Le retour par la fenêtre
Avec Windows 8, son nouveau système d’exploitation sur tablette, PC et smartphone, le géant des logiciels espère enfin reconquérir le grand public. Derrière ce lancement à risque se joue aussi l’avenir de nombre d’industriels, de HP à Nokia.
L’aube de la renaissance. Certainement la pièce la plus importante de notre travail. » Steve Ballmer, PDG de Microsoft, ne manque pas d’emphase lorsqu’il évoque le dernier-né de la famille Windows. Il a des excuses. Le quinquagénaire, compagnon de route de Bill Gates, sait qu’il joue non seulement l’avenir du groupe mais sans doute aussi le sien avec le lancement, ces jours-ci, de Windows 8, l’ultime version de son système d’exploitation vedette. Cette fois, le mastodonte de 73 milliards de dollars (56 milliards d’euros), d’habitude si prompt à réagir, est pris de vitesse. Le c£ur de son activité, l’univers du PC, est chaque jour plus ringardisé par Apple et Google, avec leurs smartphones et leurs tablettes.
L’enjeu est donc crucial. Il faut changer de braquet pour rattraper le temps perdu et reprendre la main grâce à cette huitième mouture très novatrice. Fini, le fond d’écran épuré ne laissant apparaître qu’une barre de navigation avec le bouton » démarrer « . Cette présentation, inchangée depuis dix-sept ans, a fait long feu. Elle fait place désormais à des rectangles et des carrés de différentes couleurs – les applications – empilés les uns sur les autres, atteignables d’un seul clic grâce à la souris ou avec un doigt sur les écrans tactiles.
Innover sans trop déstabiliser ses utilisateurs
» Au départ, je pense que certaines personnes seront déboussolées.
Mais, avec le temps, elles apprendront à maîtriser l’outil. Le vrai défi sera de voir comment Microsoft et les vendeurs de PC communiqueront auprès du grand public « , explique Mikako Kitagawa, analyste chez Gartner.
Un exercice délicat. L’éditeur de logiciels doit innover pour séduire, sans trop déstabiliser ses habitués – 1,3 milliard de personnes ! Un coup de poker qui dépasse sa seule destinée. Certes, Windows ne représente plus qu’un quart de son chiffre d’affaires mais toujours près de la moitié de son bénéfice d’exploitation. Surtout, en équipant par défaut plus de 9 ordinateurs sur 10 dans le monde, il est devenu l’alpha et l’oméga des fabricants tels Lenovo, HP, ou encore Dell, tous en plein désarroi. Pour la première fois depuis une décennie, leurs ventes devraient reculer cette année. » Ce lancement est très important pour eux, car un même système d’exploitation va équiper leurs PC mais également leurs tablettes, un marché en forte croissance « , ajoute Mikako Kitagawa.
En dotant ces appareils des mêmes fonctions et d’une même interface, le groupe américain veut simplifier la vie des particuliers. Mais il espère aussi détenir un argument en or pour convaincre le marché des professionnels de s’équiper. » Aujourd’hui, les directions informatiques des entreprises ne maîtrisent rien. Leurs employés utilisent leurs propres iPhone et iPad au bureau et font encourir des risques de sécurité. C’est le bazar. Nous, nous allons leur proposer une solution unique et cohérente grâce à Windows 8, et les sociétés vont pouvoir reprendre le contrôle « , estime Alain Raison, directeur de la distribution de Lenovo France.
Sa tablette Surface fait peur à ses partenaires
Tant de bonnes nouvelles feraient presque oublier le coup de Trafalgar de Steve Ballmer. Le dirigeant américain a un peu gâché la fête en annonçant l’arrivée de sa propre tablette, baptisée Surface. Cette ardoise tactile, équipée d’un clavier, est lancée le 26 octobre, quelques jours après l’annonce de l’iPad mini d’Apple. Devant cette petite trahison, le président d’Acer, quatrième constructeur informatique mondial, s’est fendu d’un avertissement. Il indiquait en substance que Microsoft devrait y réfléchir à deux fois avant de concurrencer ses propres partenaires. En vain. Plus de 3 millions de Surface auraient déjà été produites pour les fêtes de fin d’année et une grande campagne marketing a débuté dans le monde entier. Rien qu’à Paris, des dessins à la craie du nouveau gadget décorent les pavés de la capitale depuis quinze jours. » Bien sûr, cela ne nous plaît pas, leur stratégie est incompréhensible. Mais ils nous ont assurés de leur soutien et, pour tout dire, ils ne vendent leur produit que sur Internet « , veut se rassurer Sabine Turkieltaub, directrice marketing de HP France.
