Le nom du père
Hantée par le fantôme de Roger Nimier, sa fille, Marie, a voulu sortir de son amnésie volontaire. Un fascinant travail de mémoire
La Reine du silence, par Marie Nimier. Gallimard, 171 p.
Marie aura attendu une moitié de vie avant d’affronter Roger, son père û ce fantôme qui hante son imaginaire depuis ce jour de 1962 où il trouva la mort, à 36 ans, au volant de son Aston Martin. Marie avait alors 5 ans, une mère merveilleuse et deux frères aînés. Roger Nimier, l’auteur du Hussard bleu, admiré de tous, s’inscrivait définitivement dans la légende, ne léguant à Marie qu’un » visage marqué par les mots des autres « .
Longtemps, elle s’en est contentée, bercée par les récits maternels d’un couple idyllique. Adolescente gauchisante, elle affirme bientôt sa révolte : » Un père royaliste, ça la fichait mal. » Puis la voici écrivain à son tour, signant son premier roman (Sirène) à l’âge même où Roger publiait le sien. Troublante coïncidence, interrogation sans fin : comment oser s’exprimer lorsqu’on a pour parent » l’un des écrivains les plus doués de sa génération » ? En guise de réponse, l’auteur d’Anatomie d’un ch£ur choisit l’amnésie filiale. Une posture intenable, une fois entrée dans la quarantaine et fermement installée dans la république des lettres.
Alors, à 47 ans, » la Reine du silence » û ainsi l’avait surnommée Roger û décide de lever le voile. Elle tâtonne, enquête, s’autoanalyse, puise dans sa mémoire recomposée. » Difficile de trouver le ton, la juste distance « , s’inquiète-t-elle, au détour d’une page. Qu’elle se rassure ! Le résultat est impressionnant. De vérité, de sincérité, de sensibilité. Marie Nimier ne joue pas à la fille de Roger Nimier. Elle n’est pas dans un cocktail ; elle est face à sa feuille blanche, à son destin d’orpheline, à la nouvelle image d’un homme, désinvolte, coureur, peu séduit par la vie familiale.
» Au fait, Nadine a eu une fille hier. J’ai été immédiatement la noyer dans la Seine pour ne plus en entendre parler « , notait-il dans une lettre dénichée, il y a peu, par Marie. Une découverte rédhibitoire ? Non, comme toutes les petites filles du monde, Marie pardonne, justifie les errements du père. Fascinant tableau d’une réconciliation posthume. » J’ai envie de raconter des petites choses « , écrit-elle. C’est tout le sel du livre. Des petites choses… universelles.
Marianne Payot
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