Le pape du climat

A 58 ans, le  » Monsieur climat  » belge se voit bien devenir, début octobre, le nouveau président du Giec. Un poste exposé pour ce scientifique et négociateur tenace, honni par les climato-sceptiques.

A quelques jours du scrutin qui fera peut-être de lui le  » numéro 1  » d’un organisme onusien très médiatisé, Jean-Pascal van Ypersele a l’air aussi serein qu’un moine dans sa thébaïde.  » Je suis optimiste, l’élection se présente bien « , glisse le climatologue, sourire en coin. Il a passé la nuit à collaborer au montage de sa vidéo de candidat à la présidence du Giec, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, mais rien sur son visage ou dans son attitude ne révèle qu’il n’a presque pas dormi depuis la veille.  » Je bois du thé, parfois une boisson énergisante, et, surtout, un peu de sommeil me suffit pour récupérer. J’ai dû hériter d’excellents gènes : mon oncle, Jacques van Ypersele de Strihou, chef de cabinet des rois Baudouin et Albert II, a, lui aussi, une énorme capacité de travail.  »

Pour glaner un maximum de voix,  » van Yp « , comme on l’appelle dans la communauté scientifique – surnom donné aussi à son oncle -, s’est rendu, en dix-huit mois, dans plus de 60 pays. Soit des centaines d’heures de vol et des décalages horaires à répétition. Mais ce marathon planétaire n’a pas été pour lui une épreuve, confie-t-il.  » C’était passionnant, et je ne ressens pas trop le jet lag.  » Sa campagne électorale, qui se poursuit ces jours-ci au Brésil, au Nicaragua, en Equateur, puis à New York et à Zagreb, ne l’a pas empêché de mener à bien plusieurs projets personnels : fin juin, il s’est remarié ( » Martine, ma nouvelle épouse, est mon plus fervent supporter ! « ) ; il vient d’obtenir un permis de bâtir pour des travaux de rénovation énergétique à sa maison de Vieux-Sart, en Brabant wallon ; et dans quelques jours, il sort, chez De Boeck, un ouvrage consacré à son parcours et au rôle du Giec.  » Perfectionniste, j’ai relu plus de cinquante fois chaque page, dans les avions ou ailleurs. Du coup, le livre, Une vie au coeur des turbulences climatiques, sort avec six mois de retard, à mon grand regret.  » Un répit tout de même dans cet emploi du temps surchargé de voyages, de conférences, de négociations : cet été, il a passé quelques jours à Chamonix.  » J’aime marcher en montagne. Nous avons été voir où en était la fonte des glaciers de la région.  »

Explorateur ou Premier ministre

Né à Bruxelles en 1957, le Pr van Ypersele se passionne pour le climat depuis trente-six ans. Issu d’un milieu aisé – une famille de la noblesse catholique -, le petit Jean-Pascal rêve d’abord de devenir explorateur, ingénieur ou même… Premier ministre ! Il a de qui tenir : son arrière-grand-père, Henry Carton de Wiart, a été chef du gouvernement belge en 1920-1921, plusieurs fois ministre entre 1911 et 1950 et un champion de la cause royale après la guerre.  » J’aurais beaucoup aimé le connaître, avoue le professeur de l’UCL. Père de la loi de 1912 sur la protection de l’enfance, il a aussi été l’avocat de l’abbé Daens, ardent défenseur de la classe ouvrière à la fin du XIXe siècle. Il est aussi l’auteur, en 1905, d’un roman de chevalerie, La Cité ardente, qui a donné à la ville de Liège un nouveau surnom.  » Jean-Pascal van Ypersele ne cache pas tout ce qu’il doit aux siens :  » J’ai baigné dans un climat familial riche de contacts avec le service public. Cela vous donne une haute idée de ce que la politique peut représenter en tant qu’art de gouverner la cité pour le bien commun.  »

