Le grand virage des 25 ans
Ne dites plus Centre belge de la bande dessinée mais Musée de la BD. Pour son quart de siècle, le temple belge du 9e art propose de nouvelles expos et se projette hors les murs de Victor Horta. En primeur, les projets de Jean Auquier, patron des lieux.
Il y a vingt-cinq ans, les fondateurs du temple belge du 9e art, installé rue des Sables, à Bruxelles, n’avaient pas voulu donner à l’institution le nom de » musée « . Une appellation jugée alors » pas assez moderne « , » trop XIXe « . Un quart de siècle plus tard, au moment de fêter son jubilé, le Centre belge de la bande dessinée se réapproprie officiellement (publication au Moniteur) le nom de Musée de la BD. Explications de son patron, Jean Auquier : » Si vous demandez à un taxi de vous conduire au Musée de la BD, il vous dépose ici. Alors, autant récupérer le nom. D’autant qu’il y a de plus en plus de risques qu’on se le fasse piquer par un concurrent. »
Autre info révélée par Jean Auquier : le soutien que son institution va apporter à la création d’un futur Musée de la BD français, en voie d’aménagement dans les murs d’une abbaye du Roussillon (Provence-Alpes-Côte d’Azur). » Les initiateurs de ce projet nous ont sollicités, parmi d’autres musées. Nous avons répondu présent. Les lieux, situés à Caunes-Minervois, sont gigantesques. Nous allons aider au développement du site. Quand il verra le jour, nous y ferons tourner nos expos et nous y enverrons nos auteurs. Notre avenir passe par les réseaux et notre mission est de promouvoir la BD sans limite de genres et de lieux. »
Un musée déconseillé !
Que d’ambitions ! On en oublierait le passé récent quelque peu troublé du Centre belge de la bande dessinée. Fin mai 2009, à quelques mois de son vingtième anniversaire, le CBBD tremblait sur ses bases. Un effet de l’arme à ultrasons imaginée naguère par le professeur Tournesol ? Pas vraiment. Le responsable de ce séisme digne de l’éruption du Karamako n’était autre que le très peu tintinophile ministre-président PS de la Région de Bruxelles-Capitale. Charles Picqué déplorait, dans une interview donnée au site spécialisé Actua BD, » l’insuffisance, l’incompétence et le manque de qualité du CBBD « . Il ajoutait, sans faire dans la dentelle, qu’il déconseillait aux touristes de passage à Bruxelles de se rendre sur place ! Inclure le musée dans une visite BD de la capitale était, selon lui, » anti-productif, vu l’image renvoyée « .
Cinq ans plus tard, Jean Auquier se remémore » de façon cuisante » ces attaques. » C’était dur. L’ex-ministre-président était entouré de gens qui ne nous aimaient pas. Pour certains post-adolescents, tout ce qui ressemble à un musée n’a pas d’intérêt. Mais la critique aide à avancer. Aujourd’hui, il y a encore dans ces murs quelques présentations poussiéreuses, mais de moins en moins. On rénove, avec nos moyens. Le milieu de la BD, qui avait déploré les scénographies trop longtemps inchangées de nos expositions permanentes, se félicite du lifting opéré. »
La diversité du langage BD
Rangées au placard, les planches originales jusqu’ici exposées dans les vitrines ? Pas toutes. Mais le musée montre aussi, désormais, la diversité du langage BD au XXIe siècle – albums classiques, mangas, romans graphiques… – et la façon actuelle de fabriquer une bande dessinée. » Nous présentons notamment la tablette graphique d’Yslaire « , indique Jean Auquier. Un nouvel espace consacré à Peyo et aux Schtroumpfs est inauguré ces jours-ci en face de la grande fresque représentant Moulinsart, qui mériterait un rafraîchissement. Au même moment débute une exposition temporaire intitulée Bruxelles ma bulle, événement destiné à marquer les 25 ans du Centre.
Hébergé dans les anciens magasins Waucquez, bâtiment Art nouveau signé Victor Horta (1906), le CBBD a accueilli, l’an dernier, près de 200 000 visiteurs payants. Un chiffre qui ne prend pas en compte les 25 000 à 30 000 personnes par an qui se rendent dans le grand hall, la bibliothèque, la librairie ou la brasserie, mais n’entrent pas dans la partie muséale, en haut de l’escalier. La fréquentation du musée augmente de plus ou moins 3 % par an, selon Jean Auquier. » Le début 2014 n’a pas été brillant, constate-t-il, mais l’été pluvieux, lui, nous a été très bénéfique. »
Seuls 17 % des visiteurs du CBBD sont Belges. Parmi les étrangers, la moitié sont Français. » Depuis quelques années, les Chinois sont de plus en plus nombreux, ajoute le patron du musée. Nous avons mis à leur disposition, en chinois, un texte téléchargeable au départ de notre site et un petit guide papier consacré à nos expositions permanentes. L’effort fait depuis vingt ans pour que Bruxelles ne se réduise pas à son image de capitale européenne commence à porter ses fruits. »
Pas assez culturel, pas assez populaire
Le budget annuel du Musée de la BD tourne autour des 2 millions d’euros par an, autofinancés à hauteur de 92 %. Le solde vient des pouvoirs publics : soit, par an, 120 000 euros de la Région bruxelloise pour la réalisation de quatre expos temporaires, 48 000 euros de la Communauté française et 20 000 euros de la Cocon, l’organe compétent pour les institutions flamandes de Bruxelles. A cela s’ajoute le coup de pouce du fédéral, qui renonce à faire payer le loyer du bâtiment, à titre de service rendu à l’image de la Belgique à l’étranger. En revanche, le sponsoring privé, dont les créateurs du musée attendaient beaucoup, n’est plus qu’un souvenir : » Pour les dirigeants du secteur privé, la bande dessinée, ce n’est pas aussi « culturel » que le Concours Reine Elisabeth et pas aussi populaire que le football « , déplore Jean Auquier.
Hors brasserie et librairie, le musée représente 29 contrats d’emploi (18 équivalents temps plein). » Equilibrer le budget a été un défi permanent ces cinq dernières années, marquées par l’installation de la fibre optique dans les salles et par le renouvellement des expositions permanentes « , indique le patron des lieux. Prochaine étape : l’interactivité. En clair, l’idée est d’aménager, dans les derniers espaces libres, plusieurs écrans de consultation de planches de BD.
» Mon voeu le plus cher est qu’on ait plus de visiteurs satisfaits. Je vois encore trop de gamins d’une quinzaine d’années conduits ici par leur prof ou par leurs parents et qui traînent dans les escaliers, peu intéressés par la bande dessinée. Nous devons être scientifiquement exacts dans nos présentations, mais aussi créatifs. Il faut valoriser notre patrimoine dans le langage d’aujourd’hui. J’espère que ce musée ne sera pas, dans vingt-cinq ans, un lieu tourné vers le XXe siècle. Il devra parler à la société de 2039, même si les présentations se font avec des galeries virtuelles. »
Par Olivier Rogeau
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