» L’écriture m’a sauvé de l’autodestruction «
Applaudi au cinéma et au théâtre, Charles Berling séduit désormais la chanson, muni d’un premier album au titre peu mensonger, Jeune chanteur. Bientôt à Bruxelles.
Les 30 novembre et 1er décembre au Théâtre 140, à Bruxelles, www.theatre140.be
Merci à la Cinematek et à ses archives.
Charles Berling parcourt les rayonnages en gamin avide : autour de lui, des milliers de bobines de films stockées sur des étagères sans fin. Les chefs-d’£uvre y voisinent les nanars; la RKO, les Charlots; les westerns, les auteurs français. On croise sans doute quelques longs-métrages où Charles apparaît, le Ridicule de Patrice Leconte, le Nettoyage à sec d’Anne Fontaine ou le tout aussi corrosif Cravate club de Frédéric Jardin . Dans une partie des monumentales archives de la Cinematek, en un coin discret d’Ixelles, l’acteur français retrouve des références, des odeurs, du cinéma. » Quand je suscite du désir chez les metteurs en scène, c’est malgré moi : je n’ai jamais été voir quelqu’un en lui demandant de m’engager [sourire]. Je n’ai jamais voulu devenir l’objet de l’autre. Je suis équilibré parce que j’ai toujours eu le théâtre où je joue et mets en scène : ne faire que du cinéma rend malade, c’est pour cela qu’il y a autant de névroses chez les acteurs ! » Enjambant les rues de Bruxelles qu’il connaît bien pour avoir étudié trois ans à l’Insas, le quinqua français (1958) évoque le récent tournage cataclysmique de Beyrouth Hotel. Il n’a pas de mots assez durs pour fustiger la tyrannie et l’indécision de la réalisatrice, Danielle Arbid. Parce qu’au final toute l’ambiguïté de son rôle – un avocat d’affaires soupçonné d’espionnage – s’essaime dans les raccourcis de scénario, y perdant sa substantielle dangerosité. Pas de langue de bois dans les régions Berling même si le film laisse quand même filtrer ce qui fait de Charles un intéressant sujet cinématographique : une façon de jouer entre deux eaux, dessinée par une forme de sympathie dangereuse. Un beau-fils idéal qui serait porteur d’un passé à remugles. Comme si, chez les Berling, le squelette dans le placard était une seconde nature annoncée. Justement.
Histoires de violence
Avant la parution du premier album – on y vient – il y eut le premier livre, Aujourd’hui, maman est morte, édité en 2011 . Charles y conte l’existence tumultueuse des Berling en Afrique du Nord, remontant l’itinéraire maternel, transgressif et douloureux : » La petite Française du Maroc souffre jusque dans sa chair. Cette enfant de Meknès, devenue une femme en morceaux . » Là aussi, la cavalcade s’écrit entre les lignes, débouchant sur un secret de famille qu’on ne révélera pas : les 180 pages méritent lecture. Le livre est à deux voix : Sophie Blandinières en a conçu le off, celui de la mère, en repartant du manuscrit de celle-ci, Négatif. Charles y raconte en in sa vision d’une famille étouffée par la violence : » Ma mère était une femme très violente, parce qu’elle en avait eu l’habitude avec ses parents. Mais là où elle n’était qu’impulsion, mon père nous battait dans un mode différent, par conviction religieuse, par dureté de la discipline catholique. » Charles, lui-même, transporte les tentacules de la vindicte dans son ADN. On le pressent dans un fugitif regard ou une demi-tension qui brouille un instant le Berling courtois et prolixe, loin des poses parisianistes. Pas le genre à déléguer l’attaché de presse pour transmettre ses caprices, le Charles, c’est du direct : » Je suis un violent qui se retient [sourire], je me suis très rarement battu parce que ma violence peut aller jusqu’à ma destruction. Je me souviens d’une bagarre où le type est parti parce que je l’invitais à m’achever sinon le petit rien qui resterait de moi reviendrait… Une rage hallucinante où on ne sent plus rien. » C’est dit sans esbroufe, plutôt avec le constat qu’on ne refond jamais intégralement sa nature. De sa jeunesse voyageuse en compagnie de cinq frères et s£urs – Paris, Brest, Toulon, Tahiti – Charles a retenu le bonheur d’une fratrie nombreuse et d’une individualité borderline : » J’aurais pu mal tourner, partir dans la drogue : l’écriture m’a sauvé de l’autodestruction. L’art dramatique cadre et l’art en général est pour moi l’endroit où on peut exprimer l’inimaginable en soi, ce qui n’est pas dicible. Le bien et le mal, je n’y crois pas une seconde : l’art permet d’exprimer cela ! »
Fraîcheur de débutant
Aujourd’hui, Berling s’attache largement à ses projets personnels. D’abord à la transposition au cinéma de son Aujourd’hui, maman est morte. » Je pense qu’il fallait attendre que mes parents ne soient plus là, même s’ils sont toujours extrêmement présents. Olivier Assayas [NDLR : avec lequel il a tourné trois films] m’a dit un jour que le cinéma était l’art de faire resurgir les fantômes. J’ai d’ailleurs commencé à filmer quand mon père est mort : mon film traite du rapport entre la réalité et la fiction, sans rien à voir avec le docu-fiction… » L’autre danseuse de Charles, c’est bien sûr la chanson, prétexte à notre rencontre fin octobre, un mois avant ses deux concerts au 140, théâtre assidûment fréquenté lorsqu’il fut étudiant bruxellois. » De 14 à 20 ans, je chantais des reprises de Dylan, Hugues Aufray ou Brassens. En 1998, au contact de Carla [NDLR : Bruni, sa compagne de l’époque], qui sortait du mannequinat, on s’est souvent demandé comment raconter une histoire en trois minutes. J’ai commencé à écrire sans forcément imaginer les musiques, parce qu’il y a un rythme propre aux phrases. J’avais pris des cours de chant à l’Insas et j’ai continué ensuite, histoire de conserver une musicalité dans la voix. » Sur l’album Jeune chanteur, paru en France en février 2012 et maigrement distribué en Belgique, on a la surprise d’entendre la ressemblance entre la voix Berling et celle de Julien Clerc. Gémellité d’autant plus curieuse que Charles partage aujourd’hui sa vie avec Virgine Couperie, ex-épouse du fameux chanteur, élevant aussi les deux enfants de l’ex-couple Clerc et son fils à lui… » La comparaison me flatte – Julien est également un grand mélodiste – mais j’ai réenregistré quelques prises parce que, sur certains titres, je trouvais la similitude vocale trop grande ! » Ce Jeune chanteur est le plus réussi quand Charles y trouve des formes à la fois charnelles et interrogatrices, à l’instar de ses meilleurs rôles d’acteur : Les mains, Je fume ou Ces enfants. D’ailleurs, le genre choisi – une chanson jazzy mâtinée de quelques lyrismes à la Ferré – appartient déjà à son passé stylistique : » Avec le recul, je trouve que le disque n’est pas assez moi. La scène est extrêmement importante parce qu’elle permet de raconter une histoire qui me ressemble : dans un premier temps, on joue à être chanteur, puis on le devient. Même si, pour l’instant, j’ai toujours la fraîcheur et la fragilité du débutant. Et puis, je suis comme saint Thomas, je ne comprends que ce que j’écoute, les bonnes idées, je m’en fous… » En plus de sa musique, Berling, sur la scène du 140, lira des textes de Louis-René des Forêts, William Cliff et Henri Michaux.
PHILIPPE CORNET
Charles transporte les tentacules de la vindicte dans son ADN. On le pressent dans une demi-tension qui brouille un instant le Berling courtois
» Je suis comme saint Thomas, je ne comprends que ce que j’écoute, les bonnes idées, je m’en fous… «
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