L’accession du scientifique belge à la fonction de vice-président du Giec, en 2008, n’a donc pas surpris son entourage. Les responsabilités politiques, les van Ypersele connaissent. Les engagements sociaux aussi. A l’époque où il était jeune universitaire, l’étudiant s’est efforcé de concilier son intérêt pour la science avec des activités militantes. Il a été bénévole dans des associations pour la paix, le développement et les droits humains et s’est imprégné des revendications environnementalistes au contact d’autres activistes. C’est alors qu’il s’oriente vers une voie peu conventionnelle : la climatologie. Il avait pourtant longtemps songé à des études d’astrophysique. Depuis l’enfance, les astres et les étoiles le fascinent. Il a construit lui-même ses premiers télescopes et ses copains d’école l’ont surnommé  » Nostradamus  » ! Adolescent, il se voit cosmonaute. Invité au palais royal, il a le privilège de rencontrer les équipages d’Apollo 8 et d’Apollo 11, venus raconter aux souverains leurs aventures.

Des étoiles au climat

Une douzaine d’années plus tard, la conquête spatiale n’électrise plus autant les foules. En revanche, les scientifiques, notamment à l’UCL, commencent à s’intéresser de près à l’influence des concentrations de gaz à effet de serre sur l’évolution du climat. En Europe et ailleurs tombent les premiers résultats des recherches relatives à l’impact climatique des activités humaines. Jean-Pascal van Ypersele consacre son mémoire de fin d’études à l’effet du CO2 sur le climat. Jeune doctorant dans un centre de recherche du Colorado, il étudie le comportement de la glace de mer de l’Antarctique pendant deux ans. Docteur en sciences physiques de l’UCL en 1986, il y enseigne, depuis lors, la climatologie et les sciences de l’environnement.  » J’ai pris une année sabbatique pour pouvoir me consacrer à ma campagne électorale, précise-t-il. Je me suis engagé, si je suis élu à la tête du Giec, à être un président à temps plein. Je souhaite néanmoins conserver un cours sur le changement climatique. Le contact avec les étudiants permet de garder les pieds sur terre ! En outre, la fonction de président du Giec n’est pas rémunérée. Mon salaire viendra donc toujours de l’université.  »

L’élection à la présidence du Giec aura lieu à Dubrovnik, en Croatie, lors de la 42e session plénière de l’organisation onusienne.  » Mon épouse sera là, se réjouit van Ypersele. Elle m’accompagne, quand elle le peut, lors de mes déplacements à l’étranger.  » Le couple s’est rencontré lors d’une formation à la communication non-violente (CNV), que le vice-président du Giec a suivie afin d’améliorer ses capacités de négociateur. Un atout pour ce dirigeant que l’on dit tenace, voire obstiné. Il saura s’il accède à la fonction suprême de l’institution le soir du 6 octobre prochain, ou le 7 au matin. Si c’est le cas, il succèdera au président intérimaire Ismail El Gizouli, nommé après la démission, en février 2014, de Rajendra Kumar Pachauri, poursuivi pour harcèlement sexuel en Inde. La Belgique était, au départ, le seul pays à présenter un candidat. Par la suite, quatre challengers sont entrés en lice : un Suisse, un Américain, un Autrichien et un Sud-Coréen. Mais le professeur de l’UCL a été le premier candidat à diffuser un programme, où figurent ses idées pour améliorer le fonctionnement du Giec.  » D’autres candidats ont suivi, parfois en copiant un peu mon texte.  »

Un vaste réseau de soutien

Confiant, van Ypersele fait ses comptes :  » Entre 120 et 130 des 195 pays membres du Giec auront un représentant à Dubrovnik, et il faut la majorité pour gagner. Donc, si 75 d’entre eux votent pour moi, je suis élu.  » Ses atouts ?  » Comme physicien, j’ai abordé la question des changements climatiques dans toutes les dimensions, répond le professeur de l’UCL. Impliqué dans les travaux du Giec depuis 1995, je connais sur le bout des doigts tout ce qui touche à l’impact du réchauffement, aux adaptations, aux solutions. Comme président, depuis dix-sept ans, du groupe de travail « Energie et climat » du Conseil fédéral du développement durable, j’ai appris à forger des consensus entre des personnes en désaccord sur à peu près tout. En outre, je suis le seul des cinq candidats à avoir participé, depuis vingt ans, à presque toutes les « COP », les sommets de l’ONU sur les changements climatiques.  »

Le climatologue dispose d’un vaste réseau.  » J’ai une petite équipe à l’UCL, mais aussi le soutien de personnes de toutes disciplines dans le monde entier.  » En Belgique, van Ypersele peut compter sur l’appui du gouvernement. Celui d’Elio Di Rupo a décidé, en février 2014, de proposer la candidature du climatologue. Celui de Charles Michel a poursuivi le lobbying diplomatique en sa faveur. En août dernier, dans une réponse à une question parlementaire écrite d’Elio Di Rupo (PS), son successeur MR au 16, rue de la Loi indique que  » le professeur van Ypersele dispose indéniablement des atouts requis pour exercer la présidence du Giec « . Le Premier ministre constate que l’élection sera compétitive, d’où la décision belge de  » mener une campagne diplomatique très active « . Il précise que Didier Reynders (Affaires étrangères), Marie-Christine Marghem (Environnement), Elke Sleurs (Politique scientifique) et lui-même abordent régulièrement la question avec leurs homologues lors de rencontres bilatérales ou internationales.

Le Palais et l’Eglise

 » Le soutien à ma candidature dépasse les frontières politiques « , jubile van Ypersele, qui tient à rappeler qu’il n’a jamais eu de carte de parti. Pour autant, le  » Monsieur climat  » belge est perçu, depuis des lustres, comme une personnalité influente du milieu catholique francophone et ses prises de position ont plus d’une fois été applaudies dans les rangs d’Ecolo et des lobbies environnementaux.  » On ne m’étiquette plus trop, estime toutefois le professeur de l’UCL, même si certains ont toujours des préjugés à mon égard.  » N’est-il pas réputé proche du Palais – une tradition familiale : sa mère était responsable des collections d’art royales -, lui qui, en 2004, a été fait Grand officier de l’Ordre de la Couronne ? Et n’a-t-il pas des relations étroites avec l’Eglise de Belgique, lui qui, aux côtés de deux évêques, a présenté officiellement, le 18 juin dernier, l’encyclique Laudato si du pape François, appel à une  » conversion écologique  » pour lutter contre la dégradation de la biosphère ?  » Je ne peux que me réjouir de la publication d’un texte que j’avais appelé de mes voeux avant de devenir vice-président du Giec, répond-il. L’encyclique aura un impact au-delà des milieux catholiques.  »

L’enthousiasme du professeur retombe quand on lui parle de ses relations houleuses avec les milieux climato-sceptiques. Ces derniers mois, se sont multipliées, sur le Net, les attaques virulentes contre le vice-président du Giec. Les uns stigmatisent ses annonces climatiques qualifiées de  » catastrophistes « . D’autres, ses collaborations passées avec des lobbies environnementalistes. Il refuserait de dialoguer avec les scientifiques belges et étrangers qui critiquent les méthodes et conclusions du Giec et s’efforcerait même de discréditer ses contradicteurs.  » Dans le passé, j’ai plus d’une fois accepté le débat, en radio ou ailleurs, avec des climatosceptiques, réplique van Ypersele. Mais l’exercice ne fait qu’accroître leur audience et renforcer leurs efforts destinés à semer le doute dans le public.  » Certaines voix appellent au démantèlement du Giec, accusé d’être le vecteur de la deep ecology, idéologie prônant la décroissance dans les pays développés. Le candidat van Ypersele, lui, parle de poursuivre la réforme de l’institution : améliorer la communication, la transparence et encourager la participation des scientifiques issus des pays du Sud. Sa devise ?  » Restons zen.  »

Par Olivier Rogeau

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