34 % des adultes plus âgés ont une perception positive de l’homoparentalité, contre 45 % de leurs cadets. » Avec le temps et au fil des générations, hasardent les sociologues, on assistera probablement à un accroissement de l’acceptation des parents homosexuels… »
Le dimanche désacralisé
De fait, les jeunes semblent n’accepter les traditions que dans la mesure où elles permettent de conserver et d’entretenir des relations humaines riches. Comme, par exemple, les fêtes de famille, les réunions après un enterrement, Noël, mais aussi, la prise de repas en famille, alors que certains prédisent le règne des repas déstructurés, où chacun mange à son heure. En revanche, d’autres rituels sont en perte de vitesse : l’échange de cadeaux (considérés comme utiles à une relation par 43 % des sondés), le repas du dimanche (47 %) ou le fait de passer ce jour en famille (28 %). Par rapport à une enquête menée en Flandre en 1988, qui donnait encore 61 % d’appui au dimanche comme jour de retrouvailles familiales, la chute de celui-ci est vertigineuse ! Mais entre ce qu’on dit et ce qu’on fait… Moins de 20 % des jeunes adultes considèrent le samedi comme » le » jour des courses alors que, d’après une autre enquête flamande, c’est l’activité à laquelle s’adonnent près de 40 % des Flamands de 18 à 36 ans. Le baptême est, à l’inverse, respecté alors qu’il n’est » pratiqué » que par 4 jeunes parents sur 10. Quand on les interroge sur le sens de cette fête, la moitié des catholiques, pratiquants ou non, y souscrivent, mais également un quart des libres-penseurs et des non-croyants, ainsi qu’un tiers des indifférents, qui jugent ce rite » pertinent « . D’une façon générale, la stabilité (ancrage géographique et professionnel, taille de la famille, stabilité conjugale) est fortement corrélée avec les valeurs religieuses, alors que les rites catholiques sont en perte de vitesse. L’explication ? » Il y a de moins en moins de jeunes qui se disent explicitement catholiques ou autres, mais qui vivent réellement leurs valeurs au quotidien par des engagements plus marqués « , avance Elchardus.
Rayon boulot, les jeunes n’ont pas à rougir de leurs efforts. Ils accordent, en général, une grande importance à leur vie professionnelle : 51,6 % cherchent un emploi offrant de multiples possibilités de promotion, 59,9 % se disent ambitieux, 66,9 % veulent » atteindre de nombreux objectifs « . Les carrières flexibles, marquées par un changement régulier d’employeur, merci bien ! Pas moins de 4 adultes sur 10 aspirent pouvoir dire un jour qu’ils ont passé au moins vingt ans chez le même employeur. Et pourquoi pas, toute leur carrière ? Sans y croire vraiment… D’après l’enquête, ce sont les Bruxellois et les Wallons qui se disent les plus concentrés sur leur carrière, les Flamands l’étant le moins. Les Bruxellois sont les plus acquis à l’idée de changer plusieurs fois d’emploi dans leur vie. » Ces constats vont à contre-courant des idées reçues, remarque Elchardus. Le jeune Wallon plus travailleur que le Flamand, mais également plus orienté vers des valeurs traditionnelles comme celles de la famille, voilà qui nous change des stéréotypes ! De nouveau, il n’y a pas d’explication univoque : soit les jeunes Wallons ont effectivement un sens élevé de la famille, soit l’environnement socio-économique dégradé fait de celle-ci une protection dont les jeunes Flamands ont moins besoin. »
Les loisirs sont, en effet, très révélateurs d’un système de valeurs ou de différences régionales importantes. Dis-moi ce que tu fais de ton temps libre, je te dirai qui tu es. Septante pour cent des sondés répondent qu’ils consacreraient » beaucoup, voire énormément » de temps à leurs enfants. Les amis arrivent en deuxième place (66 %), suivis par les voyages (63 %). Cinquante-trois pour cent pensent encore travailler pendant leur temps libre et 50 % pratiquer un sport. Ensuite viennent le ménage et la famille (41 à 44 %). Le cinéma, les activités culturelles, les formations complémentaires et les hobbys créatifs recueillent moins de suffrages (de 30 à 35 %). Le volontariat (13 %), les hobbys techniques (19 %) mais aussi les loisirs comme l’informatique ou l’Internet (20 %) encore moins. Avis aux responsables de l’audiovisuel : 36 % des jeunes Belges pensent qu’ils regarderont peu la télévision à l’avenir…
Wallons moins consuméristes
En résumé, les auteurs de l’étude ont défini quatre groupes d’activités : les » loisirs commerciaux et informels » (sorties, cinéma, amis, voyages, etc.), qui séduisent surtout les jeunes Flamands, la » culture, l’épanouissement personnel et la vie associative » (culture, volontariat, hobbys créatifs, etc.), auxquels se vouent volontiers les Bruxellois, » le temps passé en famille » (travaux ménagers, enfants, visite à des parents, etc.), chouchou des Wallons et, enfin, » la technique, les petites activités (bricolage, jardinage, etc.) et le travail « , moins marqués régionalement. La nature du réseau social de ces 18-36 ans est à l’image de ces tendances. Tous les jeunes Belges accordent un haut degré de priorité à la famille (plus de 90 %) et aux amis (84 %). Les condisciples et les collègues (50 %), les voisins et membres d’association (25 %) jouissant déjà moins, voire pas du tout, de leur faveur. Mais les Wallons se montrent encore plus » famille-famille » que les Flamands, qui développent davantage leur réseau social secondaire (les amis et connaissances), les Bruxellois occupant une position intermédiaire.
Lorsqu’on demande aux Belges de 18 à 36 ans quels buts ils ont déjà atteints et ce qu’ils se fixent comme objectifs pour les dix années à venir, on s’aperçoit qu’un bon nombre ont déjà engrangé pas mal de satisfactions : 31 % disent toucher le salaire qui leur permet de bien vivre, 39 % ont un logement bien à eux, 37 % peuvent partir en vacances deux fois par an et 39 % s’adonnent à leur hobby chaque semaine. La valeur dominante û l’utopie de cette génération ?û réside dans la conjugaison harmonieuse du travail, de la famille et de l’entretien de son corps. Quant à ceux û la moitié de l’échantillon û qui ont déjà des activités régulières entre amis et qui font la cuisine, leur v£u, pour un bon tiers d’entre eux, est de cuisiner encore plus. Enfin, lorsqu’on leur présente les images d’un certain bonheur (maison en pleine nature, cinéma à domicile, plus de temps libre, potager, proximité de son lieu de travail), de 50 à 60 % des jeunes Belges ne manifestent qu’un intérêt poli, surtout s’ils ont déjà pris des engagements familiaux et professionnels, l’attrait pour les biens matériels diminuant avec l’âge. Et de 60 à 80 % des sondés restent froids devant les images de félicité véhiculées par la publicité : grosse voiture, résidence secondaire dans un pays plus chaud, tour du monde d’au moins six semaines, appartement avec toit en terrasse, logement dans le centre d’une grande ville. La société de consommation aurait-elle du souci à se faire ? M.-C. R.
TOR ( Tempus omnia revelat – Le temps révèle tout) est un groupe de travail du Centre de sociologie de la VUB (Vrije Universiteit Brussel). A la demande du groupe d’assurances P&V, il travaille, depuis plusieurs années, à établir le portrait du cours de vie, des attentes et des valeurs des Belges. En 2001, il auscultait l’attitude des Flamands par rapport à la solidarité et au système de sécurité sociale. En 2002, la problématique des fins de carrière était soumise à un échantillon de plus de 5 400 personnes. En 2003, l’enquête du groupe TOR portait sur l’opinion des Belges à propos des applications de la génétique. En 2004, les sociologues de la VUB, Mark Elchardus et Wendy Smits, se sont penchés sur » l’âge du choix « , c’est-à-dire sur cette période cruciale, entre 18 et 36 ans, où les jeunes adultes acquièrent leur indépendance et commencent à assumer des responsabilités familiales et professionnelles. Sur les 10 000 personnes interrogées par courrier, 4 666 personnes ont répondu. Ce qui fait de cette enquête une véritable photographie de la génération considérée. Dans un second article, à paraître le 24 juin prochain, nous reviendrons sur le cours de vie des jeunes adultes, c’est-à-dire la succession des séquences qui préludent à leur accession à l’autonomie (fin des études, travail, partenaire, enfants, maison, etc.). M.-C.R.
Marie-Cécile Royen
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