Le triomphe de la bad girl

Biberonnée à la téléréalité, l’égérie trash juste ce qu’il faut est la nouvelle star de ce  » shockvertising  » qui bouscule les codes trop sages des marques de luxe pour mieux faire parler d’elles. Avant tout sur les réseaux sociaux.

Faire disjoncter l’Internet. C’était ça le but premier. Un comble pour un magazine… imprimé. Pour la couverture de son numéro Winter, le plus  » arty  » de l’année, Paper s’est carrément offert les fesses – et pas que… – de Kim Kardashian, photographiées par Jean-Paul Goude, s’il vous plaît. Pas un simple plan de cul, donc, un truc hype. Le Web a résisté mais le buzz a pris partout, des blogs people faussement scandalisés à la presse de qualité, forcée de se fendre d’une analyse face à l’emballement planétaire. Même si elle assure avoir fait cela  » pour rien « , la femme de Kanye West a bel et bien raflé la mise en boostant sa notoriété.  » Si Kim Kardashian n’est encore égérie que d’elle-même, son côté trash assumé et sa capacité à entretenir son propre mythe influencent incontestablement la manière dont les marques choisissent actuellement de nouveaux visages, note Philippe Marion, professeur de communication publicitaire à l’UCL. Dans le milieu des médias, on aime les grands écarts, sources d’effets narratifs prometteurs : le blanc qui passe au noir, la beauté éthérée qui tout à coup montre ses tatouages et porte des bas troués ou à l’inverse la bad girl – façon Kardashian – sur le chemin de la rédemption.  » Les filles qui décrochent aujourd’hui les contrats les plus juteux sont celles qui se font remarquer.  » Avant, si vous étiez une star, on vous pardonnait de petits écarts, ajoute Philippe Marion. Désormais, avoir un côté trash est presque devenu une condition à la célébrité et plus une conséquence admise.  » Totalement libres et incontrôlables – du moins en apparence -, des tops comme Cara Delevingne ou Kendall Jenner, avec leurs millions de followers, servent de relais de communication aux maisons qui les emploient en postant  » spontanément  » des news ou même des pseudo-scoops sur les réseaux sociaux.  » L’annonceur passe presque au second plan, laissant son égérie parler à sa place, constate Philippe Marion. Une manière efficace de s’autocélébrer en toute discrétion. Si, en prime, il y a de possibles « dérapages » à la clé, la marque, de luxe surtout, donnera l’impression de se mettre en danger, d’oser prendre des risques, de transgresser ses propres codes.  » La recette éprouvée de Kate Moss, plus photographiée que jamais par les grands labels, après avoir été prise en flag le nez dans la coke, continue de faire école. Forte du succès des lignes de maquillage co-lancées avec la sulfureuse Rihanna – virée pourtant quelques années plus tôt par Nivea -, M.A.C poursuit ainsi résolument dans la voie du  » shockvertising  » en signant avec Miley Cyrus pour 2015. Chez Yves Saint Laurent, la top Edie Campbell, pourtant ultra  » clean  » – sur son compte Instagram, elle préfère poster des photos de ses chevaux que de ses nuits blanches -, est filmée en état de manque pour le nouveau Black Opium, dans la droite ligne des anciennes campagnes du parfumeur, souvent interdites pour leur esthétisation à outrance des effets de la prise de drogue.  » La transgression doit rester belle à regarder, pointe Philippe Marion. Les images sont toujours léchées, le trash lissé.  » La notion même de dépassement des bornes restant culturellement très subjective – même si dans la pub de luxe, la mort et la religion, au contraire de la drogue et du sexe, gardent leur statut de sujet complètement tabou -, ce qui choque les uns pourra s’avérer totalement normal, voire désirable pour les autres. On se souvient encore du tollé provoqué sur la Toile par la diffusion du rictus aussi permanent qu’inquiétant de cette jeune Coréenne dont le sourire littéralement taillé au bistouri rappelait celui du Joker mais aussi du smiley  » : 3 « . Aussi appelée  » bouche en 3 « , cette émoticône qui signifie  » mignon  » fait référence aux babines retroussées des LOL cats… Ces stars aux millions de likes sur Internet.

ISABELLE WILLOT

L’annonceur passe au second plan, laissant son égérie parler en son nom sur les réseaux sociaux

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire