» L’école des nuls «
Les écoles en discrimination positive sont désertées par leurs enseignants. A Molenbeek, les Ursulines tirent la sonnette d’alarme
M’dame, X dit que votre pull est moche « , rapporte une adolescente. » Tu lui diras que ce ne sont pas ses affaires « , répond la professeur apostrophée, pas décontenancée pour un sou. La familiarité, c’est la routine dans cette » école de nuls « , comme l’appellent les jeunes. » 350 élèves dans un établissement conçu à l’origine pour 250 : c’est comme dans les prisons surpeuplées, cela crée des incivilités, de la violence, etc. « , analyse Miguel, un autre enseignant.
Situé au pied d’une allée de buildings, l’Institut secondaire des Ursulines, à Molenbeek (Bruxelles), une école ghetto accueillant presque exclusivement des adolescents d’origine maghrébine, possède des bâtiments relativement récents. Depuis le 1er juin, les professeurs y poursuivent toutefois des arrêts de travail quotidiens. En cause : un départ massif des membres du personnel (23 sur 54 depuis juin 2003) qui laisse présager le pire pour la rentrée prochaine. » Ici, on est tous atteints du syndrome de Jésus-Christ, même les collègues musulmans, explique, en riant, Anne, l’assistante sociale. Face à des jeunes qui cumulent les difficultés, on se dépense sans compter, on dit qu’on doit y arriver. Mais, cette fois, après dix ans d’ancienneté, je pars. Les écoles à discrimination positive (D+), comme la nôtre, donnent bonne conscience à tout un système qui fonctionne sur l’exclusion et sur la relégation. »
Anne ne veut plus le cautionner. » Comment se fait-il que les écoles chics ont leurs classes de 1re rénovée complètes trois ans à l’avance ? se demande-t-elle. Mohamed, qui habite dans le quartier, attend, lui, la fin de la 6e primaire pour savoir s’il obtiendra son CEB (certificat d’études de base). Quand il voudra s’inscrire dans le secondaire, il n’y aura plus que des écoles similaires à la nôtre pour l’accueillir. » L’injustice au quotidien.
Depuis deux ans, une nouvelle réglementation (l’article 18) permet à des professeurs nommés depuis dix ans dans une école D+ d’être prioritaires pour être affectés dans un autre type d’établissements. » Ils y sont généralement très bien accueillis : ils ont multiplié les formations pour parvenir à intéresser notre public difficile, poursuit Linda, professeur de mathématiques. Mais, nous, cette année, notre équipe d’enseignants n’a été au complet qu’une seule journée ! Des élèves sont renvoyés chez eux des jours entiers, faute de profs. »
Face à une telle pénurie, des débutants sont engagés sans titre requis. » C’est la première année que je donne cours, précise Mélanie. Je suis philosophe de formation. J’enseigne le néerlandais et l’anglais : j’ai fait mes primaires dans une école flamande et ces deux langues sont fort proches. » Mélanie ne cache pas ses problèmes de discipline. » Dans mes classes, c’est parfois l’effervescence. Je n’arrive pas à faire face à la multiplicité des demandes. L’un est perturbé parce qu’il vient de perdre son père. L’autre est largué depuis la 3e primaire et distrait ses camarades qui pourraient suivre… »
Dans le 1er cycle, l’Institut des Ursulines ne propose que des classes d’accueil, réservées aux enfants qui n’ont pas le CEB ou qui viennent de l’enseignement spécial. Dans les degrés supérieurs, il offre les formations » travaux de bureau « , » services sociaux » et » auxiliaires familiales et sanitaires « . Les moyens renforcés liés à la D+ ? » On devrait plutôt parler de discrimination négative : c’est du bricolage par rapport aux besoins, poursuit Aïcha. On a reçu un budget complémentaire pour des ordinateurs. Mais ils fonctionnent une fois sur deux, alors qu’on doit former des secrétaires. « Outre une quarantaine d’heures supplémentaires pour l’encadrement des élèves et la formation des enseignants, les Ursulines ont aussi droit à des jeunes engagés dans le cadre de programmes de résorption du chômage. » Mais sans qualification, ils sont consignés aux tâches ingrates de surveillance. »
Mélanie fustige les programmes des partis. » A la veille des élections, tous y vont de leurs suggestions pour davantage de sécurité. Mais tout le monde a l’air de trouver normal qu’il y ait des ôécoles poubelles » et qu’on y forme des jeunes sans avenir, conscients qu’ils iront, comme leurs prédécesseurs, gonfler les files du chômage. » Dans une lettre ouverte, les professeurs dénoncent : » Nous fabriquons des asociaux.. » Ou encore : » Certains élèves pourrissent sous nos yeux. » Qui entendra leur SOS ?
D.K.
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