Le port de l’angoisse
De retour chez lui, en Cornouailles, un ex-détenu subit l’opprobre de sa ville. Climat lourd, décor brumeux : tout le talent de Philippe Besson.
Un instant d’abandon, par Philippe Besson. Julliard, 214 p.
D’emblée, l’angoisse surgit, le lieu oppresse. Pourtant, c’est d’un ton neutre que l’homme raconte Falmouth, modeste port de pêche des Cornouailles. Navires échoués, bâtiments brisés, trottoirs glissants, clocher de l’église menaçant, faces austèresà Thomas Sheppard, de retour après une longue absence, semble ne pas s’émouvoir de la vacuité de sa ville. Comme si plus rien ne lui importait.
Voilà tout le talent de Philippe Besson. Tel un peintre, il plante, en quelques touches, son décor, brumeux et mystérieux à souhait. Puis, il l’enrichit, l’anime, trait après trait. Et le tableau prend toute son ampleur, le récit sa force. Ici, celui d’un ancien enfant du pays transformé en paria. Après cinq ans passés derrière les barreaux d’une prison, le voici confiné dans sa propre maison, victime de l’opprobre général. » A Falmouth, la liberté, ça n’existe pas « , écrit, laconique, le narrateur.
Quel drame s’est déroulé il y a cinq ans ? Pourquoi fouler de nouveau cette terre hostile ? C’est à deux autres exclus de la société britannique – un épicier pakistanais, une jeune fille-mère – que Thomas décidera de confier les bribes de sa triste existence : la claudication survenue à 9 ans, symbole de son aptitude à la marginalité, le mariage sans passion avec Marianne, l’enfant qui apparaît, puis, très vite, l’ennui dans le couple, l’aigreur et les disputesà De l’affreusement banal jusqu’à la mort – désirée ? accidentelle ? – du fils, à 8 ans, disparu en mer un soir de tempête, suivie par une condamnation pour » négligences graves « , qui sonnera, finalement, comme une délivrance.
Seule lumière dans la vie glauque de Thomas, un certain Luke, son compagnon de cellule. » L’homme aux grains de beauté sur les épaules » l’a écouté, l’a protégé. En lui, il a puisé l’énergie pour se détourner de la meute, pour se défaire de ses oripeaux et tracer sa nouvelle route, insensible aux petitesses des bien-pensants. Tous les romans de Besson (En absence des hommes, Son frère, L’Arrière-Saisonà) sont en cours d’adaptation pour le cinéma, nous signale son éditeur. C’est tout le mal que l’on souhaite à l’auteur.
Marianne Payot
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