Le tourbillon de la vie
Avec La Belle Epoque, son deuxième long métrage, Nicolas Bedos signe un marivaudage doux-amer qui remonte le temps pour mieux dire l’amour.
Chroniqueur radio ou télé, humoriste, dramaturge, scénariste… Personnalité médiatique au verbe cinglant, Nicolas Bedos a toujours multiplié les casquettes en homme du monde. Il y a deux ans, il les cumulait au sein d’un seul et même film, Monsieur & Madame Adelman, premier long métrage qu’il réalisait et dialoguait mais aussi coécrivait, cointerprétait et cocomposait, dans une exigence de bien faire et un besoin maladif de contrôler les choses qu’il confessait sans détour. Saga feuilletonnante retraçant l’odyssée d’un couple, ce coup d’essai parfois maladroit, mais lettré, drôle et fantasque, embrassait près d’un demi-siècle d’une histoire d’amour défiant les époques et les âges en hauts et bas fragiles.
Je crois beaucoup à la résurrection, professionnelle, humaine, amicale, sentimentale.
D’abord présentée hors compétition à Cannes en mai dernier, La Belle Epoque (lire la critique du film dans Focus Vif, page 37), sa deuxième oeuvre en tant que réalisateur, creuse, elle aussi, aujourd’hui le sillon d’une équipée intime à travers le temps. Sexagénaire désabusé et technophobe, Victor (Daniel Auteuil) y voit sa morne routine chamboulée le jour où Antoine (Guillaume Canet), entrepreneur à succès, lui propose une attraction d’un genre nouveau. Mêlant artifices théâtraux et reconstitution historique, elle offre à ses clients la possibilité de replonger dans l’époque de leur choix. Victor décide alors de revivre la semaine la plus marquante de son existence : celle où, quarante ans plus tôt, il rencontra le grand amour en la personne de Marianne (Fanny Ardant), incarnée, dans le présent, par Doria Tillier.
L’ancien et le nouveau
Auteur chez qui la frontière entre la vie et le cinéma a volontiers tendance à se flouter, Nicolas Bedos reconnaît qu’il y a beaucoup de sa propre ambivalence à l’égard du progrès dans ce protagoniste choisissant de fuir la modernité en s’immergeant dans son passé. Frais quadragénaire, il explique : » Je me sens vraiment à cheval entre les vieux et les jeunes, oui. C’est-à-dire que je viens de la génération de l’ancien monde, celui des livres, du manichéisme politique, des six chaînes de télévision où on regardait à peu près tous les mêmes programmes, où on avait les mêmes vedettes en commun. Et en même temps, je suis un accro et un grand utilisateur, opportuniste même, de la technologie, d’Instagram, des réseaux sociaux, qui m’ont été extrêmement favorables. Après tout, c’est grâce à YouTube que je me suis fait connaître en France. Donc, je ne crache pas non plus dans la soupe de mon temps. Au fond, mes plaisirs se confondent avec mes colères. Un peu comme si une profusion appelait son contraire. Parce que je reste furieux contre la disparition progressive de la presse papier, consterné de voir les kiosquiers s’envoler, inquiet de constater que la jeune génération bouffe des séries comme on mange des Smarties, en ne sachant plus du tout qui réalise et qui écrit… »
Marqué du sceau de cette peu soluble équivoque, le film, à sa suite, ne porte pas de jugement. » Disons qu’il y a chez Victor quelque chose de mon propre père, tellement effrayé par le changement technique qu’il a fini par décréter que ce monde n’était plus le sien. Et, en même temps, il y a de moi, parce qu’il subsiste un certain espoir (sourire). Ce n’est pas pour rien, je crois, que Victor replonge finalement dans son passé par le biais du théâtre. On est très loin de Black Mirror. J’aime l’idée que la solution à son désarroi ne soit pas une puce électronique ou un nouveau médicament miracle, mais simplement ce que je fais au quotidien quand je travaille, c’est-à-dire une équipe qui se creuse la tête pour trouver des choses qui font rêver avec peu d’éléments. Mis à part les oreillettes, cette attraction qui est au coeur du film aurait totalement pu être montée il y a cent cinquante ans, puisque ce sont juste des mots, de la documentation, des costumes et quelques feuilles de décor. »
Une pichenette, un baiser
Si l’on retrouve dans La Belle Epoque le goût de Bedos pour la formule qui fait mouche, le film traque également beaucoup le romanesque, grande affaire de cette fresque au souffle ambitieux emportant le spectateur dans un tourbillon d’énergie et de vie. Rythmée, très opératique, toujours en mouvement, sa mise en scène confine, jusque dans ses plus orgueilleuses bouffissures, souvent au vertige. » Je pense que les films ressemblent à ceux qui les font, concède le cinéaste. Chez moi, il y a une impatience un peu pathologique qui gouverne et impose son tempo. C’est sans doute ce qui explique que j’ai tendance à mettre en place des mouvements de caméra relativement dynamiques. Mais je veille toujours à ce que la mise en scène épouse au mieux le propos. Quand, au début du film, Victor se sent extrêmement anxieux, dépassé par l’époque, on est ainsi plutôt sur une caméra à l’épaule, pour traduire la fébrilité du personnage. Et lorsqu’il rentre dans un passé plus confortable, celui des années 1970, qui le rassure, qui lui rappelle des choses plus flatteuses, plus plaisantes, plus sentimentales, là j’ai pu déployer des mouvements d’appareil plus doux, plus amples. Formellement, rien n’est laissé au hasard. Néanmoins, j’essaie dans la mesure du possible que la mise en scène ne soit pas trop visible, qu’on l’oublie au profit de l’histoire. »
Ce tonus propre au film, Nicolas Bedos entend le rendre communicatif. Le réalisateur confesse ainsi volontiers chercher à insuffler l’excès qu’il porte en lui et à le partager avec d’autres afin de leur donner envie de vivre plus fort, de ressentir davantage la tristesse comme la joie, la folie comme la tendresse. » Le film possède, je crois, le ton des gens que j’aime, de ma famille, où on est à la fois extrêmement sarcastique et très sentimental, dans une espèce d’alternance permanente entre la petite pichenette et le baiser. J’ai été élevé dans un rapport assez pudique aux autres. La comédie, le cynisme parfois, c’est vraiment ce qui m’évite de tomber dans le travers du sentimentalisme et du mélodrame. C’est une manière aussi de dire au spectateur que je ne l’encourage pas de façon trop racoleuse à chialer. J’espère que le film porte en lui un certain réconfort. Ce n’est pas un hasard si je montre souvent des gens qui se réconcilient. Je crois beaucoup à la résurrection, professionnelle, humaine, amicale, sentimentale. On peut se balancer des horreurs et éclater de rire le lendemain. Mes films disent en gros : c’est important mais ce n’est pas grave. Et la vie est un jeu. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici