Le sémandick

Philippe Cornet Journaliste musique

Un livre reprenant les textes de ses chansons confirme l’incongruité brillante et ubuesque de Dick Annegarn, en concert au théâtre 140 où il joue les musiques rootsy de son dernier album…

Fin des années 1990, on accompagne Dick chez ses parents, dans un village quelconque de Flandre. Maman Annegarn, qui a préparé des quiches, ne connaît pas encore la chanson que son fils vient d’écrire pour elle, C’est dans les rêves à paraître sur Approche-toi. Le chanteur  » nolandais  » qui a grandi à Bruxelles pour cause de père fonctionnaire européen, sort d’un long semi-coma médiatique. Après le succès de Bruxelles (1974), il a fui les affres du succès et, dès 1978,  » lassé du business « , il multiplie les expériences à la marge de l’underground . Devant son pater – stupéfiant Dick de 70 ans – il explique comment ses parents ont dû lui prêter de l’argent pour enregistrer l’un ou l’autre album à compte d’auteur. Son père se tourne vers nous et rajoute simplement :  » Avec un petit intérêt. Nous sommes hollandais, n’est-ce pas.  »

Cet humour qui sous-tend les reflux de la vie, Dick en a fait des croche-pieds aux vers solitaires, une fine mathématique de la rime. L’allitération y dégraisse les émotions :  » Un dieu presque vieux/Une peau de pomme/Un mec presque sec/Un homme  » (Melchior). Paroles, bel ouvrage paru chez Le mot et le reste, offre une préface intelligente d’Olivier Bailly, avant de laisser la place à 171 textes du poédick. Privées de leur musique, les phrases préfèrent le parfum à l’emphase, creusant des galeries souterraines de portraits tactiles : dans l’histoire d’un poète assassiné ( Attila Josezf), d’une idiotie organisée ( Ubu) ou du frère d’un peintre maudit ( Théo), il rassemble, sans optimisme béat, une humanité vibrante. Annegarn observe puis invente des moments de solitude occupée :  » Sans domicile à Lille/La vie est bien trop chère/Il va, vit et veut voir tout ce qu’il peut/Se mouche dans les étoiles quand il pleut  » ( Lille).

Scansion batave saucée au Mississippi

La fraternité, la résistance, le rêve, la nature comme le béton, sont aspirés par une langue française sans frontières politiques ou sémantiques. Le livre rappelle également que le blues a toujours été la mamelle Annegarn, dans les titres ( Duduche blues, Le Blues de Londres, Tchernobyl Blues, Bluesabelle) comme dans les veines : ado, il découvre Dylan et Guthrie, et les centaines d’enregistrements réalisés par l’ethnomusicologue Alan Lomax. Les racines américaines deviennent siennes et, en Belgique, Dick débute en folk et blues, dans les clubs qui veulent bien de sa curieuse voix gondolante, scansion batave saucée au Mississippi plutôt qu’à la mer du Nord. Même si sa discographie est parcourue des influences rootsy d’outre-Atlantique, il faut attendre début 2011 pour qu’Annegarn officialise des fiançailles qui durent depuis plus de quarante ans. Sur Folk Talk, le vieux garçon, né en 1952, marie donc en public quatorze standards ou reprises du répertoire US, tels que Georgia on My Mind ou Saint-James Infirmary. Au 140, où il a enregistré un live ( 140 sorti en 1984), il retrouvera les vibrations d’une adolescence bruxelloise, quand il était Marmotte rouscailleuse chez Baden- Powell, autre genre de narrateur.

En concert le 1er octobre, au théâtre 140, à Bruxelles, www.theatre140.be, CD Folk Talk, chez Pias.

PHILIPPE CORNET

Son père rajoute :  » Avec un petit intérêt. Nous sommes hollandais, n’est-ce pas. « 

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