«Le macronisme est un progressisme libéral»
La doctrine du président réélu a pour idée forte de transformer la société pour mieux l’intégrer dans la mondialisation avec une ambition européenne qui est centrale, décrypte le politologue Luc Rouban.
Directeur de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po, Luc Rouban est l’auteur des essais Les Raisons de la défiance (Presses de Sciences Po, 2022) et Le Paradoxe du macronisme (Presses de Sciences Po, 2018). Il explique les ressorts de l’idéologie du président réélu.
Le macronisme peut-il se définir comme une doctrine politique ou se résume-t-il à un opportunisme?
Il a une identité politique qui a déjà été plus ou moins illustrée par Valéry Giscard d’Estaing, président de 1974 à 1981, et, à gauche, par Michel Rocard, Premier ministre de 1988 à 1991. Le macronisme est un progressisme libéral de centre-droit. On y retrouve l’idée forte qu’il faut transformer, moderniser, faire évoluer la société pour mieux l’intégrer dans le processus de mondialisation. Il implique une pédagogie des élites envers la société. Il requiert donc de la verticalité. Le macronisme est un libéralisme parce qu’il est favorable aux entreprises, au marché, et à l’Europe. Il vise à rendre la vie économique plus ouverte et, d’une certaine manière, à la déréglementer, mais toujours avec une tutelle de l’Etat sur la société. Cette volonté d’abattre les cloisonnements explique en grande partie le fait qu’Emmanuel Macron a court-circuité très rapidement, dès 2017, les corps intermédiaires, les élus locaux, les syndicats et les partis politiques. A l’origine, le président est un haut fonctionnaire. Il n’a pas mené de carrière politique. Il n’a jamais été militant ni élu local. Il n’appartient pas du tout à l’univers politique qui a marqué les grands partis de gauche ou de droite. Il représente une autre dimension de la politique française. Mais le macronisme n’est pas simplement un opportunisme qui s’adapte aux circonstances en permanence.
Dans le fond, l’alliance Ensemble est une machine à préparer l’après-macronisme.» Luc Rouban, directeur de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po.
Quelle est la place de l’ambition européenne dans le macronisme?
Sa place y est centrale. Dans tout le mouvement centriste, du giscardisme au MoDem de François Bayrou, l’idée européenne est importante. Emmanuel Macron va encore plus loin en s’engageant à développer l’idée d’une souveraineté européenne. Les événements récents l’ont conforté dans cette position puisque, avec la guerre en Ukraine, l’Union européenne s’est renforcée politiquement et qu’elle s’est affirmée comme un interlocuteur face à la Russie et aux Etats-Unis. L’idée de la souveraineté européenne s’inscrit totalement à l’opposé des thèses souverainistes développées à l’extrême droite par Marine Le Pen et au sein de la gauche radicale par Jean-Luc Mélenchon. C’est un élément de fracture essentiel, réaffirmé par l’élection de 2022. Il distingue d’un côté les électeurs favorables au projet européen et de l’autre, ceux qui sont beaucoup plus critiques, voire lui sont hostiles. Cette fracture fait éclater les partis politiques, comme on l’a vu au Parti socialiste et chez Les Républicains.
L’ alliance Ensemble présente- t-elle des caractéristiques différentes de la majorité présidentielle sortante?
Elle est quand même différente parce qu’elle est une forme de confédération. Dans le fond, c’est une machine à préparer l’après-macronisme. Emmanuel Macron entame son deuxième et dernier mandat. Le projet Ensemble associe toutes les forces centristes, y compris les groupes parlementaires plus ou moins satellites de la majorité sortante: à droite, Horizons de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, Agir du ministre du Commerce extérieur Franck Riester, et à gauche, Territoires de progrès d’Olivier Dussopt, le ministre en charge des Comptes publics, et En commun!, de Barbara Pompili, sa collègue de la Transition écologique. L’ idée est de forger une alliance centriste censée occuper une grande part de l’espace politique et qui scellera, à mon avis, la mort du Parti socialiste et celle des Républicains, au moins à l’échelon national. S’ils n’ont que quelques députés, ils n’auront pas beaucoup de financement.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici