Jacques Teller (ULiège): « L’enjeu du tram à Liège est aussi de requalifier l’espace public »
Les difficultés du chantier actuel laisseront des traces dans les esprits et pourraient peser sur les intentions de mener d’autres projets, estime Jacques Teller, professeur d’urbanisme à l’ULiège.
Les problèmes causés par le chantier du tram sur des quartiers entiers de la ville vous inquiètent-ils?
Les conséquences des retards du chantier sur la vie économique liégeoise m’inquiètent. Tout comme la sortie de la logique de phasage des travaux qui, selon moi, fait peser un risque accru sur la ville et ses commerces si d’aventure le chantier devait être interrompu durant un certain temps.
Toutes ces difficultés seront-elles des mauvais souvenirs lorsque le tram entrera en service ou des stigmates persisteront-ils?
Ces dernières années, plusieurs chantiers ont suscité des craintes liées à l’affaiblissement du commerce. Je pense, notamment, à celui du piétonnier bruxellois. On voit aujourd’hui que l’activité économique s’y redéveloppe. A Liège, le chantier de la place Saint-Lambert, qui s’est prolongé plusieurs décennies, a pu susciter le même type de craintes. Mais on a vu également un retour de l’activité économique après les travaux. En réalité, avec ce genre de chantiers, on observe souvent une dynamique de fermeture et de reconversion du commerce. Ce qui me préoccupe dans le cas du tram, c’est que, parmi les établissements qui sont en train de souffrir, beaucoup avaient fait des investissements, ces dernières années, pour répondre à de nouvelles demandes. Autrement dit, ce ne sont pas des commerces mal localisés, plutôt des enseignes qui ont été rendues inaccessibles à cause des travaux. C’est cela qui est très inquiétant.
On a parfois un peu de mal à savoir qui porte réellement ce projet.
Dans quelle mesure la ligne de tram sera-t-elle une plus-value pour la mobilité liégeoise?
Elle fluidifiera fortement le trafic, en particulier entre la place Saint-Lambert et Sclessin. Des axes structurants sont, par ailleurs, associés à cette ligne. Ils doivent rabattre les passagers des transports en commun sur la ligne de tram. Le tout dans une volonté de reconfiguration d’ensemble du réseau. Ce qui n’avait jamais été fait malgré l’évolution de l’agglomération et le redéploiement de l’activité économique à l’extérieur de l’axe de la Meuse. Au-delà, l’enjeu du tram est aussi de requalifier l’espace public de façade à façade. En Wallonie, au vu des défis, les moyens financiers pour cette requalification urbaine sont nettement insuffisants. Le chantier du tram offre un levier pour reconfigurer 50 hectares d’espace public au cœur de Liège et obtenir des bénéfices significatifs en matière de qualité de vie: réduction du bruit et de la pollution atmosphérique liés au trafic auto- mobile, requalification paysagère des berges de Meuse…
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Plusieurs acteurs liégeois demandent une deuxième ligne de tram, entre Ans et Chênée. Est-elle nécessaire? Et finançable?
Je ne poserais pas la question en ces termes. Je dirais plutôt que c’est la ligne qui présente la plus grande opportunité de requalification urbaine pour Liège. Parce que le long de cet axe orthogonal à la Meuse se trouvent un certain nombre de terrains sur lesquels il est possible de développer des projets structurants pour la ville alors que le premier axe – celui du tram qui sera mis en service – est déjà saturé. Cette deuxième ligne correspond aussi à un besoin en matière de déplacements. Les mobilités à Liège, aujourd’hui, sont de plus en plus nord-sud plutôt que le long de la Meuse, où se situe l’ancien axe industriel. Les pôles de développement, qui concentrent une part importante de l’activité économique, sont aujourd’hui autour de l’arc autoroutier nord, entre Bierset et les Hauts-Sarts. Dans le même temps, un fort développement résidentiel s’est manifesté au sud. Mais nord et sud sont très mal connectés par les transports en commun, que ce soit le bus ou le train. Cela induit de très fortes charges sur le réseau routier. Malheureusement, les décideurs politiques liégeois risquent à l’avenir d’être réticents à l’idée de s’engager vers une deuxième ligne après les difficultés rencontrées sur le chantier de la première. Il s’agit là d’un dégât collatéral non négligeable des délais observés sur le chantier actuel.
Les décideurs liégeois risquent d’être réticents à s’engager dans une deuxième ligne de tram.
Certains évoquent le bus à haut niveau de service (BHNS), qui fonctionnera notamment en lieu et place de cette deuxième ligne, comme une solution par défaut. C’est également votre avis?
Le BHNS est une solution très adaptée à certaines villes. Pour moi, ce n’est pas un «tram du pauvre». C’est un outil qui peut être extrêmement efficace et pertinent si on regarde le rapport coût-bénéfice. Cependant, il ne faut jamais perdre de vue que pour fonctionner correctement, un BHNS a besoin d’une quantité importante de sites propres. A Liège, on risque de ne pas en avoir assez. Ce qui signifie des retards possibles sur ces lignes en raison de la congestion automobile.
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En France, d’ambitieuses infrastructures de transports publics ont vu le jour dans de nombreuses villes. Pourquoi ces dossiers sont-ils plus simples à concrétiser là-bas qu’ici?
Le premier élément est ce qu’on appelle le «versement mobilité», à travers lequel les entreprises contribuent à hauteur de leur masse salariale au financement de la mobilité. Ce fonds est crucial lorsqu’il s’agit de financer de grands projets. Le deuxième élément relève de l’organisation de la mobilité. En France, elle a lieu au niveau des agglomérations et non de la Région comme chez nous. Ce qui donne une plus grande capacité de portage politique avec un président d’agglomération qui défendra systématiquement ces projets devant ses citoyens et les entreprises. Aujourd’hui, concernant le projet liégeois, on a parfois un peu de mal à savoir qui le porte. Notons tout de même que le contexte de départ est généralement très différent entre la France et la Wallonie. En France, le tram s’est développé à partir des années 1990 pour faire face à une baisse de la part modale des transports publics. A Liège, le problème de base était celui d’une saturation, en particulier le long du tracé Saint-Lambert Guillemins.
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