Le vide et le plein
Le Coréen Kim Ki-duk signe avec Bin Jip un film poétique et intrigant, plein de charme et très beau comme l’était déjà Spring, Summer, Fall, Winter… and Spring
Le cinéma coréen n’en finit décidément plus de nous étonner, de nous enthousiasmer aussi. Et le prolifique Kim Ki-duk (onze films depuis 1996 !) est un de ses auteurs les plus fascinants. Un vaste public avait découvert et aimé l’an dernier Spring, Summer, Fall, Winter… and Spring, le conte à la fois sensuel et spirituel où il suivait, au fil des saisons, la vie dans un temple minuscule flottant sur un radeau au beau milieu d’un lac. Bin Jip, sa nouvelle réalisation, possède les mêmes qualités de style et son goût de mêler choses du corps et choses de l’esprit. Mais c’est dans un milieu urbain, on ne peut plus contemporain, qu’il promène cette fois sa caméra inspirée.
Le film a pour héros un jeune homme au comportement bizarre. Tae-suk sillonne à moto les rues d’une ville, et accroche aux poignées de porte des maisons des prospectus publicitaires. Revenant quelques jours plus tard, il peut savoir, à la vue des portes où les documents sont encore présents, que les habitants des demeures sont absents pour une certaine période. Tae-suk s’introduit alors dans une de ces maisons pour y manger, s’y laver, y passer la nuit, se photographier en souvenir… Il ne vole rien, et s’emploie même souvent à faire la lessive, à remettre de l’ordre, avant de s’éclipser !
C’est en enlevant lui-même un tract accroché à sa porte que Kim Ki-duk a pensé au sujet des maisons vides, et puis à l’idée d’un personnage qui viendrait, clandestinement, » non pas y enlever quoi que ce soit mais, au contraire, les remplir d’une vraie chaleur humaine… » Et d’imaginer le personnage central du film à venir, un Tae-suk qui, un jour, pénètre dans une maison qu’il croit abandonnée mais où se trouve une femme battue, laquelle s’attachera à lui et l’accompagnera bientôt dans ses étranges » visites « .
Au-delà d’une anecdote intrigante, présentée de façon fascinante, Bin Jip propose une réflexion poétique et humaine qui emmènera le spectateur vers une version particulière de la réalité. Sans dévoiler les surprenants secrets de la suite du récit, sachez que le charnel et l’imaginaire s’y épouseront de manière subtile. » Qui peut dire si le monde où nous vivons est réel ou s’il est un rêve ? » interroge le cinéaste coréen, qui poursuit : » Tous nos actes et nos pensées subissent, du fait du temps qui passe et du processus d’oubli, des déformations dans notre mémoire. Ils n’en représentent pas moins ce que nous sommes et avons vécu, le temps et l’oubli s’avérant simultanément une bénédiction et un malheur pour l’être humain… »
Kim Ki-duk a eu dans sa jeunesse l’envie de devenir prêtre et, sans que le film insiste le moins du monde sur quelque aspect religieux, Bin Jip explore de manière singulière les rapports entre le visible et l’invisible. » Je refuse de mettre sur deux plans différents ce qui relève de notre comportement physique et ce qui relève de notre pensée, commente-t-il. Car, à mes yeux, aucun des deux n’est plus réel ou moins réel que l’autre. » Peintre de formation, le réalisateur s’avoue très influencé par l’art pictural. » Un tableau n’est pas qu’un tableau, explique-t-il, on fait erreur en y voyant seulement un étalage visuel en deux dimensions ! Un tableau contient une philosophie. Dans un paysage de nature, tous les aspects de l’existence humaine peuvent être contenus. Pour moi, la peinture n’est pas le simple jeu de couleurs brossées sur une toile ou un papier, mais la coloration de toute une vie, une vie dont je souhaite, en filmant comme en peignant, imaginer tous les possibles. »
Louis Danvers
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