Le jeu de la vérité
Avec l’urgent et touchant Dos au mur, le romancier Nicolas Rey, après avoir tutoyé l’abîme, s’attelle à enfin jouer cartes sur table avec son entourage. Non sans lancer une partie de mentir-vrai entre amour solaire voué à fondre, fantasmes du monde éditorial et tendresse de sa tribu. Rencontre avec stigmates.
« J’écris parce que je vais crever. Dans quelques mois, quelques semaines, je vais crever. » Dans Dos au mur (1), son roman à la première personne arc-bouté vers le vrai, Nicolas Rey dresse un constat sans fard de ses propres constantes médicales. Dandy mi-insouciant mi-cynique, adoubé par Frédéric Beigbeder, prix de Flore en 2000 pour Mémoire courte, luciole cathodique provocatrice sur les plateaux de Thierry Ardisson, complice radio de Pascale Clark, l’auteur d’ Un léger passage à vide y charrie désormais ses excès (alcool, nuits blanches, cocaïne) dans ses hanches en céramique et son pancréas en vrac. Par contraste avec cette lourde addi(c)tion, sa famille est un filet de sécurité bienveillant. A travers les pages, elle l’empêche de s’écorcher davantage à la réalité brutale des dettes, du sursis médical, d’une relation passionnée avec une certaine Joséphine qui s’éteint. L’ultime dépendance, cathartique, ne serait-elle pas, au fond, le soutien inconditionnel des siens ?
La scène, c’est une addiction positive et qui ne peut pas vous quitter un dimanche soir en vous disant qu’elle est amoureuse de quelqu’un d’autre
Dos au mur s’articule autour de la vérité et du mensonge. Quand avez-vous eu l’envie d’affronter ces notions-là ?
Mon amoureuse en avait marre que je la baratine. Parallèlement, je me retrouvais avec un recueil de nouvelles dont il me manquait 20 pages, et j’étais à sec niveau inspiration. Je me suis alors imaginé faire appel à un ami qui me fournirait la matière, mais dont je pouvais supposer qu’il me ferait ensuite un procès pour plagiat. Je me suis demandé si cette trahison-là, j’arriverais à l’annoncer à ma compagne ou non. Ma conclusion était que je ne pourrais le faire que par écrit.
Le propre de l’écrivain, c’est malgré tout de cultiver ce que Louis Aragon appelle le mentir-vrai…
Boris Vian disait : » Tout est vrai puisque je viens de l’inventer. » Je crois réellement à ça. La seule chose sur laquelle je n’ai pas pu mentir, c’est sur mon histoire d’amour avec Joséphine. Le fait que je l’ai trompée au début de notre histoire et que je m’en voudrai toute ma vie. Que ça a été l’amour d’une vie et que, depuis, je suis orphelin d’une femme. Le fait que je l’aie vue débarquer après l’avant- première de mon court-métrage La Femme de Rio et qu’elle semblait faire une faveur à l’estrade quand elle marchait. On avait l’impression qu’elle pourrait réconforter la terre entière avec ses fossettes. Son amour est aussi devenu une forme d’addiction.
Dans l’émission C à vous, un de vos amis, François Simon (critique culinaire) vous conseillait de manger plus doucement. Vous avez croqué la vie par les deux bouts, mais votre livre Dos au mur nous est servi par petites bouchées. Est-ce que la vie est plus supportable restituée par fragments ?
Oui, il y a sans doute de cela. Mais c’était surtout le conseil d’un grand frère à un petit frère. Celui de savourer la vie plus lentement. C’est vraiment quelque chose que je n’ai pas su faire et que j’essaie à présent. Dans Dos au mur, Joséphine me raconte la fable d’un touriste américain survolté qui rencontre un vieux sage indien qui lui confie deux tâches : des recherches sur le mot placebo et franchir à pied un col. L’Américain est fasciné par ce qu’il découvre et n’entreprend pas l’ascension. Il envisage de bricoler un mensonge. Une fois devant le sage, il s’exalte sur sa recherche et se résout à admettre qu’il a oublié l’autre mission. Cette leçon de vie montre à quel point on se sent plus léger avec la vérité et ça m’a pas mal aidé.
Le livre se montre sans fausse pudeur quant à votre corps cabossé : on vous suit chez le généraliste, chez le dentiste, chez le psy… Ces scènes-là, qui pourraient être les plus dramatiques, sont traitées avec humour…
Heureusement, sinon ça serait catastrophique ! J’ai voulu y injecter une forme de rire désespéré. Je raconte par exemple comment mon père, entièrement nu, m’a conduit enfant chez son médecin, en urgence, parce que je me suis explosé le crâne sur le radiateur. Arrivé là-bas, avec moi dans ses bras, tel une Pietà, il a fait fi du monde dans la salle d’attente et a déboulé dans le cabinet où le généraliste, en train d’examiner le vagin d’une jeune fille, a commenté » Belle bite ! « . Parfois ce livre peut s’avérer assez lourd, donc ça m’a fait du bien d’y insérer des respirations, du burlesque.
Vous y parlez de votre expérience des Garçons manqués : un duo de lecture-musique créé avec le musicien Mathieu Saïkaly entre vos voix, entre des textes et des disques… La scène, pour un romancier, ça représente quoi ?
Je ne pouvais pas passer à côté de l’expérience que je vis depuis quatre ans avec Les Garçons manqués : Mathieu Saïkaly, mon acolyte, Jérôme, mon manager, etc. m’aident à vivre. La scène, c’est une addiction positive et qui ne peut pas vous quitter un dimanche soir en vous disant qu’elle est amoureuse de quelqu’un d’autre. Pendant deux ans, avec Et vivre était sublime, j’ai été le passeur des autres mais, pour cette saison 2, Des nouvelles de l’amour, j’ai écrit mon propre spectacle. Pour l’ego ça fait beaucoup de bien que les gens vous disent qu’ils ont adoré. Avant le spectacle, je n’ai pas le moral, je suis rouillé de partout. Il suffit que Mathieu joue pour que tout aille à nouveau bien.
Vous consacrez aussi des passages à la nuit…
Dès que j’ai été en âge de boire et de fuir, je l’ai fait. Surtout la nuit parce que la peur panique du vide de la mort y est plus forte. Très vite, j’ai eu conscience de ce que Camus appelait » les sanglantes mathématiques de notre destinée « . Cela m’a terrifié. Aujourd’hui, ces heures-là restent mon petit nid : je ne me verrais pas écrire la journée. Mais mon compagnon est désormais un thermos de café. J’ai encore de la tendresse pour les créatures nocturnes, pour leurs mensonges bas de gamme. J’ai toujours préféré la compagnie de ceux que Saint Laurent appelait la grande famille des intranquilles et des nerveux. Celle des gens un peu fêlés plutôt que celle des gens qui ont des patins dans leur baraque, un setter irlandais, qui vont en vacances à l’île de Ré et mangent du tofu.
(1) Dos au mur, par Nicolas Rey, Au Diable Vauvert, 272 p.
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