Le souffle de la forêt

Guy Gilsoul Journaliste

Des artistes contemporains ont rencontré les chamans de Watoriki, en Amazonie brésilienne. A voir, à la Fondation Cartier, à Paris

Paris, Fondation Cartier, 261, boulevard Raspail. Jusqu’au 12 octobre. Tous les jours, sauf le lundi, de 12 à 20 heures. Tél. : +33 1 42 18 56 50.

Oubliez l’Amazonie des plumes vertes et rouges. A la Fondation Cartier, à Paris, tout commence par du noir et blanc. Un visage d’abord, photographié par la Brésilienne Claudia Andujar voici près de trente ans, invite au silence. A ses côtés, un autre visage, de profil, puis un homme debout, une femme, un enfant, un vieillard. L’absence même de décor, le cadrage serré, la qualité des gris expriment sans discours une noblesse aux antipodes de l’exotisme. Puis, dans la fumée des hallucinogènes, la même photographe pose des scènes plus troublantes, nocturnes et mystérieuses, au dos desquelles, dans des couleurs de soufre, d’autres compositions montrent sans détour la maladie et la mort, importées par les chercheurs d’or et les évangélistes américains.

Mais, si le peuple de la forêt est bien entré en résistance, l’exposition, construite avec la complicité de Davi Kopenawa, le chaman du village de Watoriki, a pris le parti pris d’entraîner le visiteur au c£ur même d’une sagesse ancestrale. D’où ces vapeurs, ces images dédoublées, ces pénombres annoncées. Car ces visages au profil maya ne sont, en fait, que des ombres. Des  » images « , disent les chamans, parmi tant d’autres (les arbres, les animaux, les rivières…), des illusions en quelque sorte, des masques empruntés par les esprits des vivants et des morts. Certains de ceux-ci vivent dans le village û provisoire û taillé à la manière d’un £il cyclope au milieu de la nature sauvage. D’autres hantent la forêt, et les plus puissants ont depuis longtemps rejoint la haute montagne, dressée à la façon d’un avertissement. Parfois, à l’appel des chamans, ils descendent et, sur des miroirs, dansent pour les hommes afin que l’harmonie revienne dans la forêt.

Quand Wolfgang Staehle (né à Stuttgart en 1950) a découvert les Yanomami, c’est ce souffle de la seule forêt qu’il a voulu ensuite rendre présent à partir des techniques vidéo et photographiques les plus pointues. Ainsi, entouré par des images dont la réalité s’exacerbe au contact d’une étrange manipulation des temps d’enregistrement et des recompositions artificielles, le visiteur, maintenant, rejoint le vrai territoire de la culture amazonienne et un espace où, désormais dominé par la nature, il est prêt à écouter. Ce sera la troisième étape de cette exposition : dans une petite salle plongée dans le noir, Stephen Vitiello (New York, 1964) nous offre la symphonie de Watoriki : des bruissements de feuilles, des plaintes d’écorces, des murmures d’eau, des chants d’oiseau, des appels et des paroles qui, parfois, répondent à ceux lancés par un tapir, un merle cacao ou une abeille. Et, comme si ne rien y voir nous ouvrait les paupières, l’£uvre suivante, directement inspirée par les récits de Davi Koperawa et signée du Japonais Naoki Takizawa (Tokyo, 1960), nous fait traverser un univers de reflets et de projections où apparaissent, se distendent et disparaissent une suite de dessins indiens représentant les ancêtres animaux des origines. Un peu plus loin, une impressionnante installation de Tony Oursler (New York, 1957) û d’immenses yeux traversés par les esprits oiseaux, feuilles, serpents et poissons û renchérit sur cette manière d’approcher la réalité par l’irruption visionnaire. Car û et c’est bien un des buts de l’exposition û, aller à la rencontre des Yanomami, c’est reconnaître, dans leur conception du monde, leur cosmologie et leur pratique, les différences, mais aussi des modes de fonctionnement de l’esprit propres à bon nombre de créateurs. La question est, en tout cas, posée.

En sous-sol, le réel reprend le dessus. Pour donner d’abord la parole aux Indiens eux-mêmes, questionnés pendant cinq ans par Volkmar Ziegler (Berlin, 1944) au moment où l’armée brésilienne installe ses quartiers dans la zone Yanomami proche de la frontière avec le Venezuela, ou pour vivre en direct une séance chamanique et une chasse (un film de Raymond Depardon). Au-delà, on s’arrête devant le dialogue nocturne filmé à la caméra infrarouge (Rogerio Duarte do Pateo), on se révolte face à l’esclavagisme au quotidien (un reportage de Lothar Baumgarten), on reste intrigué par les propositions de l’artiste brésilienne Adriana Varejao, mais on se dit aussi que, décidément, il y a encore beaucoup de chemin à faire quand on voit les £uvres (navrantes) de Garry Hill et de Vincent Beaurin…

Guy Gilsoul

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