Dans une lettre adressée aux actionnaires au début du mois, Ballmer a enfoncé le clou. Cet essai ne serait qu’une première étape. D’autres projets sont manifestement dans les cartons. Jusqu’à présent, le bouillonnant PDG ne s’était jamais risqué à irriter les géants de l’informatique. Il y avait bien eu quelques exceptions, mais uniquement sur des machines périphériques à son c£ur d’activité. Ce fut le cas avec la console de jeux Xbox ou le smartphone Kin. Mais ce dernier avait été rapidement abandonné, après que le groupe se fut allié à l’européen Nokia, en grande difficulté.
Aujourd’hui, devenu la bouée de sauvetage du finlandais, Windows 8 doit équiper deux modèles Lumia dès le mois de novembre. Stephen Elop, PDG du groupe d’Espoo, en attend beaucoup. Non seulement Nokia a perdu sa place de n° 1 mondial, ravie par Samsung, mais il vient d’afficher une perte de près de 1 milliard d’euros au troisième trimestre. » Nous avons commencé à enregistrer de beaux progrès grâce à cette alliance. Pour se différencier de la concurrence, Microsoft va permettre aux utilisateurs de retrouver sur tous les écrans la même expérience et les mêmes contenus. Ce sera un avantage de taille pour nous « , veut croire Thierry Amarger, directeur général de Nokia France.
Les opérateurs mobiles, eux aussi, attendent ce moment avec impatience. Pris en tenaille entre la puissance d’Apple, qui dicte sa loi avec son iPhone 5, et celle de Google, fort de son système Android équipant les téléphones Samsung, ils cherchent à ouvrir une troisième voie. Ainsi, en France, les futurs mobiles Lumia seront distribués dans plus de 1 000 points de vente accompagnés d’un effort marketing qualifié d' » important « .
Des contenus accessibles quel que soit l’appareil
Pour autant, avoir le soutien des industriels ne sert à rien si les consommateurs n’achètent pas les produits. Pour les séduire, Microsoft mise aussi sur les contenus. Demain, vidéos, jeux, applications diverses et musique pourront être accessibles quel que soit l’appareil utilisé, pour peu qu’il fonctionne avec Windows. Comme à son habitude, l’éditeur de logiciels en profitera pour y loger de nouveaux services, tel Xbox Music. L’application permettra le téléchargement de titres à l’acte ou l’écoute illimitée sous la forme d’un abonnement, vendu 10 euros par mois. Une offre très en vogue en Europe avec Spotify ou Deezer. » Windows 8 va permettre aux utilisateurs d’accéder à 30 millions de chansons et de retrouver leur bibliothèque musicale que ce soit sur mobile, tablette, PC, ou leur téléviseur de salon relié à leur console de jeux « , souligne David Dufour, directeur marketing pour Xbox France. Histoire de forcer un peu la main aux clients, seuls les possesseurs de la huitième version pourront en bénéficier.
Avec 1 milliard de dépenses de publicité prévues ces prochains mois, Microsoft entend rapidement regagner le c£ur du grand public. La partie n’est pas gagnée. Apple et Google comptent bien jouer les trouble-fête et prévoient aussi de faire des annonces. Le moteur de recherche vient ainsi d’envoyer une invitation pour le 29 octobre. Son titre : » L’aire de jeu est ouverte. » Pas certain que Steve Ballmer ait, lui, envie de s’amuser.
EMMANUEL PAQUETTE
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