Le problème Cécilia

Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

L’épouse du président français n’est plus un personnage privé. Notre enquête sur son rôle dans la libération des infirmières bulgares en Libye montre l’implication de la première dame de France. Désormais, l’influence qu’elle exerce sur Nicolas Sarkozy et son refus de rendre des comptes soulèvent des questions politiques.

Elle grandit dans un milieu où la dignité brille plus que le patrimoine. Elle épouse un artiste et amuseur public, avant de conquérir l’homme le plus puissant de France. Ce dernier, flamboyant, n’est dépendant de personne, sauf d’elle, dont la présence et les avis lui sont indispensables. Sans jamais se mêler publiquement des affaires du pays, elle pèse avec force sur les orientations de l’Etat. Elle s’appelleà Mme de Maintenon.

Cécilia Sarkozy est plus qu’une lointaine héritière de Françoise d’Aubigné. L’épouse du président de la République est, d’abord, une femme politique. Elle a l’intelligence des situations, une capacité aiguë au rapport de force, une certaine idée des Français et une idée certaine de la communication. Cécilia Sarkozy est, ensuite, une véritable actrice de la scène publique. Des réunions de préfets tenues au ministère français de l’Intérieur en 2002 à l’équipée libyenne de juillet dernier, elle s’est épanouie dans l’action plus que dans la représentation. Enfin, la  » première dame de France  » est une femme de son temps. Comme le gouvernement Sarkozy a vu les portefeuilles les plus importants confiés à des mains féminines (Economie, Intérieur, Justice), la place de Cécilia a gagné en importance. Plus encore que par son engagement politique, c’est par sa vie privée que Cécilia signe sa modernité.  » Elle est fondamentalement libre, explique un ministre français. Libre de nature, et même libertaire, et, surtout, libre par rapport à son mari.  »

Cet instinct farouche d’indépendance, sympathique de prime abord, est le premier  » problème Cécilia « . Si elle est libre par rapport à son mari, lui ne l’est pas par rapport à elle.  » C’est une addiction « , affirme même un ancien ministre proche du chef de l’Etat. Quand elle vécut son escapade amoureuse avec Richard Attias, Nicolas Sarkozy n’était plus le même, et la reconquête de Cécilia perturba la conquête de l’Elysée.  » J’aime pas dépendre et j’aime pas qu’on dépende de moi « , confia le candidat à Yasmina Reza. Mais tout indique une dépendance à l’égard de son épouse. De sa présence dépend la météo psychologique du président et, si le chef de l’Etat attrape un rhume de c£ur, le pays éternue ; de ses affinités dépendent des faveurs et des disgrâces ; de ses humeurs dépend la bonne marche du protocole – elle quitte le G 8,  » sèche  » la visite chez les Bush, etc.

Le deuxième  » problème Cécilia  » réside dans cette nouvelle fonction, qu’elle invente au jour le jour. Collaboratrice du président autant que son épouse : l’affaire des infirmières bulgares a montré qu’aucun dossier n’était trop délicat pour elle.  » Au début du mois d’août, la rumeur annonçait l’arrivée imminente de la femme du président pour négocier la libération d’Ingrid Betancourt « , glisse un membre de l’ambassade de France au Venezuela. Le  » diplomatico-humanitaire  » sera-t-il son domaine réservé ?

Farouche et imprévisible, Cécilia Sarkozy entend que les institutions s’adaptent à elle, et non l’inverse. La définition d’un statut pour la première dame de France est aux oubliettes et elle refuse, malgré l’évidence de la loi imposée à tout citoyen hors son mari, de témoigner devant la commission d’enquête parlementaire sur la libération des infirmières. Mais le PS ne la lâchera pas. C’est un socialiste qui devrait occuper la présidence de la commission.

La proie de la presse people

Or c’est le président qui choisit les témoins convoquésà Si Cécilia Sarkozy refuse de s’exprimer, le président saisit la justice, qui peut contraindre Cécilia à témoigner, ou lui infliger une amende tout en acceptant son absence.  » Si la justice l’oblige à déposer, s’amuse un socialiste, Rachida Dati demandera-t-elle à Michèle Alliot- Marie d’envoyer les gendarmes à l’Elysée ? A moins qu’en accord avec la présidence la commission ne se contente d’un témoignage écrità  »

Le dernier  » problème Cécilia  » est d’abord un souci pour elle : le couple Sarkozy est la proie de la presse people. Après avoir affiché avec ostentation son bonheur fusionnel et conquérant, il s’est retrouvé en pâture médiatique au temps de la séparation, quand la fugue de Cécilia fut le  » premier drame de France « . La vie en rose des Sarkozy fut exposée, leur vie en noir fut exhibée : aujourd’hui, leur vie en flou est scrutée, qui passionne les foules et bouscule la déontologie de la presse. Comment se taire quand tout événement intime peut avoir des répercussions politiques ? La curiosité démocratique peut-elle s’arrêter à la porte de la chambre à coucher si la vie publique s’y joue en partie ? Le  » problème Cécilia « , ici, ressemble à une équation insoluble dont les x, pour demeurer inconnus, sont de moins en moins tabous. l

Christophe Barbier

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